Crédits : édition La Fabrique
Brillant essai sur le climato-négationnisme et son idéologie raciste, Fascisme fossile a été écrit par le Zetkin Collective, ensemble de chercheur.ses, activistes et étudiant.es suédois. Sa traduction française vient d’être publiée aux éditions La Fabrique.
Le Zetkin Collective tient son nom de Clara Zetkin, femme politique et militante qui a étudié le mouvement fasciste dans le milieu ouvrier italien en 1923. Fascisme fossile revient sur ses traces en analysant la corrélation entre la défense capitaliste de l’extraction des énergies fossiles et l’idéologie raciste climato-négationniste. On aurait pu croire que face à l’urgence climatique, les différents gouvernements se seraient unis de façon rationnelle pour endiguer la crise. Or le constat posé par cet essai prouve que les intérêts du capital fossile sont défendus ardemment par les partis internationaux d’extrême droite.
Nier l’urgence
Que ce soit l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne, la Lega Nord en Italie ou le Rassemblement National en France, l’idéologie fasciste pointe toujours le bout de son nez lorsque des crises majeures apparaissent. Le premier réflexe de ces partis est de nier l’urgence, de décrédibiliser le discours écologiste en assurant que le CO2 est un gaz de vie et qu’il existe depuis la nuit des temps. Accompagnés de climatologues et d’astrophysiciens amateurs, les partis d’extrême droite emploient tout les moyens qui sont à leur disposition pour défendre le capital fossile – et a fortiori leurs intérêts économiques et leur idéologie raciste. Ils créent des think tanks, des ONG, tissent des liens avec des médias, diffusent des publicités, animent des conférences et des ateliers. Le Zetkin Collective explique cet attachement au capital fossile par le symbole de l’extraction dans sa pratique : celle-ci marque l’ascendant dans le rapport de force et la toute-puissance des hommes sur les ressources terrestres. Les auteurs parlent de « sadisme écologique » afin d’illustrer la satisfaction des climato-négationnistes, heureux de piller la terre.
Pour garder le beau rôle, ces penseurs et politiciens – majoritairement blancs, masculins et bourgeois – pointent du doigt un ennemi commun : les citoyens non-blancs vivants dans les pays du Sud. Pour faire simple, les partis d’extrême droite du Nord défendent l’extraction des énergies fossiles tout en niant l’impact environnemental néfaste de cette pratique. Ils accusent ensuite les pays du Sud de détruire les ressources terrestres en gérant mal leurs activités. En fait, « l’extrême droite surfe sur une rupture avec la réalité de l’effondrement climatique ». Elle se réapproprie la crise pour renforcer son idéologie raciste et capitaliste afin de toujours inciter ses partisans à conquérir le territoire et camper sur ses positions.
« Ces partis rêvent d’une nation ethniquement homogène où le groupe ethnique dominant – la majorité blanche suédoise, française ou italienne – habite le territoire et gouverne seul à l’intérieur de ses frontières. »
Fascisme fossile, Zetkin Collective
Le scepticisme, la peur et le symbole
Pour les climato-négationnistes, la remise en question de leur mode de pensée est un signe de faiblesse : « Peu importe la montagne de preuves qui leur est présentée, ils campent sur leurs positions. » Les auteurs de ce livre citent Pascal Bruckner, penseur d’extrême droite français qui écrit : « Vient un moment où il faut dire simplement : “c’est un ainsi que nous vivons, c’est à prendre ou à laisser.” » Il serait possible de voir ce mode de pensée comme l’un des fruits du système patriarcal dans le sens où celui-ci a produit des penseurs et des chefs d’Etat – majoritairement masculins – dont l’ego les transforme en statues de plomb satisfaites de ne jamais changer d’avis. Cette idéologie patriarcale se retrouve également dans les apologies au viol de la terre dans des hymnes tel que « Drill Baby Drill » (Viole, bébé, viole) scandés par des adorateurs du pétrole ou lorsque Jair Bolsonaro compare la forêt amazonienne à une « vierge convoitée par les pervers de l’extérieur. »
Parallèlement, les partis d’extrême droite utilisent la peur et le symbole pour manipuler leurs partisans. Se présentant comme les messies élus par le peuple pour répandre la vérité, les leaders de ces partis usent et abusent de la symbolique biblique dans leurs discours. Ils pointent du doigt les hommes trop arrogants avec leur volonté d’influencer le climat comme s’il voulaient influencer Dieu et justifient par là leur inaction. Les climato-négationnistes créent également leur propre novlangue pour désigner un ennemi qu’ils ont créé de toute pièce. Ils parlent de complot islamo-gauchiste, d’écocondrie, de vaudou éco-populistes pour agiter la peur au-dessus de la tête de leurs concitoyens. En effet, le discours climato-négationniste va toujours de paire avec un discours raciste. Deux symboles sont créés par les partis d’extrême droite pour susciter la haine et la peur au sein des populations : l’éolienne et l’islam.
« On ne peut qu’être frappé par la ressemblance entre cette aversion [des éoliennes NDLR] et la haine des minarets, des mosquées et des appels à la prière. »
Fascisme fossile, Zetkin Collective
Le nationalisme vert
Mais l’approche climato-négationniste adoptée par les partis d’extrême droite n’est pas viable. Voilà pourquoi cet essai aborde également la réappropriation de l’écologie par ces partis. Lors d’une conférence menée par le Collectif Nouvelle Ecologie – soit la verte couverture de l’ancien Front National – il était question de sauver la famille, la nature et la race. Se manifeste donc une réutilisation de l’écologie à des fins idéologiques. Toujours en maniant l’art du symbole, les leaders de l’extrême droite glorifient la frontière censée préserver « le monde boréal » pour les Néerlandais ou encore « les étangs paisibles bordés de saules pleureurs » pour les Britanniques. À cette magnifique nature verdoyante sont opposés le technicisme, l’eugénisme et tout ces mots compliqués servant à effrayer les partisans grâce à un scénario digne de Bienvenue à Gattaca. La psychose va plus loin lorsque certains membres de ces partis fondent des courants survivalistes et promeuvent le malthusianisme destinés seulement à certaines populations. Comprendre : les citoyens non-blancs vivants dans les pays du Sud.
Fascisme fossile est un essai qui explore les tréfonds absurdes de la rhétorique de l’extrême droite internationale. En conclusion, il s’interroge sur le futur du climato-négationnisme : « le capital se battra-t-il jusqu’à la mort ou ne pourra-t-il compter sur l’extrême droite ? » L’écologie restera-t-elle toujours une préoccupation de la gauche et du progrès ou deviendra-t-elle le principal argument du fascisme 2.0. ?
Fascisme fossile, Zetkin Collective, éditions La Fabrique, 18 euros