© capture d’écran New York Times / nytimes.com
Comme beaucoup d’observateurs le prévoyaient, on ne connait pas ce mercredi le nom du président des États-Unis pour les quatre ans à venir. Le scrutin est extrêmement serré et de nombreux bulletins restent à dépouiller dans des États clés. Donald Trump revendique la victoire, Joe Biden accuse le coup et patiente.
Certains se sont couchés abasourdis. D’autres se réveillent ce matin groggys. Sans compter ceux qui n’ont pas dormi de la nuit. Le temps s’est figé aux États-Unis dans cette nuit du 3 au 4 novembre, comme cette carte des résultats par État, qui n’évolue plus, laissant les Américains dans le flou le plus complet : 227 grands électeurs pour Joe Biden, 213 pour Donald Trump (chiffres New York Times). Voilà la situation, à l’heure où le soleil se lève sur la côte Est du pays. Aucun des deux candidats ne franchit la barre fatidique des 270 grands électeurs nécessaires pour l’emporter. La nuit est terminée, et il faut désormais attendre. Combien de temps ? Personne ne le sait.
Pendant les premières heures de dépouillement, quelques réactions d’espoir et de doute nous sont parvenues. Andy, retraité noir américain résidant en Virginie nous a fait part de ses impressions : « j’ai envie de croire qu’il est trop tôt pour lire quoi que ce soit dans les premiers dépouillements. Certains États vont évidemment à Trump, comme le Kentucky qui a toujours été très conservateur. Heureusement, mon État est passé aux démocrates. La Virginie n’a plus laissé Trump passer. Pour le reste, j’attends. Il faudra peut-être des jours, mais j’attends. » L’heure est donc au réalisme et à la patience.
Six États détiennent la clé du scrutin
Mais alors que se passe-t-il pour que la situation soit telle ? Il manque des résultats définitifs dans huit États au total. Et parmi eux pas des moindres : l’Arizona (11 grands électeurs), le Wisconsin (10), le Michigan (16), la Caroline du Nord (15), la Géorgie (16) et la Pennsylvanie (20). Ces six États sont importants parce qu’ils peuvent basculer d’un côté ou de l’autre, et ainsi faire basculer l’élection. Ce sont les « swing states », les États-pivots, qui passent de démocrate à républicain, ou inversement, en fonction des élections. Contrairement aux États qui ne changent jamais de couleur : New-York et Californie pour les démocrates par exemple, Alabama et Tennessee pour les républicains.
Il manque ces résultats définitifs d’abord parce que les scores sur les bulletins dépouillés sont très serrés entre Joe Biden et Donald Trump. Impossible donc pour les médias de faire des projections fiables pour le moment. Et surtout, il manque par endroits beaucoup de votes : en Pennsylvanie par exemple, État présenté comme le plus important, il reste encore 26 % des bulletins à dépouiller. Le retard est dû aux votes anticipés et par correspondance : 100 millions d’Américains y ont eu recours, c’est un record. Sauf que si en Floride par exemple on a commencé à compter ces bulletins en avance, la Pennsylvanie elle ne va commencer à le faire que ce mercredi (en fin de journée heure française). Dans certains bureaux d’autres États comme la Géorgie, le comptage a été suspendu hier à 22h30 heure locale car il était trop tard, pour ne reprendre qu’au matin. Impossible donc d’avoir les résultats.
Trump se déclare vainqueur, Biden très prudent
Malgré l’impossibilité totale de déclarer un vainqueur, le président sortant le clame haut et fort : « nous nous préparions à remporter cette élection, nous l’avons remportée », assure Donald Trump, monté sur l’estrade devant ses supporters à Washington D.C aux alentours de 2h30 du matin, heure locale. Fidèle à lui-même, le président américain assure qu’il va remporter la Pennsylvanie, et estime qu’une « fraude est en cours » de la part des démocrates. Il a promis « d’aller devant la Cour suprême des Etats-Unis pour que tous les votes s’arrêtent et qu’ils ne trouvent pas des bulletins à 4 heures du matin. »
Les supporters de Trump soutiennent ce discours. Plus tôt dans la soirée, alors que le dépouillement avait à peine commencé, Mike, fervent republicain depuis toujours tenait déjà ce discours : « les deux seuls sondeurs qui avaient déterminé correctement l’issue du scrutin étaient Matt Towery de InsiderAdvantage Group, et Robert Cahaly du The Trafalgar Group. Tous les autres avaient tort. Ce sont les seuls sondeurs indépendants des Etats-Unis. Les autres sont influencés politiquement. Cela impactera la diffusion des résultats, c’est certain. » Les éléments de langage et les critiques propres à la campagne de Donald Trump rentrent dans le discours de ses partisans. Reste à savoir si les poursuites et recours qu’intentera peut-être le président sortant seront soutenus par ses électeurs.
