SOCIÉTÉ

Migrations climatiques : le défi du siècle ?

En 2018 la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme : 143 millions de personnes risquent de se déplacer, parfois au sein même de leur pays, en raison du changement climatique. Un enjeu que la communauté internationale peine encore à prioriser malgré la nécessité urgente de clarifier ce phénomène de migrations climatiques.

L’être humain comme nous le connaissons aujourd’hui est loin d’être le premier à migrer. Si nous sommes tous aujourd’hui migrants, que ce soit au sein même de notre pays ou à l’étranger, nos ancêtres l’étaient encore davantage. Il semble en effet difficile d’admettre que la sédentarité n’a jamais été la norme de notre espèce. De l’Homo Néandertal à l’Homo Sapiens, l’espèce humaine s’est toujours adaptée à son habitat, changeant fréquemment d’environnement en fonction du climat et de la richesse des terres. Cependant, la planète bleue n’a jamais abrité autant d’humains qu’à l’heure actuelle, près de 8 milliards, consommant les ressources annuelles d’1,6 Terre.

«  La Terre est une, le monde lui ne l’est pas » 

C’est ainsi que débutait le rapport Brundtland [CMED] fondateur du développement durable en 1987. Cette phrase fait aujourd’hui encore plus sens au regard des déréglements climatiques qui frappent à intensité variable les populations du globe. Si le changement climatique est incontestable sur toutes les surfaces de la planète, ses conséquences sont sensiblement différentes d’une région à l’autre.

Le rapport fourni par le Groupe d’experts intergournemental sur l’évolution du Climat (GIEC) en 2018 alerte sur les effets d’un réchauffement planétaire de 1,5°C. Il ajoute que « les risques liés au climat pour la santé, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, la sécurité des personnes et la croissance économique devraient augmenter.  » Ce constat est sans appel, les populations déjà sujettes à des conditions climatiques extrêmes vont subir de plein fouet les conséquences du changement climatique.  Les facteurs socio-économiques et démographiques vont se montrer décisifs dans le coût humain de ce phénomène. 

«  La nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et si les habitants de cette grande ville eusent été dispersés plus également et plus légèrement logés, le dégât eut été beaucoup moindre et peut être nul.  »

Jean-Jacques Rousseau en 1756 au sujet du tremblement de terre de Lisbonne. 

En matière d’urbanisme par exemple, les sociétés occidentales possèdent davantage de réglementations visant la protection des populations en zones à risque. Une telle sécurité juridique reste très fragile dans les pays en voie de développement, les rendant plus vulnérables face au changement climatique. 

Un concept encore difficile à définir 

Les migrations climatiques sont à différencier des migrations environnementales, plus englobantes. L’Organisation internationale des migrations (OIM) définit les migrants environnementaux comme étant « les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. » Dans cette définition, il n’est question du changement climatique que de manière tacite. Il est alors préférable d’utiliser le terme migration climatique lorsqu’il est question d’un déplacement directement causé par le changement climatique, lui même provoqué par l’activité humaine. 

Les dernières estimations sur le nombre de migrants environnementaux oscillent entre 150 et 300 millions en 2050.

Mais plusieurs questions méthodologiques se posent, comment déceler l’impact de l’homme sur un phénomène naturel ? Il semble en effet complexe de prouver la causalité entre le changement climatique et une catastrophe naturelle qui impacterait une population. Si l’occurence d’un cyclone a augmenté de 15 % selon de récentes études (cf. Le Grand continent), celui-ci a toujours existé. Il apparaît alors difficile d’attribuer au dérèglement climatique la survenue de toutes les catastrophes naturelles.  De plus, comment justifier le déplacement d’individus au seul fait du changement climatique ? De nombreuses variables socio-économiques et politiques entrent en jeu lorsqu’un individu décide de quitter ses terres d’origines. 

L’urgence de demain a déjà commencé 

En pleine pandémie de Covid-19, difficile de se projeter vers l’avenir et de penser à d’autres préoccupations que celles liées à la situation sanitaire. Pourtant, ces deux enjeux, le dérèglement climatique et la santé publique, ne sont pas antagonistes. Plusieurs modélisations indiquent que le changement climatique et la destruction progressive de la biodiversité peuvent multiplier l’émergence d’épidémies dans les décennies futures. La question des migrations environnementales est donc plus qu’actuelle. Les stratégies pour endiguer le changement climatique doivent tenir compte du risque sanitaire lié, en partie, aux déplacements de populations.

