LITTÉRATURE

ENCRE FRAÎCHE #6 – Fatima Daas

© Olivier Roller

© Olivier Roller

Encre Fraîche est un format made in Maze qui tire le portrait d’une autrice ou d’un auteur francophone de moins de trente ans. Pour l’occasion, nous avons rencontré Fatima Daas, autrice de La Petite Dernière et révélation de la rentrée littéraire.

« Je suis la mazoziya, la dernière. La petite dernière. » Cette petite dernière, c’est Fatima Daas, l’identité devenue pseudonyme créée par cette jeune autrice de 25 ans. La Petite Dernière est le roman qu’elle a présenté lors de sa soutenance de master de création littéraire, à l’université de Paris 8-Saint-Denis. Publié chez les Éditions Noir sur Blanc pour la rentrée littéraire 2020, il rencontre un vif succès auprès de la critique et du public.

Pourquoi ce choix d’écrire sous un pseudonyme ? Et dans ce récit à la première personne, quelle place laisses-tu à l’autobiographie ?

J’ai choisi de prendre un pseudo dès le départ en fait, pour me mettre à distance, pour séparer la personne que je suis et la création. Et j’ai choisi de prendre le pseudo, enfin l’identité de mon personnage pour incarner ce personnage là et pour porter l’histoire de Fatima Daas. Cette histoire est à la fois un mélange d’autobiographie et de fiction. Je pense que c’est même de l’autofiction, parce que je suis partie d’un matériau autobiographique, à savoir des questionnements sur les identités, en ça c’est autobiographique, et après j’ai eu besoin de transformer cette matière pour la rendre lisible pour moi et pour les autres.

Qu’as-tu ressenti lorsque tu as vu ton livre en librairie pour la première fois ?

J’ai été très émue et très fière. Et je me suis dit, « putain, c’est réel.  »

« Ce roman, pour moi, c’est une tentative de trouver les mots, de sortir des non-dits, du silence. »

Fatima Daas

Ce premier roman a été publié sous l’égide de Virginie Despentes. Tu l’as rencontrée dans le cadre de ta formation universitaire. A-t-elle pris un rôle de mentor ?

Je l’ai rencontrée pendant mon master de création littéraire parce qu’elle était venue pendant un de mes cours parler de son parcours. Et en fait ce jour-là, on est parti boire des verres avec elle. Je commençais tout juste l’écriture de La Petite Dernière et je me questionnais beaucoup sur la réception de ce que j’allais écrire. Aussi, je me disais, « je suis pas sûre que ça a sa place en littérature ce que je suis en train d’écrire  » et j’avais peur. Donc je lui en avais parlé et elle m’a dit « mais en fait il faut absolument que t’écrives cette histoire, parce que qui va le faire à ta place ?  » Et elle m’a cité des amis à elle en disant que ça allait leur parler et que c’était très important, et urgent, que je le fasse. J’ai continué à écrire ce texte-là je l’ai soutenu à mon master la deuxième année, et j’ai rencontré mon éditrice à qui j’avais parlé de Virginie Despentes le jour où elle m’a interrogé sur mes inspirations. Entre temps, mon éditrice avait demandé un blurb (une quatrième de couverture) à Virginie qui a accepté. Elle m’a demandé si j’acceptais qu’elle fasse un blurb, trop classe, ce que j’ai accepté et voilà pour la petite histoire.

Ton roman, comme un long monologue, comment t’est-il venu, quelles sont tes inspirations ? Il m’a parfois fait penser à l’Odyssée ou l’Iliade avec ses phrases courtes et rythmées.

Mes inspirations étaient principalement Marguerite Duras et Annie Ernaux. Après j’aime beaucoup écouter de la musique, notamment du rap qui pour moi est un art qui frappe, qui dit sans détour, dans lequel il y a de la poésie, de la musique, des sens. Je crois que c’est principalement cette inspiration là. Après, souvent on parle du Coran, on parle de versets et de sourates, mais je l’ai pas pensé comme ça, je n’ai pas eu l’impression de m’inspirer du Coran. On me dit souvent ça dans le rythme ou dans la forme de La Petite Dernière, mais je ne suis pas convaincue.

Le choix de mélanger les âges, les rencontres, la famille puis les amis, puis une révélation en fin de phrase comme une bombe. As-tu écrit le roman comme il venait ou as-tu délibérément choisi de rendre par écrit cette fracture constante ?

Je savais que je ne voulais pas écrire une histoire chronologique. Dans ma manière d’écrire, à chaque fois, je racontais un souvenir. Et, à la fin, j’avais beaucoup de chapitres ça et là que je devais relier les uns aux autres. C’est à ce moment-là que j’ai déplié plusieurs identités avec cette anaphore qui commence à chaque début de chapitre pour trouver un rythme et un cheminement, pour vivre la quête identitaire de Fatima. Il y a des souvenirs et des passages qui peuvent être très violents, et du coup j’avais besoin de mettre une touche d’humour, raconter un passage plus léger, plutôt que de recentrer tous les passages qui peuvent être denses et compliqués à recevoir. J’ai eu besoin d’aérer, de mettre de la légèreté, du souffle. Et après pour l’étendue, c’est-à-dire la quête identitaire dans le temps, c’était très important pour moi qu’on suive cette narratrice sur plusieurs années.

« Je m’appelle Fatima.

Je porte le nom d’un personnage symbolique en Islam.

Je porte un nom auquel il faut rendre honneur. »

La Petite dernière, Fatima Daas

Ton récit est ponctué de définitions, de traductions. À quel point le choix des mots est important pour toi ? Est-ce un reste de tes années de prépa ?

