SOCIÉTÉ

Manifestation en Tunisie : vers une nouvelle révolution ?

©Flickr – Gwenal Piaser

Depuis le 16 janvier 2021, les mouvements de protestations violents se multiplient toutes les nuits en Tunisie. Dix ans après les mouvements du printemps arabe, la crise sanitaire du Covid-19 met le feu aux poudres à une situation économique et sociale déjà fragile.

Le 14 janvier 2011, après des semaines de mouvements de protestations portés par la jeunesse tunisienne, le pays assistait à la fin du régime dictatorial de Ben Ali.  Aujourd’hui, 10 ans plus tard, la jeunesse descend de nouveau dans les rues.

Elle dénonce le manque de solutions apporté par la classe politique face à la crise économique et sociale, renforcée par la crise sanitaire du Covid-19. Ces récents mouvements de protestation semblent désormais représenter le cri de colère de toutes les générations tunisiennes et soulève la question d’une nouvelle révolution. 

Dans la nuit du 16 au 17 janvier 2021, les rues ont été témoins de scènes de violences extrêmes, de pillages de magasins, de pneus brûlés et d’affrontements avec les forces de l’ordre pendant plusieurs heures. Des scènes qui catalysent la colère et la protestation du peuple tunisien en pleine crise économique et sociale. 

Ces tensions se renforcent nuits après nuits et alors que le porte-parole du ministère de l’intérieur, Khaled Hayouni, parle de plus de 600 arrestations, majoritairement des mineurs. La ligue tunisienne des droits de l’Homme en compterait près de 1000 après une semaine de violences, dénonçant un nombre conséquent d’arrestations arbitraires. 

Dix ans après la révolution du jasmin

Le 17 décembre 2010, le tunisien Mohamed Bouazizi, s’immolait par le feu en signe de protestation, marquant le début de ce que l’on appellera « Les printemps arabes ». En Tunisie, dans les mois qui suivirent, une révolution populaire conduisit à la démission du Gouvernement de Ben Ali, signant alors la fin de plusieurs années de dictature. 

Dix ans plus tard, dans les rues de Tunis, on peut entendre les manifestants scander les mêmes slogans «  Liberté, Travail, et Dignité nationale. »

Les revendications face à la crise sociale et économique actuelle, sont une nouvelle fois portées par la jeunesse. Comme en 2011, le marché du travail bouché rend de plus en plus incertaines les perspectives d’avenir.

La révolution du jasmin a eu certains échos positifs, notamment dans le domaine culturel où la liberté d’expression a pu être développée de façon solide. Mais les revendications politiques semblent rester de simples espoirs déchus. Malgré une mobilisation démocratique importante, élections après élections, le renouveau politique ne semble pas avoir eu lieu. 

Les principales revendications de 2011 ont été délaissées par la classe politique. En effet, sur la question du droit à l’emploi, au premier plan de la révolution, la situation a empiré, au dernier trimestre 2020, 30 % des étudiants supérieurs étaient au chômage, contre 23 % en 2010.

Selon un sondage du bureau d’étude en Afrique du Nord de Sigma conseil, 67 % des Tunisiens estiment que la situation sociale actuelle serait pire que celle de 2010.

Le Covid-19 met le feu aux poudres

« La pression montait, les troubles étaient prévisibles »

Larbi Chouikha politologue

Bien que ces mouvements de protestations coïncident avec l’anniversaire de la révolution de 2011, ils sont également une réponse aux mesures adoptées par le gouvernement face à la crise sanitaire du COVID 19. L’instauration d’un confinement ciblé depuis le 14 janvier, ainsi qu’un couvre feu sur l’ensemble du territoire a été l’élément déclencheur.

Ces restrictions de la liberté se cumulent avec une montée du chômage, de la déscolarisation et d’une crise économique conséquente qui laisse peu de perspectives d’avenir pour la jeunesse. Abderrahmane Hedhili, président de l’ONG «  Forum tunisien des droits économiques et sociaux », le souligne en précisant que le pays compte environ plus d’un million de chômeurs et des milliers d’étudiants qui arrêtent leurs études. 

