© Carole Bethuel / Arte ( De gauche à droite et de haut en bas : Reda Kateb, Clémence Poésy, Pio Marmaï, Mélanie Thierry, Frédéric Pierrot, Carole Bouquet, Céleste Brunnquell)
Adaptée de la série israëlienne BeTipul créée par Hagai Levi, Nir Bergman et Ori Sivan en 2005, et après seize versions dans différents pays du monde, Arte présente sa nouvelle série En Thérapie co-produite et initiée par Les Films du poisson. Un plongeon profond dans les méandres des cerveaux de six patients et les paradoxes d’un pays paralysé par les attentats du 13 novembre 2015. 35 épisodes orchestrés par le duo Éric Toledano et Olivier Nakache accompagné d’une belle équipe.
Les larmes d’une femme. Un cabinet de psychanalyse. « Je ne pense pas que je vais pouvoir m’allonger aujourd’hui. » confie-t-elle entre deux sanglots à son analyste. Ce lundi 16 novembre 2015, dans le 11ème arrondissement de la capitale française – à quelques mètres de la place de la République – , trois jours après les attentats meurtriers du Bataclan et la paralysie de toute la France en état de choc, il faut retourner travailler.
À 9h, Philippe Dayan (Frédéric Pierrot) reçoit cette première patiente de la semaine, Ariane (Mélanie Thierry), en thérapie depuis un an. Chirurgienne, la jeune femme a passé la nuit du 13 novembre à soigner les blessés à l’Hôpital Saint-Antoine, confrontée à l’horreur des conséquences de ces actes barbares et à la mort. Elle finit par avouer à Dayan qu’elle est amoureuse de lui.
Le lendemain, à 10h, un nouveau patient pénètre dans le cabinet, Adel (Reda Kateb). Policier à la BRI, il faisait partie de ceux qui sont intervenus dans le Bataclan et est sujet à de nombreuses angoisses depuis l’attentat. Celles-ci l’empêchent d’effectuer son métier avec son sang-froid habituel. Il a besoin de s’exprimer mais oppose une résistance à la pratique de Philippe Dayan.
Mercredi 18 novembre, Camille (Céleste Brunnquell), 16 ans, fait irruption dans le cabinet pour demander une expertise psychologique réclamée par son assurance à la suite d’un accident de vélo. Réticente à la discussion, elle exige que le psychanalyste lui signe son papier, preuve de son bien-être mental au moment des faits.
En fin d’après-midi, le jour suivant, Philippe Dayan reçoit un couple en crise alors qu’il ne pratique pas habituellement cette thérapie. Damien (Pio Marmaï) et Léonora (Clémence Poésy) vivent ensemble depuis dix ans et sont déjà parents d’un petit garçon. Or, Léonora est de nouveau enceinte et le couple n’est pas en accord sur la décision à prendre. Ils espèrent que l’analyste décidera à leur place.
Le cinquième jour, Philippe Dayan, finalement lui aussi très affecté par les événements récents et par ses nouveaux patients, se rend au domicile d’Esther (Carole Bouquet) qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années. Elle était sa contrôleuse et la veuve de son mentor. Il était parti un jour en pleine analyse en claquant la porte. Il espère pouvoir se confier à elle pour mieux comprendre sa pratique actuelle et ses soucis personnels.
Cinq jours non pas pour créer le monde mais pour faire un état de la société quand un pays traverse une crise, quand des individualités ont des problèmes à régler – comme nous tous. Cinq jours multipliés par sept cycles, soit sept semaines pour observer la blessure collective révéler les traumas individuels, soit 7X5 épisodes, soit 35 épisodes – un format inédit pour Arte, chaîne familière des mini-séries.
Un dispositif pour le jeu
Un décor principal où toutes les intrigues se jouent. Un cabinet de psychanalyse comme une scène de théâtre, deux lieux en un où la parole se libère pour être réellement écoutée. En thérapie prend son temps à contre-courant de la consommation des plateformes et des réseaux sociaux.
En faisant le choix de mettre les acteurs.rices et leurs jeux au centre du dispositif, les scénaristes et réalisateurs créent une tension dramatique particulière. Ils mettent en avant la complexité de chaque personnage, chaque patient, tout en laissant le talent de chaque comédien.ne exploser face à la caméra, dans un simple champs/ contrechamps nécéssaire à l’exercice.
Frédéric Pierrot, évidemment, acteur déjà souvent à l’écoute de ses partenaires, impressionne par sa capacité à jouer ces 35 épisodes quasiment assis tout du long. Son personnage se doit d’être en réaction continue aux autres.
