SOCIÉTÉ

Beyrouth : la (sur)vie après l’apocalypse

Au lendemain de l’explosion, les bâtiments détruits de Beyrouth © Flickr, Ben

Trois mois se sont écoulés depuis le jour où la capitale libanaise vivait ce qui fut décrit comme ses pires instants. Entre une récession économique qui n’en finit plus, une instabilité gouvernementale pérenne et une classe politique traditionnellement corrompue, l’explosion du port de Beyrouth inflige le coup fatal aux espoirs libanais. Aujourd’hui ces derniers n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’international pour appeler à l’aide.

Le 4 août dernier, les écrans du monde entier dévoilaient des images apocalyptiques : la double explosion d’un entrepôt situé sur le port de la ville de Beyrouth. Cette dernière avait non seulement causé la mort de près de 200 personnes et fait des milliers de blessés, mais a, dans un même souffle, plongé le Liban dans l’effroi.

Une économie au bord de l’implosion


Le Liban est un pays dont l’économie ne repose pas sur la production mais plutôt sur le tourisme et les services. Les services bancaires notamment, qui ont fait de lui la «  Suisse du Moyen-Orient » et permis de développer un marché financier prospère grâce aux investissements des pays du Golfe. Après quinze années de guerre civile, la reconstruction du pays lui vaut un endettement surréaliste de l’ordre de 170 % du PIB en 2019.

Le système bancaire libanais s’effondre. Si la crise économique que subit le Liban date de 2014, l’arrivée de la Covid-19 marque une nouvelle hécatombe pour le peuple. La chute du pouvoir d’achat précipite 45 % de la population sous le seuil de pauvreté. «  Je préfère mourir du virus que de mourir de faim » clamaient-ils dans les rues en mai. Impossible alors de concevoir qu’une explosion détruirait le port de la capitale par lequel transitaient 60 % des importations du pays, paralysant une majeure partie des échanges commerciaux. Les coûts matériels ajoutés aux pertes financières engendrées par les dégâts s’élèveraient entre 6,7 et 8,1 milliards de dollars selon les estimations de la banque mondiale.

Désertion des autorités politiques


Le Liban est un Etat fortement caractérisé par sa diversité religieuse. Pour cette raison, et pour éviter une guerre civile qui aura finalement lieu, l’indépendance de 1943 débouche sur l’établissement d’un régime confessionnel qui donne à chacune des trois confessions majoritaires du pays sa part de souveraineté dans le système politique libanais. Cette répartition, ajoutée à un système de votation à deux tiers (contre 51 % des voix en France par exemple) a rendu la vie politique plus qu’instable.

Finalement, la corruption omniprésente chez les élus provoque des manifestations généralisées qui débouchent le 29 octobre 2019 sur la démission du premier ministre Saad Hariri. Quatre jours après l’explosion c’est Hassan Diab qui rend les armes après 8 mois au gouvernement. Puis Mustapha Adib reprend la tête du pays le 31 août, pour y renoncer un mois plus tard. Le 22 octobre 2020 marque alors le retour de celui qui avait délecté les manifestants de sa démission un an auparavant : Saad Hariri. Dans ce contexte, alors que retourne au pouvoir celui qui n’a pas su s’y prendre quand la situation était bien moins critique, les Libanais ont du mal à croire à des réformes et à une guérison nationale.


Les
Libanais, un peuple sans répit ?


Que ce soit au rythme de la guerre civile ou des affrontements au sein des pays frontaliers (comme le conflit Israélo-Palestinien ou la guerre en Syrie) qui n’ont de cesse de s’inviter sur leur territoire, les citoyens libanais n’ont été été élevés ni dans l’opulence, ni dans la paix. Les Libanais, qui s’empourprent aujourd’hui de tous les maux, montrent pour beaucoup leur besoin de distanciation émotionnelle vis-à-vis des évènements du 4 août.

L’heure, dit-on, n’est pas aux pleurs mais au combat pour la survivance. Pourtant celle-ci n’est pas soutenue par les assurances qui attendent le verdict officiel des enquêtes en cours sur l’explosion pour effectuer les remboursements nécessaires à la reconstruction de la ville. Avec l’urgence de la faim, les autorités doivent faire face à une exacerbation de la violence chez des individus qui n’ont plus rien à perdre. D’autant plus que la recrudescence des contaminations au coronavirus se heurte à la destruction quasi totale de trois hôpitaux de la ville (500 lits de réanimation en moins), alors que ceux qui fonctionnent sont encore occupés à soigner des blessés. Le reconfinement envisagé par l’exécutif paraît ici désuet quand on sait que 300 000 Beyrouthins restent sans logement. 

Inéluctabilité de l’aide internationale ?

Il est dit de concert par les spécialistes de la région et les Libanais eux-mêmes que le pays ne pourra se relever sans le soutien de la communauté internationale. Une pétition a même été lancée par des citoyens beyrouthins pour un retour du pays sous l’égide de la France, et a obtenu 60 000 signatures. Les visites successives du président Emmanuel Macron, les plans d’action élaborés par Paris, ainsi que ses injonctions à la création d’un «  gouvernement d’experts » et «  de réforme » semblent révéler une légitimité française à s’immiscer dans les affaires de l’Etat libanais en échange d’aides économiques européennes. 250 millions d’euros ont déjà étés réunis par la France et l’ONU, et des personnalités, telles que le chanteur anglo-libanais Mika, se sont mobilisées pour récolter des fonds en solidarité aux ONG qui tentent d’apporter leur aide dans les zones sinistrées.

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