LITTÉRATURESOCIÉTÉ

« Police » – (En)jeux de pouvoir

Dernier venu des éditions La Fabrique, Police, est un ouvrage collectif nécessaire, inscrit dans une actualité brûlante, où les forces de l’ordre jouissent d’une autorité suprême, que la société ne doit cesser de questionner.

Nouveau « schéma national du maintien de l’ordre » voulu par Gérald Darmanin, recrudescence des violences, mesures abusives qui sapent les libertés fondamentales – actes visant à endiguer le « communautarisme » – la question de la place que tiennent les forces de l’ordre dans l’espace public et politique n’a jamais autant été d’actualité au cours de ces derniers mois. Les auteur.trice.s de Police esquissent avec ce livre le point de départ d’une réponse concise et incisive sur la question, en mettant leurs pensées en mouvement au travers de six textes.

Derrière cet ouvrage vif et juste, il y a un collectif. Celui-ci est co-écrit par Amal Bentounsi – fondatrice du collectif Urgence notre police assassine – mais également par Antonin Bernanos – militant au sein de l’Action antifasciste Paris-Banlieue, lui-même poursuivi et incarcéré dans différentes affaires en lien avec les mouvements sociaux – Julien Coupat – également impliqué dans les récents mouvements sociaux – David Dufresne – écrivain et réalisateur, à qui l’on doit le récent Un pays qui se tient sage (prévu pour le 30 septembre 2020) – Eric Hazan – éditeur, gérant et fondateur de la maison d’édition de l’ouvrage (La Fabrique) – ainsi que Frédéric Lordon – directeur de recherches au CNRS et fréquemment publié chez la Fabrique (Imperium. Structures et affects des corps collectif (La Fabrique, 2015), mais aussi La condition anarchique (Seuil, 2018).).

Police questionne pertinemment les enjeux actuels du pouvoir en place, le rôle progressivement acquis par les forces de l’ordre ainsi que leurs liens ténus avec l’État. Des violences souvent tabous, tues par le gouvernement, révélées au grand jour par des anonymes, manifestant.e.s, passant.e.s dont la seule arme est devenue le téléphone portable. C’est tout le propos de David Dufresne dans la première partie de l’ouvrage, « L’arme des désarmés » qui s’ouvre sur la mort de George Floyd aux États-Unis – montrant ainsi la mondialisation de cette problématique.

« Qui sont les radicalisés ? Qui sont les criminels ? Qui sont ceux qui terrorisent ? Et qui est légitime ? »

Frédérice Lordon à la fin de “Quelle “violence légitime” ?” – Police

Écrit en 2020, cet ouvrage nous invite à prendre du recul sur les événements récents, à mettre en perspective toute la violence contenue dans notre société par la police et les forces de l’ordre en général. En s’appuyant d’emblée sur des crises proches telles que les manifestations des Gilets jaunes, Black Lives Matter ou encore la crise sanitaire toujours en cours, les textes comme celui d’Antonin Bernanos montrent une normalisation systémique de la violence, mais aussi à quel point – et contre toutes attentes – les cartes d’une sociologie de la solidarité militante ont été rebattues (particulièrement dans le mouvement des Gilets jaunes).

La force de ce corpus d’essais est de faire le lien direct entre des analyses théoriques et des exemples parlants – comme une analyse de la série Engrenages par Julien Coupat -, des expériences vécues, souvent personnelles – comme celle d’Amal Bentounsi qui de par ses origines sociales n’a cessée d’être confrontée à la violence systématique de la police, notamment lors du décès de son frère, Amine Bentounsi – ou un retour historique – tel que celui qu’effectue Eric Hazan dans « La police avec nous ! ». Des passages en manifestations, des violences subies, des échanges, des arrestations, des liens tissés, ce sont ces éléments que font concorder Police. Au-delà d’un regard critique vis-à-vis des forces de l’ordre, cet ouvrage désigne à lui seul toute la violence et toute la faiblesse d’un système profondément ancré et établi – fondé ici selon Antonin Bernanos sur une « généalogie coloniale ».


Police, dirigé par Amal Bentounsi, paru le 12 septembre aux éditions La Fabrique – 12€. Et pour aller plus loin dans la réflexion autour de l’omniprésence des violences policières dans l’espace public : l’ouvrage Gazer, mutiler, soumettre – Politique de l’arme non létale, écrit par Paul Rocher également publié aux éditions La Fabrique en juin 2020 – ainsi que le film Un pays qui se tient sage de David Dufresne, qui sortira le 30 septembre prochain.

Du cinéma et de la musique - Master Métiers de la Culture

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