Ça vient d’abord du fait que moi je m’en pose beaucoup, de questions. Ça a un lien direct avec la parole. A un moment donné, on essaye de trouver le mot juste, le bon mot quand on s’adresse à quelqu’un – ou pour nous-même – pour se définir. Et ce roman, pour moi, est une tentative de trouver les mots, de sortir des non-dits, du silence. Chercher exactement ce qu’un mot, ce qu’une phrase signifie quand on la prononce. Ce que comprend l’autre quand on dit tel mot, et ce que nous percevons des mots des autres. Je suis partie dans un délire (rires). Comme je mélange deux langues, il y a aussi pour moi l’importance d’aller au plus proche de la signification du mot,notamment en arabe par exemple. Aussi, j’ai voulu introduire la langue arabe en phonétique car je voulais que ce soit accessible à tout le monde. Je voulais que quelqu’un qui ne lit pas l’arabe puisse quand même le lire en phonétique.

Ce récit à la première personne, est-il aussi un moyen de donner une voix aux jeunes musulmanes queer ?

Pour moi l’important dans cette histoire c’était de raconter l’histoire qui me hante depuis toute petite. En l’écrivant, je ne me suis pas dit que ça allait raconter l’histoire des lesbiennes musulmanes, ou des lesbiennes de banlieues, ou des lesbiennes maghrébines, issues de l’immigration, musulmanes ou pas. Je pense surtout que c’est une histoire qui n’existait pas avant que je l’écrive. J’ai cherché en littérature une histoire qui allait me parler et je ne l’ai pas trouvée. Donc en ça, ça été urgent pour moi d’écrire cette histoire parce que j’aurais aimé la lire à l’adolescence pour me sentir représentée. Maintenant, quand je rencontre mes lectrices et mes lecteurs, bien-sûr qu’il y a des personnes qui viennent me dire « merci, parce que je me reconnais, parce que c’est très familier, parce qu’enfin on sent qu’on a une place en littérature », et ça c’est très fort. Maintenant j’ai pas la prétention de penser que ce que j’écris, ce que je suis ou ce que je représente est un modèle pour d’autres personnes. Je suis contente que des personnes se sentent représentées mais moi je porte mon histoire, fictionnelle, et si ça fait du bien, je suis heureuse. Mais je ne pense pas représenter toutes les voix, tous les parcours des femmes lesbiennes musulmanes issues de l’immigration.

Et cette place que tu accordes à la religion ? Quelle importance cela a pour toi ?

Pour moi, c’était aussi important de parler de l’amour de Dieu que de l’amour des femmes. Il fallait les mettre en corrélation quelque part parce qu’on n’en parle pas et quand on en parle, ce sont des personnes qui l’ont choisi ou qui ne ressentent plus cette foi là et qui sont juste, par exemple, homosexuelles. Ou alors dans l’autre sens, ce sont des personnes qui ont choisi de se renfermer ou qui s’empêchent de vivre leur homosexualité. Donc pour moi, c’était important de faire exister une histoire qui montre les tensions, l’instabilité, les contradictions, mais sans renoncer à une partie de soi. C’est le plus important aujourd’hui. Après, j’ai l’impression que je ne raconte pas une histoire sur la religion. J’ai plutôt l’impression que je parle de l’amour de Dieu, de l’amour de la famille, de l’amour des femmes et de l’amour des amis. Comment on bricole avec tous ces amours là qui peuvent être en contradiction parfois. Parce que nos parents attendent ci et ça de nous, parce qu’on est pas la personne que nos parents veulent qu’on soit. Parce qu’on est pas la personne aussi que nos amantes, que nos copines espèrent qu’on soit. Parce qu’on est pas la personne que Dieu espère qu’on soit. C’était important pour moi de travailler sur ça, de ne pas donner de solution, parce que j’en ai pas.

« Elle avait dit mheniya, apaisée, déchargée, soulagée, consolée.

J’aurais préféré qu’elle dise « fière ».

Mais, tout compte fait, c’est peut-être mieux d’être apaisée que fière. »

La Petite Dernière de Fatima Daas

Et aujourd’hui, toi, tu es plutôt apaisée ou fière ?

Je suis fière ! Je suis très fière. Je pense que je suis plus fière qu’apaisée, en fait. Je dirais fière, parce que pour moi l’apaisement c’est quelque chose qui relève du calme, de la sérénité. Et je crois pas avoir reçu ça en publiant ce roman. Je crois pas que le roman répare, que le roman apporte une sérénité. Parce que je ne pense pas que l’écriture fait qu’on se sente mieux en fait. Je pense que ça rend fier l’écriture. En tout cas moi ça me rend fière, mais ça me fait pas me sentir mieux. Donc je ressens pas de l’apaisement. Mais je suis fière. À l’inverse de la mère, qui n’est pas fière, mais apaisée.

As-tu d’autres projets d’écriture ?

Là j’en ai peu, enfin plutôt pour du théâtre ou du cinéma, donc c’est beaucoup mais c’est pas du tout mon écriture solitaire. J’ai pas beaucoup d’espace ni de temps pour me consacrer à l’écriture en ce moment. Mais bien sûr, idéalement j’aimerai écrire un deuxième je-sais-pas-quoi. Un roman, de la poésie, du théâtre, mais j’espère écrire un deuxième.

La Petite Dernière, par Fatima Daas sorti aux éditions Noir sur Blanc le 20 août 2020, 16€.

Journaliste

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