SOCIÉTÉ

« Tenue républicaine » : les adolescentes se rebellent contre le puritanisme

Manifestation du 8 mars 2020 pour la journée internationale des droits des femmes à Bordeaux © Camille Miloua/Maze

Alors qu’un certain nombre de lycéennes se sont vues refuser l’entrée dans leur établissement à cause de leurs tenues jugées  « trop suggestives », un mouvement de protestation a débuté le 14 septembre 2020 pour lutter contre la « tenue correcte et républicaine » exigée par le ministre de l’Education Nationale française Jean-Michel Blanquer. Trop couvert ou trop dénudé, le corps de la femme pose problème à la société moderne.

Après les questions sur la longueur de la jupe ou le port du foulard à l’école, c’est une nouvelle polémique qui touche la gente féminine, durant un mois de septembre frappé par les fortes chaleurs : le crop top.

Grâce à la libéralisation de la parole féminine, amorcée par le mouvement #Metoo, les lycéennes ont protesté sur les réseaux sociaux contre les règles vestimentaires des structures scolaires, qu’elles estiment sexistes, à travers les hashtags #lundi14septembre et #liberationdu14. Des photos de jeunes filles en mini-jupe, en décolleté, ou nombril apparent, ont alors inondé internet pour dénoncer les sanctions prises à leur encontre.

« La semaine dernière, j’ai été convoquée chez le proviseur parce qu’on voyait mon soutien-gorge. Il m’a dit : « On n’est pas à la plage ici. »

Judith, en Première au lycée Condorcet à Paris. 

Un gouvernement divisé

Alors que le président français Emmanuel Macron et le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer rappellent que l’école est un lieu particulier où une tenue correcte est exigée, d’autres membres du gouvernement comme Marlène Schiappa et Elisabeth Moreno ont soutenu et encouragé ce mouvement de protestation.

« En France, chacun est libre de s’habiller comme il veut. Les femmes ont mis des siècles à pouvoir s’affranchir de codes vestimentaires. Cette liberté conquise de haute lutte n’a pas de prix. C’est aussi un enjeu d’éducation des jeunes garçons, du rapport qu’ils entretiennent aux jeunes filles et lié aux valeurs de respect. »

Elisabeth Moreno, Ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances.

La « tenue républicaine », évoquée par le ministre de l’Education Nationale, a, d’ailleurs, entrainé un grand nombre de railleries de la part des jeunes françaises. Elles se demandent si elles doivent venir en classe « sans culotte », vêtue d’un simple drapeau français, comme la chanteuse Jeanne Cherhal et l’actrice Brigitte Bardot, ou encore emprunter à Marianne sa tenue dans le tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple. La chroniqueuse de Quotidien, Maïa Mazaurette, a d’ailleurs demandé au « boy’s club » de se mettre d’accord sur une définition du terme « tenue républicaine. »

Ce sont, cependant, les lycées eux-mêmes qui fixent les règles des codes vestimentaires dans leur règlement intérieur, évoquant souvent une simple tenue correcte. Selon l’Union Nationale des Lycéens, ce terme reste flou et les jugements paternalistes qui en découlent correspondent souvent à des stéréotypes de genre sexistes.

Un sondage Ifop juge de manière conservatrice les tenues féminines

Réalisé entre le 18 et le 21 septembre, sur un échantillon de 2000 personnes, pour le journal Marianne, ce sondage questionne les français sur ce qu’est une tenue correcte pour une fille au lycée d’après eux. Selon ce questionnaire deux tiers des français sont pour l’interdiction du haut sans soutien-gorge au travers duquel la pointe des tétons est visible, de même pour toute tenue au décolleté plongeant pour 62 % des sondés et le crop top pour 55 % des répondants. Selon l’institut, ces injonctions discriminatoires culpabilisent les femmes et les tiennent pour responsables du regard que portent les hommes sur elle. Selon Sophie Ferry, enseignante, cette polémique entretient une certaine « culture du viol » et l’idée de pulsions masculines, auprès des jeunes hommes.

« Il y a toujours cette idée que la tenue des femmes peut provoquer des agressions. Quand on leur demande d’en changer, on les culpabilise. »

Caroline De Haas, du collectif féministe “Nous toutes”

De plus la question de la tenue masculine au sein des établissements scolaires n’est pas pris en compte dans ce débat fortement médiatisé : le jogging, les caleçons apparents et les marcels sont-ils des tenues correctes pour aller en classe ?

Leurs réponses, plutôt conservatrices, reflètent un sexisme intériorisé. En effet, la majorité des personnes qui aimeraient interdire aux écolières de se vêtir comme bon leur semble sont des femmes. Par exemple 73 % des femmes interrogées refusent le non-port du soutien-gorge au lycée, contre 58 % des hommes sondés.

« Cette enquête met en lumière le conflit de générations qui oppose les jeunes à leurs ainés sur ces questions à la liberté corporelle et vestimentaire : la masse de la population considérant encore que c’est aux filles de gérer le désir masculin en faisant preuve de ‘bonne mesure’ sur le plan vestimentaire, alors ces jeunes filles appartiennent à une génération qui, dans le droit fil du ‘body positive’ et du mouvement Metoo, montrent leurs corps et rejettent fermement le caractère sexiste de toutes règles vestimentaires.  »

François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle de l’Ifop et Louise Jussian, chargée d’étude à l’Ifop.

D’autres évènements de cet acabit ont eu lieu en ce début d’année scolaire. En effet, le 8 septembre 2020, une femme n’a pas pu entrer dans le musée d’Orsay car elle arborait un décolleté plongeant. Alors que le musée s’est excusé pour cet incident sur Twitter, les Femen ont manifesté dans l’enceinte du bâtiment pour soutenir la jeune femme.

« À ce moment, j’ignore encore que mon décolleté est devenu l’objet de tout ce drame. Je demande ce qu’il se passe, on ne me répond pas, on fixe mes seins, je me sens atrocement gênée. Ils insistent simplement sur le fait que les règles sont les règles puis me répètent de me couvrir de ma veste que je tiens dans les mains. »

Jeanne, visiteur du musée d’Orsay.

Après la polémique sur le port du burkini puis du topless sur les plages, la question du respect du code vestimentaire s’immisce encore dans les écoles, faisant entrer à nouveau le corps de la femme dans un débat sociétal et moralisateur. Une polémique qui n’a, d’ailleurs pas lieu d’être puisque le droit français n’interdit pas la pratique du topless et la notion de « tenue républicaine » n’entre dans aucun cadre juridique. L’opinion publique et le gouvernement français semblent confondre trop souvent droit et morale. Or cette société puritaine n’a pour le moment aucun droit d’imposer ces normes et valeurs aux restent de la population.

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