© Maximalist Records
Après avoir travaillé avec Christophe, Disiz, Cali et Serge Lama, le jeune artiste Augustin Charnet prépare un album solo au doux parfum de mélancolie, rythmé par des sonorités électroniques planantes et un goût pour la suspension. Rencontre avec ce jeune prodige de la scène musicale française.
Il y a des rencontres qui se déclinent en une succession de rendez-vous manqués. Le départ de Christophe en avril dernier a accéléré la tenue d’un entretien avec Augustin Charnet, qui a travaillé pendant de longues nuits pour la sortie des deux volumes de duos du Beau Bizarre. Les premières années d’expérimentation avec le groupe Kid Wise donnent au jeune artiste toulousain une certaine assurance, confirmant sa maîtrise du piano et de nouvelles sonorités pop. La rencontre avec Mathilda donne un nouveau souffle à ses compositions, notamment par le biais du groupe After Marianne. Ensemble, ils travailleront avec Christophe avant d’obtenir la première place sur le second volume des duos avec une relecture émouvante d’Océan d’amour. Augustin prépare un album avec Serge Lama avant de nous livrer les titres de son premier album qui s’annonce prometteur. Il était temps de le rencontrer.
Avant d’en venir à tes chansons, peux-tu nous raconter ton parcours avant la musique ?
Je n’ai pas vraiment pas eu de vie professionnelle avant la musique. J’ai démarré très tôt, après dix années de conservatoire. Mon cursus scolaire intégrait quelques cours de musique et cet apprentissage s’est renforcé par des expériences de groupe. Mon passage à la faculté fut très bref, à peine trois semaines (rires). Mon premier groupe, c’est Kid Wise.
Justement, je t’ai découvert par l’intermédiaire de Kid Wise, lors d’un concert à Rennes. Les autres membres continuent de travailler avec toi mais est-ce que vous avez des projets tous ensemble ?
Musicalement, beaucoup de choses se sont formées autour de Kid Wise. Il y a un projet actif qui va sortir prochainement sous le nom de Bruit. C’est un projet post-rock qui reprend le côté rock progressif de Kid Wise pour le pousser à l’extrême. Nous, on a quelques compositions sous le coude donc la porte reste toujours ouverte pour un retour du groupe.
Et puis il y a l’aventure After Marianne avec Mathilda, entre autres. Elle apporte une sensualité supplémentaire au spleen que tu trimbales.
Avec After Marianne, on se retrouve dans un registre davantage dream pop. Mathilda faisait la plupart des compositions et nous nous sommes retrouvés dans cet univers à la Agnès Obel, très planant. J’ai grandi avec des groupes qui charriaient cette sensation de mélancolie.
« J’te dis pas le manque, viens quand tu pourras », ce sont les mots déclamés par Christophe sur le morceau Lead or Feather. A ce moment-là, qu’est ce qui te plaisait chez lui ?
C’est grâce à ce morceau que nous l’avons rencontré. Mathilda avait cette idée un peu folle de lui proposer de faire des voix sur un morceau. Sur son premier EP, il y avait déjà la présence de Julien Doré, elle a donc pensé tout naturellement à Christophe pour son deuxième featuring. On l’a contacté avec ce morceau et c’est lui qui a écrit sa partie. Par la suite, il avait quelques regrets en tant que perfectionniste et éternel insatisfait. Nous sommes très contents de ce morceau et ça a été le début d’une magnifique aventure qui nous a construit. Dès le premier soir, on s’est retrouvés sur son album de duos à reprendre le titre Océan d’amour, présent sur l’album Les vestiges du chaos.
Il t’a fait confiance pour les deux albums de duos. Tu as participé à l’un des plus beaux titres, la reprise des mots bleus en compagnie de Son Lux. Comment était le travail avec lui ?
Merci de parler de ce morceau qui n’a pas assez circulé, malheureusement. Il y a des avis très tranchés sur le titre puisque les puristes ont du mal à retrouver le morceau original et ceux qui sont là pour découvrir de nouvelles choses acceptent la différence. C’est souvent une idée marketing l’album de duo et lui a accepté l’idée si on lui donnait carte blanche. Il n’était pas question de refaire les titres quasiment à identique. Les mots bleus, c’était un défi immense. J’ai présenté Son Lux à Christophe juste après leur concert à La Cigale. Il a pris une grosse baffe et c’était un bonheur de connaitre un type aussi curieux, surtout à plus de 70 ans.
Sur le second volume, tu as aussi travaillé sur le titre Les paradis perdus en duo avec Arno.
Oui, c’est un morceau que j’aime beaucoup. La voix très céleste de Christophe vient s’entrechoquer avec la voix très rocailleuse d’Arno.
À la toute fin du morceau, lorsque les violons s’emportent, on entend comme une voix étouffée par la musique. D’où provient ce son ?
Je pensais que personne ne me poserait jamais la question (rires). Tu as bien tendu l’oreille. Un soir, on travaillait sur le morceau et l’orage s’est mit à gronder. Christophe habitait sur le boulevard Montparnasse et un gars complètement ivre s’est mis à hurler sous la pluie. On a rajouté de la réverbération sur l’enregistrement et le tour est joué ! C’était un vrai travail sonore et cinématographique pour définir une ambiance à chaque titre.
