LITTÉRATURE

« La Voleuse de fruits » de Peter Handke – Les égarements d’un Nobel

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Dans son nouveau livre La Voleuse de fruits, Peter Handke balade son lecteur dans la région Île-de-France. C’est un vagabondage sous forme de long monologue que nous propose le Prix Nobel de littérature 2019.

En 2019, alors que Peter Handke va recevoir le Prix Nobel de littérature, des polémiques refont surface. On reproche à l’écrivain autrichien ses positions pro-Serbe lors des guerres de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Le romancier avait publié un pamphlet intitulé Justice pour la Serbie en 1996, soit un an après la fin des conflits en Croatie et en Bosnie. Un an aussi après le génocide de Srebrenica en juillet 1995, durant lequel plus de 8 000 hommes et adolescents bosniaques furent massacrés. Peter Handke avait de nouveau marqué ses positions en 2006, en se rendant aux funérailles de l’ancien président de la République fédérale de Yougoslavie, Slododan Milošević, accusé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Suite au décès prématuré de l’homme politique pendant son procès, aucun jugement n’avait été prononcé.

Ces polémiques ont été un coup dur pour l’Académie Nobel qui avait dû reporter sa remise de prix l’année d’avant après des révélations de viols et d’agressions sexuelles visant Jean-Claude Arnault, époux de l’une des membres de la célèbre institution. C’est donc dans ce contexte tendu que l’écrivain a été distingué du Prix Nobel pour son œuvre qui, «  forte d’ingénuité linguistique, a exploré la périphérie et la singularité de l’expérience humaine » comme l’a expliqué Mats Malm, secrétaire de l’Académie suédoise.

« Joue le jeu. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intentions. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Implique-toi et méprise la victoire. N’observe pas. N’examine pas, mais reste prêt pour les signes. »

Peter Handke, Conférence du Nobel 2019, trad. Georges-Arthur Goldschmidt

C’est ainsi que Peter Handke a ouvert son discours de réception du Nobel, reprenant son poème « Par les villages ». Publié pour la première fois dans les pays germanophones en 2017, La Voleuse de fruits contient tous les ingrédients de la recette qui a fait gagner deux ans plus tard le prestigieux prix à son auteur. Sous-titré « Aller simple à l’intérieur d’un pays », le roman décrit trois jours de la vie d’une voleuse de fruits nommée Alexia. Le récit est au départ construit comme une autofiction : le narrateur, écrivain autrichien, habite près de Paris comme le romancier. Il raconte des épisodes de son enfance et son départ de Paris en train vers le sud, avant de s’effacer pour suivre pleinement Alexia dans ses errances.

Le livre, contrairement à la voleuse, est difficile à suivre. Partie à la poursuite de sa mère banquière, Alexia vivote pendant trois jours en régions parisienne dans « la ville nouvelle de Cergy ». Très sinueux dans sa narration, le roman suit le fil des pensées du narrateur qui semble parfois oublier qu’il s’adresse à un lecteur ou une lectrice. Sans explications la chapardeuse se retrouve dans des situations incongrues : elle se fait par exemple inviter à dormir dans une maison chez des inconnus en deuil et s’en va le lendemain sans avoir quasiment parlé à personne.

«  Rien n’était-il donc comme toujours en cette journée d’été ? Erreur : c’était comme toujours. Tout ? Tout. Tout était comme toujours ! Qui disait ça ? Moi. Je le décidai. Je le fixai. Je déclarai : c’était comme toujours. Point d’interrogation ? Point. »

Peter Handke, La Voleuse de fruits, trad. Pierre Deshusses, relu par l’auteur.

Autre point étrange, les questions rhétoriques parfois accessoires s’enchaînent, suivies de réponses inutiles. L’effet est plus agaçant et redondant qu’introspectif puisque leur lourdeur les rends artificielles et pesantes. Une dimension méta-réflexive opaque heureusement compensée par le sens du détail de l’écrivain.

« [D]epuis des années une occupation qui me tenait à cœur : suivre du regard la moindre chose.  »

Peter Handke, La Voleuse de fruits, trad. Pierre Deshusses, relu par l’auteur.

L’auteur de La Leçon de la Sainte-Victoire (1985) qui témoignait dans ce livre de son admiration pour le peintre Paul Cézanne semble s’être inspiré pour La Voleuse de fruits du poète Friedrich Hölderlin qu’il nomme d’ailleurs son « cher covagabond » dans le roman. Un livre placé sous le signe de l’errance, qui égare son lecteur plus qu’il ne l’accompagne.

Peter Handke, La Voleuse de fruits, éditions Gallimard, novembre 2020, 390 p., 23€

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