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Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au « petit écran » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Créée par Peter Nowalk et produite par Shonda Rhymes, How to get away with murder nous plonge dans l’univers juridique, et ses recoins les plus meurtriers.
Diffusée entre 2014 et 2020 par le réseau ABC aux États-Unis, la série atteint rapidement la France en passant sur M6 et Téva, avant de rejoindre les rangs du catalogue Netflix. Fruit d’un nouveau croisement entre Peter Nowalk et Shonda Rhymes, à qui l’on doit déjà des géants tels que Grey’s Anatomy ou Scandal, elle compte six saisons, dont la dernière est sortie en milieu d’année 2020, et 90 épisodes en tout. Comptant parmi ses protagonistes la très plebiscitée et oscarisée Viola Davis (Fences, La Couleur des sentiments), How to get away with murder (souvent abrégée en un sobre Murder), fait vivre tout ce que l’on a imaginé de pire du monde judiciaire…et même plus.
Le cursus de droit de l’université de Philadelphia est réputé l’un des meilleurs pour se préparer à passer le barreau et pouvoir enfin espérer exercer les métiers de loi. Entre les étudiants ayant réussi à y entrer ne règnent que concurrence, méfiance et mépris. Néanmoins, ils possèdent tous un point commun, à savoir une fascination sans bornes pour le cours de Droit Pénal, et plus particulièrement pour sa professeure, l’avocate célébrissime et controversée Annalise Keating. Son objectif d’enseignement ? Apprendre à défendre l’indéfendable, quoi qu’il en coûte. Lorsque cinq de ses étudiants sont choisis pour devenir ses apprentis pour l’année, ce qui semblait n’être qu’une mauvaise ambiance prévisible d’un cursus sélectif va se révéler une lente descente vers la sphère criminelle, qu’ils s’étaient pourtant donnés pour objectif de combattre. Très vite, ils vont devoir troquer livres et prises de notes pour pelles, combustibles, tronçonneuses…et tout un tas d’autres choses indispensables à l’obtention du diplôme du parfait petit meurtrier.
Tout ce que l’on pensait savoir sur l’école de droit… en pire
Les différentes visions du système juridique américain ont souvent été alimentées par des représentations culturelles de ce dernier, notamment au sein de séries (l’on peut notamment penser à Suits, House of Cards ou encore Scandal, de Shonda Rhymes). Cependant, il est plus rare d’en trouver axées sur les études de droit, donc sur le préambule à l’entrée dans ce monde controversé. À l’université de Philadelphie, rien de particulier au premier abord : la concurrence est rude, les étudiants sont affreux les uns envers les autres, les professeurs sont sévères et les diplômes difficiles à obtenir. Annalise Keating elle-même semble être l’archétype de ce professeur précis que l’on trouve dans chaque école, que l’on passe l’année à détester tout en espérant de tout cœur se faire remarquer par lui.
Néanmoins, cette sphère aux contours bien dessinés se délite au fur et à mesure de la série, alors que les meurtres (accidentels ?) se multiplient autour du petit groupe constitué par l’avocate. Alors que leur objectif était de se dresser face au crime et de faire régner l’ordre et la justice, les protagonistes se retrouvent happés par la sphère criminelle, devenant plus ou moins consciemment acteurs d’une succession de malheureux épisodes formant un cercle vicieux de criminalité. Ce paradoxe entre l’école de droit et la sphère criminelle permet ainsi de faire le parallèle entre les enseignements théoriques ainsi que la « vie de jour » de nos protagonistes avec leur situation en dehors des cours, situation qui semble s’envenimer avec le passage des épisodes. En plus de ce parfum de scandale que l’on adore sentir, l’ambiance mi-concours d’ego, mi-massacre à la tronçonneuse fait de Murder un mélange de genres décuplant le besoin pressant de découvrir la suite de l’histoire.
