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LUNDI SÉRIE – « The Haunting of Bly Manor », la mémoire dans la peau

© Netflix

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «  petit écran  » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Après un crochet au cinéma avec Doctor Sleep, Mike Flanagan et ses producteurs décident d’offrir une deuxième saison à The Haunting of Hill House. Récit anthologique, l’intrigue et les personnages n’ont rien à voir avec la première saison. On passe d’une histoire d’épouvante à un beau mélodrame, peuplé de fantômes qui émergent du brouillard de l’histoire.

The Haunting of Hill house était un bijou d’écriture, relevé par une mise-en-scène qui savait ménager les purs instants d’effrois et les moments mélodramatiques. On suivait une famille disloquée par la mort d’une femme. Son décès s’est déroulé dans une grande maison, occupée par la famille le temps de travaux herculéens à effectuer avant la revente. Chaque aile de cette bâtisse laissait entrevoir des secrets enfouis à travers les siècles qui surgissaient dans le présent par le truchement de fantômes, filmés comme des personnages en vie. C’est aussi ça la beauté du médium, son éternité qui remet en perspective l’aspect vivant d’un personnage. Le cinéma, mais aussi la série, est forcément un art du passé puisqu’il enregistre ce qui a déjà eu lieu. L’intelligence de Mike Flanagan, qui signait la réalisation de tous les épisodes, était de rendre sensible la contamination des différentes lignes narratives et temporelles. Au bout du compte, personne ne quittera cette maison et la promesse sans cesse repoussée de ce que recouvre cette immense porte rouge nourrissait le suspense.

Deux ans plus tard, Mike Flanagan est seulement crédité à la réalisation du premier épisode avant de laisser la main à des cinéastes qui ont surtout officié dans le genre horrifique, rarement avec un grand succès. Si l’histoire est racontée sous la forme d’un long retour en arrière, le premier plan post-générique suggère un vagabondage mémoriel aux contours brumeux, à la véracité sans cesse remise en cause. Une femme sort sa tête d’un étang, provoquant le réveil du personnage qui va raconter l’histoire qui s’étalera sur neuf épisodes. Son récit, conté lors d’un mariage, a pour décor un manoir anglais qui évoque l’architecture d’Hill House. Les deux enfants de cette maison ont perdu leurs parents, obligeant l’oncle (Henry Thomas) à engager une personne pour s’occuper d’eux. Une jeune américaine (Victoria Pedretti) accepte ce poste, croyant fuir un passé amoureux qui la tourmente. Comme dans The Haunting of Hill House, le manoir semble prendre vie et fait ressurgir toutes les histoires d’amour tragiques qui le hantent depuis des siècles, depuis les tréfonds de l’étang domanial.

The Haunting of Bly Manor Unveils First Trailer and Release Date | Den of  Geek
Flora (Amelie Bea Smith) © Netflix

Ô Saule, je meurs

Dès le premier épisode, Mike Flanagan reprend l’idée de contamination des lignes temporelles et narratives notamment par l’intermédiaire du son et des mots. Lorsque Danielle arrive à Bly Manor pour s’occuper des enfants, elle trouve la petite fille près de l’étang en train de réciter la poésie qu’un personnage déclamait quelques minutes auparavant dans l’épisode mais des années après dans la diégèse. La mémoire devient donc l’enjeu de la saison, cette mémoire qui donne corps aux personnages mais qui les écrase aussi pour mieux les noyer. C’est donc une belle idée que d’ouvrir la série sur un long retour en arrière, plaçant le spectateur dans une certaine confusion temporelle. La décoration du manoir et la photographie de cette saison brouillent les pistes quant à une datation possible. Le cadre volontairement idyllique du premier épisode qui évoque directement Twin Peaks est une reconstitution a posteriori du personnage-narrateur qui évoque avec gourmandise sa première rencontre avec les lieux.

La bizarrerie pointe son nez assez rapidement, entre l’attitude des enfants et ce sentiment morbide qui habite la nuit. Tout est déjà là mais rien n’est clair pour le spectateur. Au deuxième visionnage, tout semble limpide à la manière du Sixième Sens de Shyamalan. C’est ce qui fait le sel des premiers épisodes qui n’hésitent pas à prendre le temps de peindre les personnages. Comme cela a pu être souligné, l’épouvante perd en superbe pour s’effacer devant le mélodrame. À regarder de plus près, ces histoires de fantômes sont surtout des histoires d’amour brisées. La mort vient souvent rompre une passion amoureuse comme en atteste la trajectoire de l’héroïne de cette saison. À  repousser un passé morbide et en n’interprétant pas les signes qu’il dispose, les personnages sont poursuivis par l’angoisse, de celle qui pousse à la violence ultime.

Perdons-nous dans ta mémoire

Si le récit conserve parfois une structure similaire à la première saison notamment en offrant un épisode par personnage, l’écriture se déplace à la verticale en circulant entre les différentes couches d’un mille-feuille temporel un peu complexe. Une fois de plus, c’est la réunion autour d’un feu (ou d’une table) qui enclenche les souvenirs mais sur un mode différent. Les fantômes ne viennent plus hanter les vivants de leur culpabilité mais le personnage d’Hannah (géniale T’Nia Miller) plonge dans ces failles temporelles pour revivre, à la manière du mythe de Sisyphe, un instant avec Owen, le cuisinier de Bly Manor. L’épisode nous balade ainsi entre plusieurs années et plusieurs scènes dans le but de retarder sans cesse la capacité d’Hannah à dire je t’aime. Ces trois mots qu’elle aurait du prononcer dans les quelques secondes d’intervalles qui séparent réellement la première scène de l’épisode et la dernière. Son impossibilité à être présente, ce qui touche tout le monde, lui empêche de s’émanciper de son récit de personnage cantonné à l’espace domanial. C’est le nerf du genre mélodramatique et ce qu’il y a de plus réussi dans cette saison.

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Owen (Rahul Kolhi) et Hannah (T’Nia Miller) © Netflix

Vertige de la non-rencontre entre deux personnages, l’épisode cinq accélère le rythme de la série qui ne cesse de nous balader à travers les époques jusqu’à la fin. On voit bien l’inspiration littéraire qui irrigue l’épisode huit, puisque cette saison tire son inspiration du roman Le tour d’écrou d’Henry James. Cet épisode est entièrement réalisé en noir et blanc et situe son action vers le milieu du XVIIème siècle. La photographie est assez laide et l’ambiance démontre un certain manque de moyens dans la volonté de restituer l’atmosphère d’une époque. Les auteurs pourraient rétorquer que nous entrons dans l’imaginaire de la narratrice qui, dans son espace mental, se représente le XVIIème siècle de cette manière, à savoir un défilé de costumes mâtiné de crasse et de faux-semblants. Cela étant, l’entièreté de l’intrigue se concentre sur un triangle amoureux morbide qui donne une explication aux traces de boues qui apparaissent chaque nuit dans les couloirs de Bly Manor.

Ce qui fait l’étrange beauté de The Haunting of Bly Manor, c’est cette propension à figurer l’oubli comme un destin bien plus cruel que la mort, à tisser des histoires d’amour tragiques et à donner du corps à ce qui ne semble pas être filmable ou échappant à la conscience humaine. Le vrai regret, c’est de ne pas retrouver Mike Flanagan à la réalisation de tous les épisodes, lui qui reste l’un des cinéastes les plus passionnants à avoir débuté sur Netflix. Dans une des dernières scènes trop consciente d’elle-même, les auteurs s’adressent aux spectateurs en lui formalisant ce qu’il pressentait : The Haunting of Bly Manor est une histoire d’amour, pas une histoire de fantômes.

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