Cette ouverture vers des artistes de cette génération t’a amené à travailler avec Serge Lama. Là, c’est davantage surprenant. Peux-tu en parler ?
On a hâte de sortir les morceaux pour son prochain album. Mon père, Yves Charnet, a une très belle relation amicale avec Serge Lama depuis quelques années. Il m’a suggéré l’idée d’envoyer ma reprise de Ne me quitte pas de Jacques Brel à Serge Lama. Il a beaucoup aimé cette reprise et nous avons beaucoup échangé. Serge écrit ses textes mais ne compose pas ses musiques, il fait donc appel à des compositeurs. Je lui ai fait un premier morceau, puis un deuxième, puis un troisième et cela ne s’est plus arrêté. Les textes étaient bruts, je devais tout composer et trouver la mélodie de voix. Il va enregistrer ça bientôt en studio.
Le nouveau souffle que tu donnes à Ne me quitte pas de Jacques Brel est assez représentatif de ton rapport à la musique. Tu as un goût pour le classique (la virtuosité au piano) mais aussi pour la variété et la pop. Ce mélange est amplifié par l’électronique qui offre une nouvelle déambulation mélancolique dans ces morceaux. Tu carbures à cette émotion ?
Je crois que tous les artistes peuvent répondre de manière positive à cette question. La mélancolie amène de grands moments d’inspiration. Cela se ressent dans les sons que j’aime travailler. Christophe était aussi beaucoup attiré par ça. Sur Ne me quitte pas, je passe du piano à un instrument qui s’appelle le roli. C’est un synthétiseur tactile qui existe depuis environ cinq ans et permet de s’enfoncer dans la matière. C’est un instrument très intuitif et immersif. C’est une sorte de piano où les touches auraient été retirées. Cette reprise canalise toute mes influences, de l’apprentissage exigeant de la musique classique à mon goût pour la chanson française et des choses plus modernes avec l’électronique.
Tu as réalisé quelques bandes originales pour le cinéma notamment avec Christophe pour Jeanne de Bruno Dumont. Tu y fais même une courte apparition. Tu ne ressentais pas trop la contrainte de la commande ?
Avec Dumont, il n’y a pas trop d’inquiètude à avoir de ce côté-là. Je n’étais pas le compositeurs principal, c’était Christophe qui menait la barre. Cela permet une liberté assez totale. Bruno Dumont a ses idées en tête mais il reste très ouvert aux propositions. Je n’ai pas une grande expérience de la musique à l’image mais c’est un travail très spécial avec Dumont. Il ne nous a pas donné de cahier des charges, seulement quelques instructions qui nourrissent les échanges. La musique apporte la dimension céleste au film, pour permettre au spectateur de planer face à l’aridité du texte.
C’est une expérience que tu voudrais renouveler ?
Avec grand plaisir. Pour le prochain Dumont, la musique de Christophe devrait accompagner le film même si je n’ai écouté que des maquettes. Le dernier morceau que j’ai fait avec lui sera dans le film. Il y a un casting impressionnant mais il reste un peu de mixage à faire avant la sortie du long-métrage. Ce sera émouvant de le découvrir en salle avec cette pensée pour Christophe.
C’est assez générationnel le goût pour les clips. Pour Venus, qui apparaîtra surement sur ton premier album, le clip met en scène cette solitude face au monde, cette passion amoureuse qui peut parfois tout dévorer. Tu participes à la création des clips ?
Je laisse vraiment faire les professionnels car je n’arrive pas à avoir un avis construit sur les images. J’adore laisser carte blanche à des réalisateurs. Pour Venus, il a totalement collé à mes attentes et ce n’était pas surprenant puisqu’il a réalisé de très beaux clips pour Disiz.
Pas étonnant dès lors de te retrouver sur un album de Disiz que tu emmènes aussi vers d’autres territoires. Sa musique s’est enrichie sur l’album Pacifique. La pop se marrie parfaitement à son verbe. C’est pareil pour Cali, où tu amènes des sonorités différentes dans son univers.
Le style très planant ne fonctionne pas avec tous les artistes. Quand ça fonctionne, ça donne de bonnes connections. Je me tourne de plus en plus vers la pureté en musique. Le point commun entre tous ces artistes, c’est leur curiosité et c’est la clé de la longévité pour une carrière musicale. Quand les gens pensent à Cali, ils peuvent avoir une image déformée de lui à travers certaines frasques médiatiques. C’est un artiste très pur et la télévision lui va assez mal, comme pour Disiz et Christophe. C’est une très belle rencontre et il est extrêmement fort en concert.
Quels sont tes projets pour la suite ?
On devait partir en tournée avec Cali mais le contexte sanitaire a bousculé le calendrier. Les premiers concerts en jauge réduite sont très particuliers. Je travaille avec Mathilda sur son projet qui devrait sortir à la rentrée. Ce sera rafraîchissant dans la scène française, entre de la musique sensuelle et des compositions mélancoliques. Pour le reste, il faudra attendre un peu.