CINÉMA

(Re)Voir – « Babylon » : Enfants du sound-system

© Les Films du Camélia

Sélectionné à La Semaine de la critique à Cannes en 1980, interdit en Angleterre et aux États-Unis depuis 39 ans considéré comme incitation à la haine raciale, inédit en France au cinéma, Babylon de Franco Rosso sort enfin en salles, en version restaurée par Les Films du Camélia. Une immersion puissante au plus près d’une bande de jeunes afro-caribéens londoniens, vivant au rythme du reggae et victimes d’une société raciste et violente.

Et là, au cœur du chaos ambiant, Les Films du Camélia ressortent une pépite rare. Un document unique. Une œuvre inédite, interdite depuis près de quarante ans en Angleterre et aux États-Unis. Babylon est une expérience cinématographique immersive et multiforme. Le réalisateur anglais d’origine italienne, Franco Rosso – célèbre pour ses mises en lumière des communautés issues de l’immigration, notamment la culture noire britannique – a une approche presque documentaire. À travers le parcours de son personnage principal, Blue (Brinsley Forde, chanteur du groupe de reggae Aswad), le cinéaste aborde frontalement la situation des jeunes afro-caribéens aux prémisses de l’Angleterre de Margaret Tatcher.

Blue et ses camarades appartiennent à la génération Windrush d’immigrés jamaïcains. Cette expression est issue du nom du navire MV Empire Windrush qui débarqua en 1948 en Angleterre avec à son bord 492 immigrés des Caraïbes et devenu aujourd’hui un symbole de l’immigration britannique contemporaine. Enfants des années 1970/1980, les personnages représentent cette jeunesse née sur le sol anglais, confrontée à une société raciste et violente – voisins, patrons, policiers – mais aussi au chômage et à la misère.

Heureusement, il y a la musique. Celle qui rythme tout le métrage. Blue chante. et le sound-system envahit le film avant même que la première image des rues embouteillées de la capitale anglaise n’apparaissent à l’écran. Franco Rosso assume un film multiforme. D’un côté ce documentaire social et politique, témoignage des violences interraciales, de l’autre une fiction consacrée à la jeunesse, à une bande de copains réfugiés dans le reggae. Genre musical né à la fin des années 1960 en Jamaïque et auquel Babylon rend un hommage plutôt inédit au cinéma, il est ici un personnage à part entière, ponctuant les émotions de Blue et sa bande depuis les instants de liesse absolue aux scènes les plus violentes.

© Les Films du Camélia

Babylon pourrait être un héritier de Mean Streets (1973) de Martin Scorsese et un parrain de La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz. Le premier pour l’ambiance nocturne et citadine, le Little Italy de New-York laissant sa place au Brixton de Londres (quartier pauvre du sud de la ville) et le rock des sixities/seventies au sound-system jamaïcain qui dans les deux cas accompagnent ces héros tentant de s’imposer dans leurs univers respectifs. Quinze ans avant La Haine, la même agressivité des forces de l’ordre face à une jeunesse tentant de trouver place alors qu’elle est parquée en banlieue dans la France des années 1990, dans un quartier communautaire dans l’Angleterre des années 1980. Dans ces trois œuvres, les jeunes sont marginalisés, en quête d’identité, victimes parfaites de la société dans laquelle ils sont nés. Tous ont besoin d’un exutoire.

Dans cette ambiance de racisme quotidien, les jeunes hommes de Babylon le trouve donc dans le reggae ; dans les concerts où des battles s’organisent et où Blue s’évade – car ce sont les rêves qui permettent à la jeunesse d’avancer malgré les provocations xénophobes – et affronte le King de la scène londonienne, le chanteur Jah Shaka, dans son propre rôle. Ils répètent dans des hangars, récupèrent des vinyles tombés des bateaux en provenance direct de la Jamaïque. La caméra est embarquée au plus près des personnages et s’accorde dans un montage lui aussi très musical, offrant des scènes effrénées comme une descente aux enfers où ils sont de plus en plus menacés par les tensions raciales, provoquant des émotions viscérales rares chez le spectateur. Car quand le film commence, Blue est garagiste et tente de gagner sa vie convenablement avant d’être licencié. Il faut alors lutter pour s’en sortir dans cette société elle-même en crise. Ces acteurs non-professionnels apportent au film une authenticité appréciable qui font de Babylon une œuvre unique en son genre et un film culte à découvrir, à voir et à revoir grâce aux Films du Camélia.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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