Annalise Keating, la contradiction personnifiée
« Je m’appelle Annalise Keating, et ceci est le cours de Droit Pénal numéro 1. Ou plutôt, comme j’aime l’appeler, « comment échapper à une condamnation pour meurtre ». »
Au fur et à mesure des épisodes et des saisons, les frissons à l’entente de ces mots ne faiblissent pas. L’avocate qu’interprète Viola Davis maintient l’histoire le long des six saisons d’une main de fer, provoquant fascination, dégoût et pitié pour son personnage. Avocate talentueuse autant que polémique, Annalise Keating a gravé son nom dans le marbre du monde judiciaire américain en s’illustrant notamment dans des défenses de condamnés, à qui elle a rendu leur liberté. Hypnotique autant que terrifiante, Keating exerce une autorité sur ses étudiants de par son talent, mais aussi par son estime de soi. Pour les jeunes morts de faim, dévorés d’ambition, sa carrière est un exemple, un modèle à suivre, et cet hypnotisme gagne rapidement le public également. Il faut pour cela saluer la prestation de Viola Davis, qui fusionne avec le personnage pour lui donner une existence plus vraie que nature. La dualité de sa personnalité se voit jusque dans son apparence : on se faufile avec joie au-delà de l’image de l’avocate implacable à la coiffure millimétrée et au maquillage impeccable, pour retrouver par la suite l’âme en peine et rongée de culpabilité, aux yeux bouffis et aux vices plus qu’humains. On retrouve dans les mots, les gestes et les actions de Keating ces petites nuances que l’on a tous un jour observé chez ces professeurs, ceux qui nous terrifiaient autant qu’ils nous fascinaient, et on accepte bien volontiers ce sentiment malsain qui grandit en nous, cette envie de la suivre et de voir jusqu’où elle ira pour atteindre ses objectifs.
C’est du moins ce que ressentent ses cinq apprentis : que ce soit Michaela (Aja Naomi King), qui s’est battue toute sa vie pour sortir de la misère et pour pouvoir faire des études, ou bien Asher (Matt McGorry), dont la carrière judiciaire semble toute tracée de par le métier de son père, ou encore Wes Gibbins (Alfred Enoch), étudiant à l’allure peu exceptionnelle et qui semble sorti de nulle part, tous ont une raison bien plus importante que la simple réputation de l’école pour être là, et tous ont soigneusement et précisément été choisis par Keating. La personnalité de leur professeure déteint sur eux au fur et à mesure des saisons et des obstacles qu’ils doivent affronter, menant à une évolution des personnages aussi saisissante que l’histoire en elle-même. Tantôt alliés de Keating, tantôt complices et tantôt ennemis, ils construisent leurs propres voies en se perdant dans la sienne, en s’abandonnant à ses lubies et en tentant de s’en extraire, chacun devant payer un prix plus ou moins élevé. Le spectateur se délecte de les voir se débattre, et se reconnaît dans leurs contradictions, en ce qu’elles illustrent à la perfection les complexités humaines face à l’autorité, à la peur de l’inconnu, à la vraie vie, celle qui s’abat sur nous une fois notre cocon d’études disparu.
Ces personnages représentent tous, de par leurs contextes sociaux et leur personnalités diverses, un scénario auquel chacun d’entre nous peut, de près ou de loin, s’identifier : en plus de Michaela et Asher, on retrouve dans le personnage de Connor (Jack Falahee) un idéaliste peu sûr de lui, qui se bat pour extraire des recoins sombres du système juridique les outils nécessaires à devenir quelqu’un de bien, tout comme on peut voir dans Laurel Castillo (Karla Souza) l’ambition d’une enfant surprotégée et pourrie gâtée qui cherche désespérément à s’extraire d’une bulle familiale toxique. Quant à Wes Gibbins, qui se présente pendant les premières saisons comme le personnage principal, il incarne l’étudiant naïf au passé trouble qui développe avec sa professeure une relation à double-tranchant, qui peut soit très bien, soit très mal se terminer.
