MUSIQUE

« Speed, Sound, Lonely » de Kurt Vile – Sublimer l’automne doux-amer

Kurt Vile & The Violators, Bilboko Aste Nagusia 2014, Kafe Antzokia, Bilbao, 22/VIII/2014. Foto por Dena Flows

© Dena Flows

Deux ans après son dernier album solo, la chevelure incontournable du rock-folk revient avec un nouvel EP enregistré sur quatre ans. Un disque aérien et minimaliste qui honore avec douceur deux figures du patrimoine musical américain, dont le «  héros  » personnel de Vile, John Prine.

Nashville, dans le Tennessee, est la ville où ont été enregistrés les cinq morceaux qui constituent l’EP. C’est aussi et avant tout la capitale iconique de la musique country, où elle se déploie à la suite de la Seconde guerre mondiale, et dans les rues de laquelle elle continue de prospérer aujourd’hui, entretenant sa légende.

C’est dans l’un des 250 studios d’enregistrement que Kurt Vile vint à la rencontre de Prine, archevêque de son panthéon musical et carrière iconique de l’americana. Ensemble, ils enregistrent une nouvelle version de sa chanson How Lucky, après que Prine ait indiqué à Vile qu’il appréciait sa reprise d’un autre de ses morceaux, Speed of the Sound of Loneliness, proposée en introduction du disque.

Tous deux se plaisent dans la vie de musicien passée sur les routes, et semblent faire d’une certaine nonchalance leur marque de fabrique. L’alchimie entre leurs deux sensibilités artistiques produit en conséquence deux fragments de légèreté délicatement modernisés. La voix du guitariste de Philadelphie se coule naturellement dans les deux standards de Prine qui, tout en conservant un esprit fidèle à leur version originale, s’inscrivent hors du temps dans une fraîche simplicité.

L’EP est également marqué par la personnalité de «  Cowboy  » Jack Clement, disparu en 2014 et qui officiait notamment comme producteur auprès de Prine et d’autres grands noms de la country de l’époque. Son magnifique titre Gone Girl fait l’objet d’une troisième reprise, plutôt fidèle, sur l’EP. L’interprétation candide de Vile tranche un peu avec l’élégante prestation de son auteur mais épouse efficacement l’arrangement feutré très réussi de la chanson.

A ces témoignages de gratitude sont ajoutés deux titres originaux de Vile, plus proches de l’esprit folk qui le caractérise habituellement. L’énigmatique Pearls bénéficie cependant de l’aura rythmique de Nashville, qui dynamise une envoûtante mélodie de guitare. La tranquille Dandelions, à l’arrangement remarquablement délicat, évoque quant à elle la chute de flocons ouvragés sur les vestiges de l’été. Proposée au milieu de l’EP, cette chanson plafonnée de sonorités ciselées est vraisemblablement écrite pour ses filles, et s’invite comme l’acmé sensible de celui-ci.

En avril 2020, John Prine décède à l’âge de 73 ans des suites de la Covid-19  ; son duo avec Kurt Vile fait partie de ses derniers enregistrements. En ce début d’automne aux couleurs troubles, cet EP hommage résonne avec nostalgie vers les fantômes d’une épopée musicale centrale de la culture américaine. Alors que s’effritent nombre de certitudes et d’ambitions dans l’actualité troublée, Vile persiste dans son style vaporeux avec la constance que lui observait Rolling Stone il y a deux ans. Son disque précieux offre la bande-son idéale d’une contemplation des nuances vert-de-gris d’un froid paysage, par la fenêtre d’une voiture. Entre émulation et sérénité, le musicien nous livre une méditation temporelle délicieuse, à rejouer sans modération pour colorer la saison.

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