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Après le succès critique de Femmes, femmes en 1974, Paul Vecchiali réalise un film pornographique contaminé par d’autres genres comme le polar et le mélodrame. Jouir puis mourir, vaste programme.
Dans la présentation qui accompagne le DVD de Change pas de main1, Paul Vecchiali fait part de ses inquiétudes de devenir un objet culturel après la reconnaissance induite par Femmes, femmes. Il est contacté par Jean-François Davy, cinéaste et producteur influent dans le genre du porno, qui lui propose de financer son prochain film si celui-ci s’inscrit dans le genre pornographique. Ce dernier accepte à condition de faire travailler toute l’équipe qui s’est occupée de Femmes, femmes. Le projet se concrétise et Change pas de main peut connaître une diffusion en salles sans classement X – la loi sortira pendant la deuxième semaine d’exploitation. Film bizarre, mû par une pulsion de mort qui laisse poindre de la tristesse, Change pas de main fait valser les genres cinématographiques avec une certaine malice.
Change pas de main est parfois considéré comme une œuvre mineure dans la filmographie de Paul Vecchiali. A y regarder de plus près, c’est peut-être dans ce film que Paul Vecchiali va le plus loin dans sa réflexion sur la puissance des images. Derrière l’imagerie pornographique – les actes sexuels ne sont pas simulés -, il y a la mort physique mais aussi une mort plus complexe, celle qui tue le désir. La dernière image est celle d’un crachat dans un miroir. Tout le monde est mort, y compris ceux qui errent dans Paris comme des fantômes.
Des cadavres à gogo
Une femme politique de premier plan (interprétée par Hélène Surgère) reçoit un film pornographique dans lequel apparait son fils. Elle fait appel à une détective privée (Myriam Mézières) pour débusquer ses maîtres-chanteurs. S’en suit toute une intrigue de polar pour comprendre le contexte de production de ce film pornographique. Ecrit avec Noël Simsolo, Change pas de main possède une structure proche du polar, avec ses cadavres qui sortent du placard et ses suspects qui ne sont pas les bons. Mais ici, le crime à élucider ne procède pas d’un meurtre, mais d’une image politique, celle qui pourrait compromettre les ambitions d’une politicienne. Le film pornographique est ce cadavre que l’on aimerait cacher.

Ce cadavre à dissimuler possède une force politique. Les photos pornographiques qu’espèrent récupérer le personnage d’Hélène Surgère se mêlent à des photos de militaires, d’anciens de l’OAS (Organisation Armée Secrète) pendant la guerre d’Algérie. L’objet du scandale, l’image, est plus puissante et profonde que les tirs échangés pendant le film. En effet, dans la première séquence au cabaret, plusieurs personnages sont tués avec une rapidité dans l’exécution. À noter que les meurtres sont souvent des tirs à côté, qu’ils ne visent rarement celui qui a le pouvoir. L’image a aussi un pouvoir cannibale puisque les acteurs du film dans la diégèse se tuent en faisant l’amour dans la dernière orgie filmée. On baise avant de crever dans Change pas de main. C’est ce que capte la caméra dans cette même scène, quand une femme est plantée par une paire de ciseaux en pleine orgie.
Miroir, dis moi qui je suis
L’image qui est au cœur du récit dévoile les affects profonds des personnages. Dans la cabine de projection, l’excitation du plaisir solitaire vient fracasser la crainte d’un chaos généré par la diffusion de ce film à la presse. En regardant dans ce puits d’images, les personnages trouvent parfois leur chute mais aussi leur rédemption. C’est le cas de la détective qui mêle sa fascination pour ces images au dégoût suscité par son reflet dans un miroir. Que ce soit des images pornographiques ou militaires, la réaction des personnages est sensiblement la même. L’image, c’est l’Histoire. C’est donc un refoulé (la guerre d’Algérie) ou une image qui perturbe l’ordre, celui qui est nécessaire à l’élection du personnage incarnée par Hélène Surgère. Change pas de main se sert du genre pornographique pour aller plus loin, déceler la violence qui amène ces corps à s’enlacer mais aussi à interroger la puissance d’une image anarchique.
Au milieu de ce chaos, le fils de la politicienne ne prononce pas un mot lorsque la détective le récupère au cabaret. Il pousse des cris, a des pulsions de violence lorsqu’il tourne des scènes pornographiques. Jean-Christophe Bouvet laisse déjà apercevoir tout son talent qui se confirmera deux ans plus tard dans La Machine, réalisé par le même Paul Vecchiali. C’est un personnage dérangeant, qui n’entre dans aucune case morale. Il prend en charge toutes les pulsions de violence des personnages, jusqu’à perdre son humanité. Le trouble doit donc être évacué pour mener au consensus.
Il y a bien quelques jeux de mots à attraper dans le film, un goût prononcé par la comédie musicale et une façon touchante de peindre les personnages. Si on met de coté ces quelques points, c’est peut-être l’un des films les plus noirs de Paul Vecchiali. Aucun personnage ne va sortir de cette épreuve heureux. L’ordre revient au petit jour quand le seul personnage décrit comme propre dans cette intrigue arrive au sommet du pouvoir.

1Présentation disponible dans le coffret édité par Shellac Sud en 2015.