CINÉMA

« Yalda, la nuit du pardon » – Réinviter l’humanité dans le regard

© Little Dream Entertainment

Avec Yalda, la nuit du pardon, Massoud Bakhshi signe un deuxième long-métrage à la dualité surprenante, entre les artifices de la télé réalité et le profond désarroi de personnages pris au piège dans un monde aux règles étouffantes.

En Iran, une émission de téléréalité invite les condamnés à mort et la famille des victimes en face à face. Sur 1h30, Massoud Bakhshi met en scène en temps réel le déroulement du show fictif Le Plaisir du Pardon, auquel Maryam arrive les menottes aux poignets. Elle a 22 ans et a tué accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Suivant la loi islamique de la charia qui est appliquée en Iran, la seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Pour cela Mona doit accepter de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de téléréalité.

Deux femmes qui se sont côtoyées pendant des années se font face. L’une désemparée, misérable, originaire des classes populaires, tout en pleurs et gémissements, se démène dans ce décor carton-pâte au kitsch ridicule, crie avec maladresse et sincérité son innocence. L’autre, au capital familial conséquent, est élégante, froide et calculatrice, à la douleur intériorisée.

La télé réalité ou les jeux du cirque

Au premier abord, Yalda, la nuit du pardon est la critique de l’absurdité d’un show qui exploite la misère pour la donner en spectacle. Les trente premières minutes mettent en scène le désespoir d’une jeune femme prise au piège qui assiste à son propre récit, galvaudé, caricaturé pour faire de l’audience. En ce sens, le propos est universel. La loi du talion spécifique à l’Iran est mise en miroir avec le portrait d’une culture de l’instantanéité, où des tranches de vies sont jetées en pâture sur les réseaux sociaux et dans les émissions de télé réalité, qui ne sont rien moins que des jeux du cirque réadaptés à l’ère moderne.

C’est à travers le regard de la caméra qui suit tour à tour Maryam, Mona, et d’autres personnages majoritairement féminins, que la complexité de la réalité et du vécu est réinsérée dans le récit, en contraste avec ce show qui les simplifie à l’extrême et les emprisonne, les rendant étrangères à elles-mêmes. Les caractères contrastés des personnages féminins subliment le jeu des actrices. La superbe photographie aux couleurs saturées souligne le désespoir du visage terne de Maryam.

© Little Dream Entertainment

Le caractère télénovela de la téléréalité permet de lancer une forte tension dramatique qui entraîne le spectateur au-delà du format même. Le décor se fait vite oublier, et Massoud Bakhshi nous met dans une position étrange  : spectateurs nous aussi, nous plongeons dans l’histoire de ces deux femmes et des personnages qui gravitent autour d’elles. Des personnages qui s’entrechoquent, des crises d’hystérie, des rebondissements en coulisses. Tous sont balayés par un univers où ils n’ont pas leur place. Celui de la télé réalité, mais aussi celui d’un système judiciaire religieux cruel.

Un film profondément politique

Peu à peu, nous oublions que nous sommes dans un show, et la première couche de lecture s’efface pour laisser place à un film noir sur la peine de mort et des personnages écrasés par un système qui a pris la place de Dieu. Yalda, la nuit du pardon s’attaque aux normes religieuses comme la charia, les mœurs conservatrices et puritaines de la société iranienne ou encore la lutte des classes.

À travers les regards fuyants entre Maryam et Mona, dans la pénombre des coulisses et sous les projecteurs aux lumières criardes du set, c’est toute la société qui se juge, se scrute. Le mépris des riches envers les pauvres, la fierté des couches les plus basses qui se refusent à la mendicité. C’est ainsi que la lutte des classes se joue sur le plateau. Maryam est fière, et refuse de demander pardon pour une faute qu’elle ne pense pas avoir commise, heurtée par le mépris de Mona.

Massoud Bakhshi assume le huis clos et parvient avec cette mise en scène en temps réel à créer une forte tension qui influence profondément l’évolution du récit, avec une dualité entre le spectacle et le drame invisible aux téléspectateurs. En ce sens, il nous invite à porter un jugement, à être garants de la morale, mais surtout à faire preuve d’humanité, dernier rempart contre tous les fanatismes.

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