CINÉMA

Paul Vecchiali #6 – « Rosa la rose, fille publique »

© Shellac

Sorti en 1986, Rosa la rose, fille publique fait advenir à l’écran le corps d’une actrice qui deviendra coutumière du cinéma de Paul Vecchiali. Le film est limpide, tient sa ligne du mélodrame jusqu’au bout et offre à Marianne Basler l’un de ses plus beaux rôles.

Rosa débarque dans le cadre habillée en bleu, couleur qui distinguait Danielle Darrieux de la foule dans En haut des marches, réalisé deux ans auparavant. Le film lui est dédié ainsi qu’à Max Ophuls, Dora Doll et Jean Renoir. Le choix des deux actrices donne le nom au personnage principal du film. Darrieux fut la « M’am Rosa » du Plaisir d’Ophuls et Doll la « Rosa la rose  » d’Éléna et les hommes de Renoir, toutes deux prostituées. Cette Rosa est aussi une image du cinéma qui incarne la puissance et la magie du médium. Quand elle descend les marches au début du film, sa robe bleue éblouit face aux gris des immeubles, face à la laideur des bâtiments modernes. Ce plan est presque un manifeste esthétique contre le naturalisme.

Rosa multiplie les passes sous la domination de Gilbert qui récupère l’argent. C’est son quotidien, elle attire les hommes par sa jeunesse contrairement à deux autres prostituées plus âgées (les formidables Catherine Lachens et Évelyne Buyle). Rosa a vingt ans, fête son anniversaire en compagnie de sa bande qui contient des prostituées, des voyous et un jeune homme un peu curieux. Cet univers fait de solidarités et d’effets de domination se fissure quand Rosa rencontre Julien, un ouvrier. Coucher avec lui est impossible, un désir amoureux apparaît mais il est contraint par le milieu et par les codes qu’elle a incorporé. Le tragique vient s’inviter au bal.

Galerie Rosa la rose, fille publique 1
© Shellac

Le refuge d’images

Dans sa chambre de passe, Rosa se réfugie derrière un petit rideau, celui qui maintient le peu d’espace privé qui lui reste. Comme l’indique le titre, elle est totalement aliénée par son travail, par les mécanismes de domination qui s’exercent dans le milieu. Son dernier verrou de vie privée, d’intimité, est franchissable par son maquereau et ses clients. Reste un rideau qui cache un petit recoin, celui où trônent les photographies de Danielle Darrieux dans Madame de…, Marlon Brando dans Un tramway nommé désir et Anna Karina dans Alphaville. Paul Vecchiali est subtil, cet univers est formaté par les goûts esthétiques de Gilbert, c’est même lui qui trouve son nom en écho à des films. Si Rosa fascine tant les hommes mais aussi les femmes, c’est parce qu’elle représente une image du cinéma. Elle possède la même puissance que Danielle Darrieux dans En haut des marches. Paul Vecchiali filme les passes comme une scène de théâtre avec ces acteurs qui jouent un jeu – ce client qui fantasme Rosa en cuisinière punitive. Rosa est une icône qui prend chair.

Le refuge d’images conditionne la représentation que se fait Rosa du Milieu. C’est elle qui s’empêche de voir le jeune ouvrier, c’est elle qui n’ose pas quitter Gilbert. Elle intériorise la domination sociale face à des discours qui lui promettent la liberté et une facilité d’évasion. Son destin est dirigé par ces représentations et il suffit de connaître quelques films de mafieux pour savoir que cette fuite du Milieu entraîne la mort. Avant la rencontre avec Julien, Rosa a tout d’une figure mythique, presque fantomatique. C’est elle qui accapare l’attention et joue des regards. Ce rapport s’inverse après la rencontre avec Julien dans le fond du bar, c’est elle qui plonge dans le mythe, semble vouloir coller à tout prix à la figure de l’héroïne brisée par le Milieu.

Galerie Rosa la rose, fille publique 4
© Shellac

Le spectacle continue

Paul Vecchiali raconte régulièrement que le film s’est écrit pendant un rêve et qu’au petit matin, il n’a eu qu’à reproduire ce qu’il avait imaginé pendant la nuit. Cette anecdote conforte une lecture par le prisme du rêve ou d’une vision fantomatique. Il y a dans son cinéma des personnages qui sont constamment entre la vie et la mort, où le souvenir du passé contamine tout le présent. En portant sur elle tout une tradition du cinéma, Rosa est à la fois une figure du passé et un corps agressé par le présent. À ce titre, elle déambule comme un fantôme lors de la grande fête brésilienne où son visage ensanglanté se voile par des gestes incontrôlés. Elle est un mythe à qui on aurait donné un corps.

Quand le désir de Rosa émerge et lance l’intrigue, son corps vient éprouver le réel. Le cadre se resserre et le temps est compté. La rencontre des deux amoureux se joue à l’arrière d’un bar, pendant l’anniversaire de Rosa. La Cène est évoquée par la disposition de la table et le nombre de convives, comme pour annoncer la chute à venir. On partage une dernière fois un repas grandiose avant de se déchirer, avant que la mort d’une figure à la fois réelle et mythique ne vienne écrouler l’édifice. Quand le drame survient, il n’est pas provoqué par un homme de main, c’est Rosa qui passe elle-même à l’acte. L’incorporation des codes du Milieu est si forte qu’elle préfère se donner la mort, aidée par une figure innocente. Le faisceau lumineux qui vient éclairer le visage de Rosa dans le dernier plan ne trompe pas, son corps était moteur du film, sa fin est aussi une fin de la fiction. Derrière la fenêtre, la vie reprend.

Galerie Rosa la rose, fille publique 8
© Shellac

You may also like

More in CINÉMA