LITTÉRATURE

« Les Impatientes » ‒ Épouses et concubines

© Éditions Emmanuelle Collas

Le roman Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal recevait le 2 décembre dernier le Prix Goncourt des lycéens. Paru en septembre aux éditions Emmanuelle Collas, le livre dresse le portrait polyphonique de trois femmes Peuls mariées de force au nord du Cameroun.

Nuit de fête : on célèbre un double mariage. Ramla et Hindou, demi-sœurs, sont mariées le même jour. La première épouse un homme riche qui l’a aperçue une fois dans la rue. La deuxième a été promise à son cousin, Moubarak, un homme violent et impulsif. Enfin, dans l’effervescence des festivités, Safira ronge sa colère. Elle est la première femme d’Alhadji Issa qu’elle devra désormais partager avec la jeune et belle Ramla.

Longtemps en lice pour le prestigieux Prix Goncourt, Les Impatientes a finalement été récompensé du Prix Goncourt des lycéens début décembre. Après un premier passage par le festival Étonnants Voyageurs en 2019 et une distinction en tant que meilleure auteure africaine la même année donnée par Le Salon du livre de Paris, le grand public français a pleinement découvert Djaïli Amadou Amal avec la sélection de son dernier roman pour les prix littéraires de l’automne 2020. Si l’écrivaine camerounaise compte déjà trois romans à son actif, Les Impatientes est sa première œuvre publiée par une édition française dans l’Hexagone. C’est Emmanuelle Collas, l’éditrice de la publication française qui a proposé à la romancière d’adapter en réécrivant son troisième livre Munyal, les larmes de la patience (Proximité, 2017) afin « qu’il devienne universel, qu’il puisse être lu partout dans le monde ». Pari gagné pour cette nouvelle maison d’édition indépendante créée en 2018.

« Fiction inspirée de faits réels »

« Cet ouvrage est une fiction inspirée de faits réels » met en garde une des premières pages de l’ouvrage. Pour ces faits réels, Djaïli Amadou Amal s’est directement inspirée d’un système qu’elle a elle-même subit. Mariée de force à 17 ans à un homme politique très influent, elle a réussi après quelques années de mariage à fuir jusqu’à la capitale pour publier un premier livre. Cet acte courageux a été motivé par la volonté de ne pas reproduire le système du mariage forcé pour ses propres filles dans le futur  : « [J’ai publié mon roman à la capitale pour] être une voix suffisamment forte pour que le jour où mes filles seraient en âge d’être envoyées en mariage, je sois forte et que je sois assez connue pour pouvoir empêcher cela » confiait-elle à France Culture début décembre.

Celle que la presse camerounaise surnomme « la voix des sans-voix » a ainsi fait des violences faites aux femmes son cheval de bataille. Dans son premier roman, intitulé Walaande, l’art de partager un mari (Proximité 2010), la romancière donnait déjà le point de vue de plusieurs femmes auquel s’ajoutait en conclusion celui d’un personnage masculin. Avec Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal a choisi de donner la parole aux femmes seulement. Récit sans concessions, le livre aborde de front toutes les facettes des conditions de vie de ces femmes mariées de force : l’ennui, la terreur, le viol et autres violences physiques et psychologiques.

« Quel ennui ! La vie coule et tous les jours se ressemblent. Nous n’avons rien à faire sinon faire la cuisine et nous occuper des enfants. La monotonie nous assomme et nous tue du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin ».

Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal

Aujourd’hui Djaïli Amadou Amal œuvre pour le droit des femmes et leur éducation dans le Nord-Cameroun grâce à son association Femme du Sahel. Comme le montre son roman, le mariage précoce empêche toute possibilité d’émancipation puisque les femmes, lorsqu’elles ont la chance de ne pas être analphabètes, ne peuvent pas terminer leurs études et sont donc privées de la possibilité de travailler pour avoir un peu d’indépendance. La question de l’éducation est abordée sous un angle différent pour chacun des trois personnages dans le roman.

Trois femmes puissantes

Les Impatientes porte en son nom tout un programme de combat. Le mot « munyal », c’est-à-dire « patience », revient comme un leitmotiv. Le roman met en scène trois femmes qui décident de se rebeller chacune à sa manière contre ce mantra qui régit leur vie. Elles refusent de se plier au système et à ce que l’on attend d’elles.

« Sauvez-moi avant que je ne dépérisse entre quatre murs, captive. Sauvez-moi, je vous en supplie, on m’arrache mes rêves, mes espoirs. On me dérobe ma vie ».

Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal

Le livre met aussi à jour le manque de sororité et les rivalités qui peuvent peser dans les mariages polygames. Chacune des femmes se sent très seule dans cet univers : après le mariage, les épouses vivent dans des concessions plus ou moins riches qui se transforment en véritables mondes clos et hiérarchisés. Chaque épouse a un statut spécifique (la première épouse est nommée Daada-saaré), et le temps passé avec l’époux est organisé autour du walaande, un roulement de semaine en semaine. La solitude est d’autant plus pesante que les jeunes filles doivent attendre une année et l’accord du mari avant de pouvoir retourner en visite dans la concession parentale.

Autre lieu, autre époque, même histoire  : celle d’Épouses et concubines (1991) du cinéaste chinois Zhang Yimou. Le film raconte l’arrivée d’une quatrième épouse dans la demeure du riche maître Chen. Comme dans Les Impatientes, le long-métrage présente brillamment l’histoire de rivalités entre plusieurs concubines dont les vies sont strictement organisées et hiérarchisées. Deux récits intenses et fascinants. Le fort impact du livre de Djaïli Amadou Amal dans le monde littéraire représente un bel espoir puisqu’il est un beau modèle d’émancipation réussie.

Djaïli Amadou Amal, Les Impatientes, éditions Emmanuelle Collas, septembre 2020, 240 p., 17 €

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