Finalement, que ce soient les étudiants ou les autres protagonistes, à l’instar de Bonnie (Liza Weil) et Frank (Charlie Weber), les associés d’Annalise, l’ombre de la célèbre avocate pèse sur tous ceux s’approchant un peu trop près d’elle, les confrontant à des épreuves qui, bien que poussées à l’extrême pour des besoins cinématographiques, sont une bonne métaphore du parcours chaotique qu’est l’entrée dans le monde adulte.
Ce que l’on retient des protagonistes, tous autant qu’ils sont, c’est une dualité plus ou moins tranchée qui se retrouve au sein de chacun. Il n’y a pas de héros, du moins pas sur le long-terme : le personnage semblant prendre le lead en tant que gentil peut basculer au rang de grand méchant d’un épisode à l’autre. Finalement, c’est ce manichéisme qui donne toute leur substance aux personnages et qui fait que l’on s’y attache : on adorera les détester, et on se détestera de les adorer en l’espace d’une petite minute.
Un fil rouge aux multiples nœuds
La première force de la série Murder, qui lui permet de se renouveler à chaque saison, est la déconstruction de son scénario principal. En effet, ce n’est pas tant l’histoire qui tient la série sur le long-terme, mais plutôt les protagonistes, qui se retrouvent sans-faute à chaque début de saison. Leurs aventures sont quant à elles nombreuses, précises, et rarement plus longues qu’une saison, permettant ainsi d’explorer divers angles et diverses problématiques, tout en gardant le fil rouge constitué par nos personnages. Cependant, ce choix de scénario constitue également un des points faibles de la série, en ce que l’on risque, à chaque fin d’« histoire », de voir la tension retomber et de ne pas réussir à la transférer à la suivante. Il y a aussi le risque possible de se perdre dans les entremêlements de la série, et de ne pas réussir à maintenir un intérêt constant, les multiples péripéties pouvant donner une impression de « trop » : on pourrait éventuellement s’y retrouver plus facilement si certaines actions mineures avaient été reléguées au second plan, ou même éliminées.
Cependant, ce côté énumératif des aventures contribue à donner son caractère haletant à la série : l’on peut être sûr que, si la saison est sur le point de terminer et une action de se conclure, il y a un autre meurtre, une autre condamnation, un autre accident qui nous attend au tournant. Cette sensation d’éternel suspense, de ne pas avoir le temps de reprendre son souffle donne à la série une certaine frénésie qui nous gagne et qui nous fait vivre chaque moment plus intensément, à condition d’avoir réussi à raccrocher la fin d’un problème avec celui qui le succède, pour former un train infernal semblant tourner en rond, sans jamais réussir à s’extraire de ses rails.
La multitude de mini-scénarios s’imbriquant les uns avec les autres permet également de développer en profondeur les personnalités et la croissance psychologique des différents personnages, en abordant leurs différents aspects en fonction d’une affaire en particulier : c’est le cas pour le personnage d’Asher, dont on voit l’évolution de « fils à papa » à avocat implacable suite à la découverte de l’implication de son père dans une affaire de corruption. Ou encore l’idéalisme de Connor qui prend forme lorsqu’il décide de prendre en charge le cabinet de conseil bénévole mis en place par Keating pour donner à tous une chance d’être défendus en justice. En plus de l’évolution des personnages, plusieurs thèmes plus que sérieux, comme la pédophilie, les erreurs judiciaires ou encore l’abus d’autorité sont mis en lumières dans des arcs parallèles, menés par une farandole de personnages pseudo-secondaires, à l’instar des irremplaçables Bonnie et Frank.
Plaidoiries enflammées, condamnations injustes, bains de sang récurrents…Murder nous plonge dans un univers multi-facettes duquel nous ne sommes pas sûrs, pendant quelques instants, de réussir à nous évader. Nous permettant de suivre un cours de droit avec attention, de vivre un procès avec passion, et de trembler de peur à l’idée que les forces de l’ordre débarquent avant que l’on ait terminé de cacher un corps, la série jongle avec nos contradictions humaines appliquées à la vie telle qu’elle peut être, difficile et injuste, et nous offre le plaisir de ne pas pouvoir détacher le regard de notre écran.