Si le phénomène des migrations environnementales semble encore loin en France, le changement climatique engendre déjà de nombreux déplacements dans d’autres régions à travers le globe. En 2019, c’est plus de 97,7 millions de personnes qui ont été affectées – sinistrées ou déplacées – par des catastrophes climatiques selon les estimations préliminaires du Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres (Cred) de l’Université de Louvain.

L’Asie du Sud-est est l’une des régions les plus touchées par ces bouleversements météorologiques. Les moussons et les périodes de sécheresse y sont de plus en plus extrêmes, rendant les récoltes incertaines à tel point que plus de 8 millions de personnes ont déjà migré vers l’Europe, l’Amérique ou le Moyen-Orient selon la Banque Mondiale. L’Inde et le Bangladesh ont notamment souffert des inondations depuis le début de l’année 2020, causant plus de 5 millions de déplacés en quelques mois.

Le continent africain n’est pas épargné, la région sahélienne subit de plein fouet les températures extrêmes, poussant les habitants ruraux à fuir par millions vers le littoral.  Cet exode rural vers les régions côtières va amplifier la tension démographique qui pèse déjà sur les villes. De plus, considérant le nombre de déplacés selon le type de catastrophe naturelle, les inondations sont celles provoquant les plus importants flux migratoires. Un sérieux problème s’impose aux populations fuyant les conditions hostiles des terres vers les côtes, elles-mêmes sujettes à des bouleversements environnementaux.

Le Grand Continent

Un défi juridique

Depuis 2010, la migration a fait son entrée au coeur des négociations internationales sur le climat avec le texte de Cancun cadrant les politiques d’adaptation au changement climatique. Jusqu’alors, les migrants environnementaux étaient protégés par le droit international au même titre que tous les migrants. Depuis 1966 et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que les droits civils et politiques, chaque État signataire doit assurer le respect des droits de l’homme et la protection de toute personne quelque soit son statut sur le territoire (originaire du pays ou non, en situation régulière ou irrégulière). Les migrants ont également la garantie de pouvoir rentrer dans leur pays d’origine et inversement, le principe de non-refoulement leur assure de ne pas y être forcés. 

Pourtant les migrants environnementaux ne peuvent prétendre au statut de réfugié au sens établi par la Convention de Genève de 1951. Celle-ci définit un réfugié comme un individu qui quitte son pays d’origine  «  par crainte avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance communautaire, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques  ». La menace du changement climatique n’entre pas en compte ici car elle n’est pas considérée comme volontaire et intentionnelle. De la sorte, le terme de réfugié climatique n’a aujourd’hui aucune valeur juridique. 

Bien que les migrants environnementaux soient protégés par le droit international, l’ampleur du phénomène risque de dépasser ces dispositions d’où la nécessité d’un nouveau cadre juridique.

L’une des principales faiblesses du système actuel est entre autre son caractère non-contraignant. L’initiative Nansen entre 2012 et 2015 marque un premier tournant dans la recherche d’un consensus pour la protection des migrants environnementaux. Le résultat de cette initiative est encourageant, 110 Etats ont adopté à l’automne 2015 un «  agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique  ».

L’enjeu migratoire en lien avec le défi climatique sera central dans les années à venir. La communauté internationale doit d’ors-et-déjà se saisir de ce phénomène afin de limiter au mieux ses effets négatifs sur le long terme. Un long travail d’adaptation est nécessaire pour faire des flux migratoires une partie de la réponse apportée au changement climatique, mais pas seulement. Le défi posé par les vagues migratoires est multiple et concerne tous les Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par les Nations Unies (ONU) en 2015. Éradiquer la pauvreté, la faim et réduire les inégalités, assurer l’accès à une eau propre, à l’éducation et lutter contre le dérèglement climatique, tous ces objectifs ambitieux risquent d’être compromis par les migrations climatiques. Au-delà des questions purement environnementales, les déplacements en lien avec le changement climatique vont engendrer de fortes concentrations de populations dans des zones restreintes et accentuer la pauvreté, la faim et les inégalités, parfois exacerbées par des conflits armés. L’ONU et ses agences, avec le soutien de tous les États, doivent alors prendre en compte ce phénomène en le clarifiant dès maintenant pour atteindre ces ODD avant 2030.

Une chose est certaine, la présente organisation des populations n’est pas pérenne, et une redistribution des cartes ébranlera le monde actuel d’ici la fin du siècle.

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