SOCIÉTÉ

39 journalistes tués en 2020 : la liberté de la presse toujours en danger

©Flickr

Depuis le début de l’année 2020, le nombre de journalistes tués ne cesse d’augmenter  : 39 journalistes tués dont 3 collaborateurs médias. Comparé à 2019, le chiffre est cependant en baisse mais pour Reporters Sans Frontières, le constat reste alarmant.

Chaque année, des journalistes sont assassinés, enlevés ou encore menacés pour avoir exercé leur métier et révéler des vérités qui dérangent. Ils sont tués aux quatre coins du monde et bien souvent, ces crimes restent impunis par la communauté internationale.

Nombre de journalistes tués cette année est en baisse comparé à l’année 2019. ©Rsf.org

Un chiffre en baisse, bon signe  ?

Si le nombre de journalistes tués est moins important qu’en 2019 (49 journalistes tués), il faut replacer le chiffre dans le contexte sanitaire actuel. La fermeture des frontières mise en place dans de nombreux pays pour limiter la propagation du virus a eu des conséquences sur les possibilités de déplacements des journalistes. En effet, beaucoup ne se sont pas rendus sur le terrain, ce qui explique cette baisse. Selon RSF (Reporters Sans Frontières), ce n’est pas pour autant un gage d’une meilleure sécurité pour les journalistes sur le terrain.

La pandémie est un prétexte parfait pour les régimes autoritaires d’augmenter leurs restrictions envers les journalistes et museler chaque jour un peu plus la liberté de la presse. C’est le cas notamment pour la Chine, l’Iran ou encore la Hongrie. Le gouvernement chinois augmente les contrôles et applique la « stratégie de choc ». Ils profitent de la sidération du peuple et de l’affaiblissement de la mobilisation pour imposer des mesures impossibles à adopter en temps normal.

Tout comme en Iran (placé au 173ème rang sur 180 du classement de la liberté de la presse), la Chine, qui occupe le 177ème rang, déclare accueillir les journalistes étrangers uniquement s’ils « respectent les lois et les règlements du pays ». Autrement dit, rentrer dans les rangs et ne révéler aucune information compromettante sur l’Empire du Milieu. Une liberté de la presse bafouée dans un pays où les droits humains n’existent pas pour certains. Les Ouïghours, originaires de la région de Xinjiang et de confession musulmane, sont les premiers à subir l’autoritarisme chinois. Ils sont enfermés dans des camps de répression depuis 2017 et doivent faire face au racisme, à la torture et à leur déshumanisation, uniquement parce qu’ils n’étaient pas dans la « norme » pour le gouvernement chinois.

En Hongrie, une loi «  coronavirus  » a été créée pour réduire explicitement la liberté des journalistes. Elle a permis de mettre en place des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison en cas de diffusion de fausses informations.

La liberté de la presse traverse «  une décennie décisive  » selon Reporters Sans Frontières. La crise sanitaire augmente les difficultés économiques, politiques mais aussi le manque de confiance dont souffre grandement le secteur de la presse. En France aussi (32e rang du classement), la hausse du cyberharcèlement à l’encontre des journalistes et les violences commises contre certains d’entre eux suffisent à mettre en péril la liberté de la presse.

«  Les autres menaces n’ont pas diminué comme les enlèvements, les menaces de violences ou les placements en prison, les journalistes dans ce sens n’ont jamais été autant menacés.  »

Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique pour le Comité de protection des journalistes.

Des crimes sans coupable

Dans cette dernière décennie, plus de 1000 journalistes sont morts et dans 9 cas sur 10, les crimes restent impunis. Rares sont ceux qui ont fait l’objet d’une véritable enquête. Si Reporters Sans Frontières et la Fédération internationale des journalistes considèrent l’impunité comme une injustice, que fait l’ONU ?

La résolution intitulée «  La sécurité des journalistes et la question de l’impunité  » datant de décembre 2013 met en place une journée du 2 novembre intitulée «  Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes  ». Un acte fort après l’assassinat de deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Mali.

Pour les ONG, c’est l’occasion tous les ans de faire la même réclamation. RSF a encore réitéré sa demande auprès du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, pour créer un poste de «  représentant spécial pour la sécurité des journalistes  ». Une demande restée sans suite malgré l’urgence de la situation. Il y a désormais proportionnellement plus de morts dans les pays considérés en «  paix  » que dans les zones de conflit. Pour RSF, seule la création d’un représentant spécial à l’ONU permettrait de mettre fin à «  l’impunité endémique  » à l’égard des journalistes.

