LITTÉRATUREPetite maison, grandes idées

Petite maison, grandes idées #7 – Éditions Tusitala

© Montage de Maze à partir des graphismes de parutions des Éditions Tusitala.

Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci, nous allons à la rencontre de Carmela Chergui, fondatrice des Éditions Tusitala, avec Mikaël Demets.

La naissance des Éditions Tusitala émane d’une rencontre, celle qui rassemble Mikaël Demets, journaliste, et Carmela Chergui, attachée de presse pour les maisons d’édition de bande dessinée L’Association et le Fremok. Comme nous l’explique Carmela Chergui, des rituels amicaux autour de la littérature s’installent entre eux sous la forme d’échanges de livres et de discussions animées dans des cafés ou dans Paris : « Les couvertures, les auteurs, les éditeurs, les papiers, ça nous passionnait d’échanger autour de ça ». Finalement, entre les festivals et les rencontres littéraires, l’idée de fonder leur propre maison d’édition finit par germer dans leurs esprits. « À force de regarder les autres faire des livres nous avons commencé à avoir envie de le faire nous aussi, et nous nous plaisions à imaginer ce que nous allions publier et comment serait constituée notre équipe.  » Et c’est ainsi que les Éditions Tusitala fleurirent, comme le fruit d’une belle collaboration et d’une amitié sincère autour des livres et de leurs richesses .

Vous avez choisi un nom de maison dont le sens englobe, étrangement, à la fois Stevenson et une espèce particulière d’araignée, pouvez-vous nous en dire davantage ?

C’est vraiment pas simple de se choisir un nom. Tout parle, tout sonne prétentieux, tout évoque brutalement une ligne éditoriale, tout est trop vite à la mode puis trop vite démodé. Depuis, je regarde attentivement les noms des autres structures, je ne me moque plus. On s’est dit qu’il fallait que ce soit un mot qui évoque une sonorité plutôt qu’un sens, pour ne pas gréver le contenu éditorial. Mikaël avait des bonnes idées, moi c’était catastrophique. J’ai même voulu qu’on s’appelle Opération Massacre parce que j’adorais ce livre. J’ai encore des sueurs froides quand j’y pense. Du coup, Tusitala, c’était en effet le surnom de Stevenson, qui est un type qu’on aime vraiment bien, et qui avait été remis en valeur par les éditions Anacharsis (ils venaient de publier La Mort de Tusitala). Quand on a su que c’était aussi une araignée, l’image de la toile et du lien nous a semblé de bon augure. En tous cas ça a inspiré notre graphiste ; il a trouvé une faucheuse desséchée sur le mur de son bureau et il s’en est servi pour le logo.

©Tusitala (logo)

À qui s’adressent vos ouvrages ? Quelle relation entretenez-vous avec votre public ?

On n’a jamais vraiment pensé en terme de public cible. On s’est juste dit que si on aimait bien des livres il n’y avait pas de raison pour qu’on soit les seuls à les trouver chouettes. Alors bien sûr notre relation avec notre public, qu’on connaît assez peu, est axée sur le fait qu’on aime lire les mêmes choses et qu’on est bien contents de partager nos goûts.

Lorsqu’on a vos ouvrages entre les mains, on remarque immédiatement qu’une grande attention est portée à l’esthétique et à l’objet livre. Vous publiez même certaines œuvres illustrées comme le récent Manuel de civilité Biohardcore. Pouvez-vous nous parler du rôle du graphisme ou de l’illustration dans votre projet éditorial ?

Notre graphiste c’est Stéphane de Groef. Je le connais parce qu’il est aussi graphiste au Frémok, où je travaillais, et on a toujours trouvé, avec Mikaël, qu’il faisait des miracles. Ses couvertures étaient souvent inattendues, il avait des idées vraiment marrantes et il est très rigoureux. On a toujours voulu travailler avec lui, et ça va de pair avec le fait que quand il nous a parlé du Manuel de Civilité Biohardcore et nous a montré les premières planches, nous avons tout de suite eu envie de le publier en coédition avec le Frémok : ça faisait sens pour lui et pour nous, et ça nous ouvrait un pont vers l’image.