Un peu plus tôt dans la nuit, Joe Biden se montre un poil plus mesuré que son adversaire républicain, mais sans renoncer à l’optimisme : « nous pensons être sur le chemin de remporter cette élection, à cause du vote anticipé et par courrier sans précédent. » Le candidat démocrate attend fébrilement les résultats des derniers États, surtout qu’il a subi quelques revers importants durant la nuit : défaite en Floride et en Ohio où les sondages le donnaient vainqueur, défaite aussi au Texas où l’on a pourtant senti un frémissement démocrate. Si ça semble bien parti pour Joe Biden en Arizona (certaines projections le donnent déjà gagnant), rien n’est fait ailleurs. Selon les résultats partiels, il est en retard dans tous les États restants, sauf le Wisconsin. Mais tout peut vite basculer, et il est possible que les votes anticipés qui restent à dépouiller favorisent en effet le camp démocrate. Les électeurs qui ont fait usage de ce mode de scrutin l’ont fait surtout en raison de la crise du coronavirus.
On ne sait pas quand le nom du vainqueur sera connu. Ce mercredi soir, jeudi, vendredi ? Les derniers dépouillements, les éventuels recours en justice et recomptages risquent de rendre les choses difficiles. La dernière fois que l’Amérique a autant retenu son souffle, c’était en 2000, lorsqu’il a fallu départager George W. Bush et Al Gore en Floride pour désigner un vainqueur. Il avait fallu attendre 36 jours.
Les fractures américaines au coeur du scrutin
Une attente d’autant plus intenable pour les Américain.e.s que le pays est durement touché par l’épidémie de Covid-19. En effet, de nombreux électeurs ont voté pour l’un ou l’autre candidat en raison de sa gestion de cette crise : Trump privilégie l’économie tandis que Biden entend préserver la santé de ses concitoyens. 232 607 Américains sont à ce jour décédés du coronavirus tandis que la courbe du chômage ne cesse d’augmenter. Une situation à laquelle de nombreux électeurs ont voulu mettre fin, notamment ceux de Biden qui espèrent une rigueur sanitaire généralisée pour endiguer l’épidémie.
Pendant ces longues heures de doute, les Américain.e.s tentent de comprendre ce qui leur arrive, et les causes qui ont mené au déchirement que vit actuellement leur pays. Sabine, Américaine résidant et travaillant en Belgique depuis longtemps l’affirme : « Le contraire de l’amour pour un pays, c’est l’ignorance. Il y a toute une frange de l’Amérique bien pensante de gauche qui fait le nid de Trump. Trump l’a senti, il a profité de la colère de ces gens. Quand on ne prend pas le temps d’écouter le mal-être et la colère des gens ruraux, on obtient un retour de bâton comme aujourd’hui. Quoi qu’il arrive, aujourd’hui, il faudra apprendre à écouter la voix du peuple. Parce que ignorer le peuple et être condescendant comme on le fait depuis 20-30-40 ans, ça ne mène à rien de bon, et ça laisse le terrain libre pour Trump. Il faut accepter les avis mortellement différents, il faut accepter les débats animés comme au parlement anglais, où on crie, où on se déteste, où on s’exprime. La démocratie existe encore. C’est pour elle qu’on doit prier maintenant. » La volonté de ne faire qu’un et de créer la solidarité anime encore les Americain.e.s, pour le moment.
Avec Sofia Touhami et Kevin Dufrêche