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Après les réalisateurs François Truffaut et Aki Kaurakismäki, arte.tv met le cinéaste Emmanuel Mouret à l’honneur en proposant de revoir en ligne cinq de ses longs-métrages. Parmi eux, Un Baiser s’il vous plaît, comédie douce-amère qui met en scène une certaine vision de l’amour et ses déboires, du marivaudage, et par extension, du cinéma.
Emmanuel Mouret fait partie de ces cinéastes à l’univers si particulier, dont le spectateur averti reconnaît la patte sans effort. Dans son quatrième long-métrage, dans lequel il se met en scène lui-même aux côtés de Virginie Ledoyen, Julie Gayet et Michaël Cohen, il revisite, dans un art du dialogue qui fait sa singularité, le sentiment amoureux, son égoïsme et ses conséquences.
Le film s’ouvre sur une rencontre, apparemment fortuite, dans les rues de Nantes entre une Julie Gayet lumineuse et un Michaël Cohen qui semble pressé. Elle lui demande s’il connaît un endroit où elle pourrait trouver un taxi. Il répond que non, s’éloigne, hésite un peu et puis finira par lui proposer de la déposer. Il l’invitera ensuite à boire un verre, puis à s’embrasser : un baiser sans conséquence, pour célébrer le plaisir d’avoir passé une belle soirée, au hasard d’une rencontre heureuse. Julie Gayet sourit, lui explique qu’elle y aurait pris beaucoup de plaisir, tout comme elle a pris beaucoup de plaisir à discuter avec lui tout au long de la soirée. Mais en raison d’une histoire arrivée à une de ses connaissances, elle ne peut lui offrir un baiser, même si celui-ci est sans conséquence – les protagonistes sont en couple tous les deux. Gabriel, incarné par Michaël Cohen à l’écran, insiste pour qu’elle lui conte cette histoire – malgré sa réticence. Elle cède, après tout, pourquoi pas ? Ils ne se connaissent pas, ne se reverront pas davantage, elle peut bien s’abandonner à raconter cette histoire, et par la même occasion, prolonger cette soirée délicieuse qu’elle est en train de passer. S’ensuit l’ouverture d’une nouvelle strate narrative, incarnée par Virginie Ledoyen et Emmanuel Mouret lui-même, et leur histoire d’amour, pourtant impossible.
De la beauté du langage
Tout le talent d’Emmanuel Mouret réside dans la finesse de ses dialogues qu’il met au service d’un discours amoureux tantôt candide, tantôt cynique. Si les protagonistes se livrent allègrement à l’adultère, c’est parce qu’ils s’abandonnent à l’ivresse de l’amour, ses malaises et ses hésitations, puis à la passion qui rend inenvisageable la vie sans l’autre. L’usage de la langue, qui met les dialogues au centre du film – jusqu’à devenir personnage à part entière – vient poser des mots sur chaque émotion, et recréer par là un nuancier de sentiments amoureux sincère, décrivant avec justesse toutes les étapes qui le décompose. Ces passions mises à l’écran n’ont pas d’âge : en amour, l’étonnement, la peur, le désir de l’autre sont toujours les mêmes et se réinventent pourtant à chaque fois que l’objet du désir change. Le film porte un regard presque comique sur l’adultère, qui n’est pas perçu comme une faute, mais comme une sorte d’effet secondaire du sentiment amoureux. En d’autres termes, l’amour emmerde la morale.
Le marivaudage dans tous ses états
Si le style d’Emmanuel Mouret est unique en son genre, il porte avec son cinéma une vision moderne de l’œuvre de Marivaux qui se retrouve dans le paysage cinématographique français : par exemple L’Homme fidèle de Louis Garrel (2018), qui s’inscrit dans cette tradition. Cette vision à la fois esthétique et poétique de l’amour – personnages candides, dialogues de théâtre, description détaillée et verbalisée de tous les effets du sentiment amoureux – est d’autant plus touchante pour le spectateur qu’elle est en décalage total avec notre époque qui porte une vision désenchantée de l’amour, dont les applications de rencontre sont le symbole le plus évident.
Un Baiser s’il vous plaît d’Emmanuel Mouret, à retrouver sur Arte.tv. jusqu’au 14/06/2021.