Il y a une tradition éditoriale littéraire française qui tend à rendre l’objet livre le plus neutre possible pour laisser vivre le contenu du texte. Je trouve ça magnifique dans l’idée. Après, c’est quand même un moment super d’élaborer la couverture à chaque livre, même les auteurs sont contents. Je n’imagine pas qu’on puisse s’en passer, on adore ça. On a voulu garder une certaine sobriété en ne mettant pas d’illustration en couverture, et Stéphane a eu l’idée de jouer avec des trames qui passent sur et sous une typo. Dans de nombreuses maisons d’édition qui s’attachent à l’image, la question de l’objet livre est primordiale, et on avait envie de conserver cette conception là. Et puis un livre moche, c’est vraiment triste. Personne n’a envie de le lire ni de l’acheter, le pauvre.

Qu’est-ce qui, selon vos critères, est la clef d’un bon livre ?

C’est assez dur de répondre à ça, mais je trouve, avec l’expérience, que souvent, quand on commence un livre et qu’on arrête la lecture en se disant « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » puis « mais qui a fait ça ? » en général c’est bon signe. On a ressenti ça en recevant Francis Rissin, en lisant La Faction cannibaleLa Bouche pleine de terre ou encore Jacqui. Après, il y a des choses plus classiques, tout simplement des bons romans, dont on ne lâche pas la lecture, et ça on sait qu’on peut les faire, qu’on trouvera le public pour le lire.

Pouvez-vous justement nous en dire un peu plus de votre dernière parution : La Faction cannibale que vous présentez comme une «  histoire du vandalisme éclairé » ?

C’est un essai paru en 2012 en Espagne. Son auteur, Servando Rocha, est avant tout éditeur de nombreux textes sur les sociétés secrètes, l’avant-garde et la contre-culture. Il lit énormément. Dans la suite d’un Greil Marcus ou d’un Tim Ingold, il n’hésite pas à décloisonner les disciplines et les références pour nourrir son propos, ce qui est très vivifiant. Dans La Faction cannibale, il dessine une histoire du terrorisme, de la fascination qu’éprouve le public devant des scènes qui le pétrifient d’horreur. Pour ce faire, il convoque de nombreuses références de tous bord et de toutes les époques, et il nous parle entre autres de la joie et des danses qui côtoient la violence dans les manifestations, de la nature esthétique des crimes commis par Jack l’Éventreur, de l’incroyable secte Shaker, de la Révolution française, d’Andreas Baader, du punk et de William Blake. On ne comprend pas bien comment il se débrouille mais tout est très cohérent, malgré les allers-retours temporels et les références tout-à-trac, et rien n’est jamais cynique.

©Tusitala (couverture de La faction cannibale, Servando Rocha, Editions Tusitala, 2020).

Nous vivons en ce moment une situation difficile avec la pandémie, notamment pour les commerces et entreprises indépendantes. Comment allez-vous  ? J’ai vu que vous avez offert à vos lecteurs une nouvelle de Martin Mongin, Le Georgi, sur votre site. Avez-vous envisagé des alternatives dans la diffusion ou la communication au sein de votre maison en ce temps de confinement ? Si vous réussissez néanmoins à vous projeter, avez-vous des projets futurs en perspective ?


Nous avons été pris de court avec la pandémie et nous attendons sagement la fin de la seconde vague, sans rien imaginer mis à part le fait de refaire nos plannings de parution et de repousser les échéances. Nous avons toujours eu de bonnes relations avec les libraires et ce qui compte pour nous, à l’heure actuelle, c’est qu’ils puissent s’en sortir sans perdre de plumes. Parce que sans librairie, ça ne sert pas à grand chose de faire des livres.

Plus d’informations sur les ouvrages évoqués dans cet article et sur les prochaines sorties sur le site des Éditions Tusitala.

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