En 2019, seulement 24 % des 180 pays et territoires étudiés affichent une situation bonne ou plutôt bonne pour la liberté de la presse. ©Rsf.org

La Fédération internationale des journalistes lance elle une campagne mondiale pour «  dénoncer ceux qui ordonnent les crimes contre les journalistes mais demeurent impunis, pour exhorter les gouvernements à prendre des mesures urgentes afin d’en finir avec l’impunité et protéger la liberté de la presse  ». L’objectif est encore une fois de tirer la sonnette d’alarme sur une situation qui se dégrade d’année en année.

La communauté internationale en est bien consciente puisqu’elle expliquait dans son rapport du 28 octobre 2019 que «  l’impunité juridique des auteurs restait la norme pour la plupart des meurtres des journalistes  ». Elle incite alors les Etats à appliquer plus efficacement la législation en vigueur en matière de protection des journalistes et des autres professionnels des médias. Mais aussi à «  faire tout leur possible  » pour prévenir les violences, les menaces et les attaques, à traduire en justice les auteurs de tels crimes et à s’assurer que les victimes et leur famille disposent de recours appropriés.

Au-delà des mots, l’ONU adopte même un plan d’action sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité en avril 2012. L’objectif ici est de renforcer la protection des journalistes. Tout semble être mis en place pour que tous les auteurs de ces crimes soient jugés par la justice internationale.

Les textes de lois appliqués par l’ONU ?

La communauté internationale est le seul organe à pouvoir faire appliquer le droit international pour lutter contre l’impunité. Or, en pratique, elle ne semble pas jouer un rôle décisif dans les condamnations. Le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul le 2 octobre 2018 démontre bien de réels dysfonctionnements du droit international et de la coopération entre les Etats.

Rappelons-le, Jamal Khashoggi était un journaliste exilé aux Etats-Unis, rédacteur pour le Washington Post où il critiquait le régime saoudien et exposait au grand jour sa corruption. Assassiné à l’intérieur du consulat saoudien en Turquie, la communauté internationale a immédiatement ouvert une enquête dirigée par Agnès Callamard, rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’Homme des Nations sur les exécutions sommaires. Elle explicite dans son rapport que l’Arabie Saoudite a ôté la vie à Jamal Khashoggi et accuse le gouvernement d’en être le principal responsable. Mais l’Arabie Saoudite dépose son droit de véto pour chaque démarche entreprise dans cette affaire, l’ONU se retrouve pieds et poings liés et aucune condamnation n’a été prononcée.

Pourtant, ôter la vie d’une personne relève d’une violation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le droit de vie étant un droit fondamental. Mais assassiner un journaliste va bien au-delà de ça puisqu’il porte directement atteinte à la liberté d’expression.

Cinq personnes ont été accusées d’avoir tué Jamal Kashoggi et avaient été condamnées à la peine de mort par les autorités saoudiennes. Cependant, le 7 septembre dernier, la justice nationale a décidé d’annuler ces condamnations pour les transformer en des peines de vingt ans de prison maximum. Ce jugement est ainsi présenté comme un verdict final, clôturant d’après la justice saoudienne l’affaire.

Dans cette décision, la communauté internationale n’a, pour le moment, pas eu son mot à dire et le procès s’est tenu à huis clos. Christophe Deloire, secrétaire générale de RSF dénonce cette injustice : « Ce procès sans public, ni journalistes n’a pas permis de connaître la vérité et de comprendre ce qui s’est passé le 2 octobre 2018 au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul et qui avait donné préalablement l’ordre de commettre ce crime d’Etat. »

Depuis, la communauté internationale n’a eu aucune réaction publique et le gouvernement saoudien semble, encore une fois, être épargné. L’Arabie Saoudite fait pourtant parti des pays où le plus grand nombre de journalistes sont toujours emprisonnés  : 34 dont 20 journalistes et 14 journalistes citoyens.

Classé 170e sur 180 pour la liberté de la presse et considéré comme l’une des plus grandes prisons de journalistes au monde, le pays accueillera pourtant virtuellement le G20 le 21 et 22 novembre prochain. RSF voit dans ce sommet une opportunité pour faire évoluer la situation et demander des avancées en termes de liberté de la presse. Elle réclame dans une pétition la libération des 34 journalistes emprisonnés et demande aux Etats membres du G20 d’honorer leurs propres engagements internationaux. L’ONG espère alors obtenir des avancées concrètes concernant la liberté d’informer en Arabie Saoudite.

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