La situation économique de la Tunisie était déjà préoccupante avant la crise sanitaire. En cause, un endettement massif découlant de la politique économique adoptée par les dirigeants ces dix dernières années. La dette publique représentait en 2020 presque 85 % du PIB. La faible circulation des richesses a également conduit à la crise économique actuelle, entraînant une chute considérable de la valeur du dinars. 

Face à la montée des cas de Covid-19 en Tunisie, les mesures sanitaires ont été adoptées dans un cadre social déjà fragilisé et sont alors devenues un élément déclencheur des mouvements de protestations. 

« La première vague de l’épidémie a entraîné la perte de 165 000 emplois selon nos estimations »

Béchir Boujday, membre du bureau exécutif de l’Utica (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat)

L’Institut national de la statistique a mis en avant les inquiétantes conséquences de la crise sanitaire sur l’économie du pays. Le taux de chômage est passé de 15 à 18 % pendant l’année, selon l’INS (Institut national de la statistique).

Le gouvernement a écarté l’hypothèse d’un second confinement total pour la Tunisie, néanmoins le couvre-feu mis en place ne permet pas aux Tunisiens de stimuler l’activité économique du pays.

Bien que le gouvernement ait instauré la possibilité d’une aide ponctuelle pour les plus défavorisés, celle-ci se présente comme insuffisante. De plus, à la vue de l’endettement considérable du pays, celui-ci n’a qu’une faible marge de manœuvre pour relancer son économie. 

La crise sanitaire semble être la « goutte de trop » pour les Tunisiens avec le renforcement de la crise économique et les inégalités sociales. Contrairement aux mouvements de 2011, cette fois-ci les revendications portent la colère de toutes les générations. Des étudiants sans aucune perspective d’avenir solide, aux patrons d’entreprises forcés de mettre la clé sous la porte en passant par les retraités qui voient leurs pensions diminuer.

La question d’une nouvelle révolution semble alors se poser sérieusement, en réponse à l’insuffisance des solutions concrètes de la part des politiques au pouvoir. 

L’insuffisance persistante des réponses de la part des politiques

Les différents politiques qui se sont succédés ont fait face au cours de la décennie aux mécontentement de la population. Ils ont cherché à l’apaiser sans aucune proposition concrète. Des solutions illusoires de la part des politiques qui ne semblent aujourd’hui plus suffisantes.

Les revendications ont pourtant été nombreuses de la part de toute la population, des syndicats étudiants et des différentes corporations d’entreprises. 

Ce sentiment de ne pas pouvoir se faire entendre pendant près de dix ans a renforcé la colère des citoyens et se manifeste aujourd’hui dans les rues. Il va s’agir, désormais de savoir jusqu’où ces débordements pourront aller et combien de temps la classe politique pourra détourner le regard. 

Dans ce contexte de fortes tensions, les politiques sont peu nombreux à s’exprimer clairement sur la question. Les débats laissent place à des règlements de compte politiques de la part de partis souhaitant se réapproprier les mouvements ou encore élaborer des thèses complotistes. Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) a affirmé que les étudiants auraient été payés pour commettre des actes de vandalisme. 

Au regard de l’accumulation des revendications et de la colère des tunisiens face à un gouvernement sourd, la question d’une révolution semble se poser sérieusement. Mais sans perspectives de solutions concrètes, ce nouveau soulèvement pourrait encore aggraver la situation sociale du pays. 

Après «  l’effet papillon » de la révolution du jasmin dans les mouvements du printemps arabe de 2011, ce mouvement contestataire n’est pas sans inquiéter les autres pays du Maghreb. Il se pourrait que la révolution « contamine » les pays voisins de la Tunisie dans les prochains mois.

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