Face à lui : Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Bruunquell (remarquable après sa révélation l’an passé dans Les Éblouis de Sarah Zuco), Pio Marmaï, Clémence Poesy et Carole Bouquet développent des palettes très différentes, en sensibilité ou en force. Ils permettent ainsi un échange entre eux sur lequel seul le spectateur se concentre.
Dans cette contrainte de mise en scène et cette économie de décor, le dialogue seul nous emmène dans le passé des personnages. À la place des traditionnels flashbacks, l’imagination est stimulée même quand il s’agit des descriptions quasi horrifiques du 13 novembre. Et ce qui pourrait rebuter en apparence, à savoir, écouter des gens pendant des heures parler de leur problèmes ne l’est donc pas.
Car une autre originalité de la série réside en ces différents réalisateurs concentrés sur des segments spécifiques. Cela donne, malgré le côté statique, des visions multiples du dialogue entre deux comédien.ne.s.
Si le tandem Toledano/Nakache réalise les deux premières parties, la suite est confiée à d’autres réalisateurs dont la série était également un format inconnu : Pierre Salvadori (Hors de prix, De vrais mensonges, En Liberté !…) a travaillé particulièrement avec Céleste Bruunquell, Nicolas Pariser (Le Grand Jeu, Alice et le maire) s’est concentré sur la partie de couple et le directeur de la photographie Mathieu Vadepied a mise en scène – tout en ombre – l’entretien hebdomadaire final avec Carole Bouquet.
Catharsis collective
La force de ce huis clos réside dans une implication puisante aussi bien du côté des acteurs.rices que des spectateurs.rices. L’équipe de scénaristes, David Elkaïm, Vincent Poymiro, Pauline Guéna, Alexandre Mandeville, Nacim Mehtar et Eric Toledano & Olivier Nakache n’ont pas fait que adapter la série en un simple « copié-collé » de la version originale comme l’avait fait Mouche pour Fleabag.
Comme leur prédécesseurs, ils ont cherché à la réinventer pour l’imbriquer dans la société française actuelle. Comment les attentats de 2015 ont-ils marqué en profondeur les Français ? En posant implicitement cette question ils font ressortir les traumatismes individuels des patients et par l’attractivité nous force à nous poser des questions comme Philippe Dayan lui-même bien plus marqué qu’il ne le pensait par les événements récents.
Le personnage de Reda Kateb, entièrement réécrit version française, symbolise à lui seul les maux cachés de la France. Il incarne une forme d’impuissance arrivée trop tard après l’attaque du Bataclan. Peu à peu, Adel va par la psychanalyse révéler son passé – une identité enfouie au plus profond, des racines venues d’ailleurs, un enfant d’immigré qui a déjà vécu des événements similaires et reniant l’arabe de sa vie de policier français.
D’autres thèmes de société contemporaine sont ainsi abordés au fil des épisodes, comme la masculinité, la paternité/maternité ou bien sûr le couple et ses possibilités. Le spectateur se retrouve dans des questionnements individuels partagés par d’autres.
En nous faisant pénétrer dans l’intimité du cabinet de psychanalyse, les créateurs.rices de cette adaptation mettent en lumière la complexité des êtres par ce prisme de la fiction en creusant les angoisses et les émotions des personnages.
Ce format long et particulier permet deux lectures différentes de la série et invite à un « bing-watching » peu classique par semaine (cinq épisodes) ou par personnages (sept épisodes). Ce qui donne la possibilité de revoir En Thérapie de plusieurs manières pour approfondir les introspections. L’ensemble est accompagné par un thème musical discret et savamment orchestré par Yuksek.
Poursuivre leur cinéma
Que les cinéastes à l’origine de Intouchables, Le Sens de la fête ou encore Hors normes soient en partie – avec les productrices des Films du poisson Yaël Figiel et Laetitia Gonzalez – à l’origine de ce projet d’adaptation est en réalité une évidence.
Après sept long métrages, le duo expérimente le format série tout en conservant l’ADN constitutif de leur cinéma. Faire naître le collectif de l’individuel, aborder des thèmes sociales et dramatiques ponctués de touches d’humour, être empathique avec leurs personnages et surtout ne jamais les juger malgré leur actes parfois répréhensibles, un cinéma en un mot : généreux.
Ici, l’idée de groupe est donc partout, devant et derrière la caméra. En Thérapie permet de dresser ce portrait de la France d’aujourd’hui dont le besoin de rassemblement s’imposait après les attentats de 2015 et devient une urgence nécéssaire avec la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Pour remettre l’écoute et la parole au coeur de notre quotidien, créer un semblant de lien social dans un cabinet, l’analyse commence dès maintenant sur Arte.
En Thérapie depuis le 28 janvier en intégralité sur Arte.tv. Tous les jeudi à 20h55 du 4 février au 18 mars 2021 sur Arte.