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Théâtre – “Le Grand Inquisiteur” de Sylvain Creuzevault : Dostoïevski à la Maison Blanche

Le Grand Inquisiteur - Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Le metteur en scène Sylvain Creuzevault présente une version déjantée du Grand Inquisiteur d’après Les Frères Karamazov de Fédor Dostoïevksi au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 18 octobre. Une véritable bouffée d’air frais. 

Après Les Démons présenté en 2018 aux Ateliers Berthier, Sylvain Creuzevault retrouve l’Odéon et Dostoïevksi avec Les Frères Karamazov. Mais avant de présenter sa vision du chef-d’oeuvre russe (du 12 novembre au 6 décembre), le metteur en scène propose un amuse-bouche : une relecture du Grand Inquisiteur, le fameux passage des Karamazov dans lequel Ivan Karamazov expose à son jeune frère Aliocha sa vision du monde. Sylvain Creuzevault s’inscrit pleinement dans les pas de ce personnage – qu’il incarne brièvement au tout début de la pièce – et livre à son tour une lecture très personnelle du poème d’Ivan. S’il reprend effectivement le « dispositif » du livre (faire revenir Jésus en plein milieu de l’Inquisition espagnole où, loin d’être bien accueilli, il est condamné par un prélat soucieux de conserver le magistère de l’Eglise sur le peuple), il s’en écarte rapidement pour mieux révéler toute l’actualité du propos. Au final, on retrouve tout ce qui tend à faire son théâtre : les acteurs (Nicolas Bouchaud – génial en Heiner Muller – et Arthur Igual en Jésus-Marx), le bazar ambiant, l’humour potache mêlé à l’érudition de la position dramaturgique. 

© Simon Gosselin

Dostoïevskisation du théâtre 

Sur scène, succèdent très rapidement à Jésus et au Grand Inquisiteur une galaxie de personnages plus ou moins contemporains qui ont aussi eu leur mot à dire sur la religion, le pouvoir ou Dostoïevski : à Donald Trump et Margaret Thatcher s’ajoutent Joseph Staline, Heiner Müller et Karl Marx. Sont cités Kafka, Faulkner et Ballard. Du  beau monde qui va prendre un malin plaisir à maltraiter le Christ (qui se fait littéralement éviscérer sur scène…) et ses ouailles. Plus qu’une adaptation fidèle du texte, Creuzevault réactualise le poème du Grand Inquisiteur pour mieux interroger les ressors de la domination, y compris volontaire, la pulsion de mort qui parcourt chaque être humain ou chaque système politique du totalitarisme soviétique au populisme américain. Il rappelle avec une délicieuse causticité à quel point l’affirmation du Grand Inquisiteur sur les clés de l’asservissement (miracle, mystère ou autorité) demeure vraie.

Et pour ceux qui regretteraient finalement le charcutage auquel se livre Creuzevault sur le texte de l’auteur russe (dans la belle traduction d’André Markowicz), on souhaite qu’ils prêtent une plus grande attention à la mise en scène qui, bien mieux que n’importe quelle récitation fidèle, donne à ressentir la puissance cacophonique de la pensée de Dostoïevski. 

«  Le Grand Inquisiteur  », mise en scène de Sylvain Creuzevault, d’après Fédor Dostoïevski. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris à l’Odéon-Théâtre de l’Europe  jusqu’au 18 octobre. Durée : 1h45. 

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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