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« Mignonnes » et l’hypersexualisation féminine précoce

© Bac Films

La sortie du film Mignonnes de Maïmouna Doucouré sur Netflix a fait polémique aux États-Unis. Il met en scène l’hypersexualisation de pré-adolescentes qui aussi dérangeante qu’elle puisse être à l’écran, est bien le reflet d’une réalité problématique.

La polémique avait commencé au mois d’août, alors que le film était annoncé sur Netflix (Etats-Unis). La plateforme de streaming avait en effet choisi un visuel représentant les personnages, des jeunes filles à la sortie de l’enfance, dans des tenues et des postures de danse provocantes. Jugée inappropriée et non représentative de l’esprit du film, l’image a été retirée et Netflix s’est excusé pour son erreur. La promotion s’est poursuivie mais la polémique a été récupérée par l’ultra-droite américaine. Le film s’est vu accusé de pédocriminalité et Ted Cruz, sénateur républicain du Texas, a même appelé le ministère de la Justice à ouvrir une enquête sur une potentielle violation des lois américaines contre la diffusion d’images à caractère pédopornographique. La réalisatrice Maïmouna Doucouré souligne que la plupart de ses détracteurs se sont offusqués sans même avoir vu son film.

Mignonnes raconte l’histoire d’Amy, 11 ans, qui rejoint un groupe de pré-adolescentes avec lesquelles elle prépare un concours de danse. La jeune fille, élevée dans une famille musulmane d’origine sénégalaise, apprend le mariage de son père avec une seconde épouse. Bouleversée par ce changement, elle se réfugie dans une socialisation nouvelle qui passe par la danse – parfois très suggestive – et par l’intégration au groupe des « Mignonnes  ». Sans jugement, par un cinéma qu’elle dit «  à hauteur d’enfant  », Maïmouna Doucouré force le spectateur à ouvrir les yeux sur la difficulté de devenir une femme dans une société patriarcale. Elle questionne les modèles d’éducation que l’on propose aux enfants et en particulier aux filles qui entrent dans l’adolescence.

Grandir à l’heure d’internet

Les Mignonnes du film tentent d’exister par l’image qu’elles renvoient, que ce soit à l’école ou sur les réseaux sociaux. Sur internet, elles se comparent aux autres, notamment aux plus vieilles qu’elles, et cherchent à leur ressembler via un jeu de mimétisme dangereux. Une enquête de l’association Génération-Numérique datant de février 2020 montre que les réseaux sociaux sont un espace investi par les plus jeunes. 59 % des moins de 13 ans possèdent un compte sur au moins un réseau social.

Si on oublie parfois leur présence en ligne, les plus jeunes ont accès au même contenu que les adultes, et ce souvent de manière non surveillée. Parmi ces contenus accessibles facilement, on trouve aussi la pornographie, dont on sait qu’elle peut être visionnée très tôt bien qu’elle transmette une vision déformée de la sexualité et une image dégradante des femmes. Contrairement aux actrices du film, qui ont été encadrées par une psychologue pendant le tournage, la plupart des pré-adolescentes se retrouvent seules face à ces représentations.

Dans ce contexte, c’est parce qu’elles pensent leur corps comme leur principal atout que les jeunes filles mises en scène à l’écran par Maïmouna Doucouré choisissent de le montrer. Cette hyper-sexualisation qui dérange le spectateur ne vient pas de nulle part. Elle existe hors de la fiction, dans un environnement fait d’images omniprésentes des corps féminins, moins dans la rue que sur les affiches publicitaires ou dans les clips musicaux et sur le web.

Apprendre à être une femme

L’hyper-sexualisation peut être très précoce, puisque l’on continue d’affirmer aux jeunes filles qu’elles deviennent des femmes le jour de leurs premières règles (qui surviennent en moyenne à 12,8 ans) alors même que leur corps est celui d’une enfant. Or la première injonction faite aux femmes, c’est d’être séduisantes. Si les conséquences de cette injonction sont désastreuses pour beaucoup d’adultes, on ne peut qu’imaginer ce qu’elle provoque chez des fillettes. En montrant une jeune fille qui se perd dans sa recherche de féminité, Maïmouna Doucouré souligne notre difficulté à voir le diktat dans notre propre société.

Disposer de leur corps librement est encore un combat quotidien pour les femmes. L’actualité française récente en fait état  : restriction au topless sur les plages, refus d’accès au musée d’Orsay pour cause de décolleté jugé choquant, injonction au port d’une tenue «  républicaine  » dans les établissements scolaires… Quand il ne sert pas à vendre, le corps féminin ne doit pas être trop visible dans l’espace public. Il nous faut questionner les modèles que l’on propose aux jeunes filles pour se construire et arrêter, peut-être, de leur dicter ce qu’elles doivent faire de leur corps. Mignonnes nous rappelle donc que le cinéma, merveilleux vecteur d’images nouvelles, a le pouvoir de faire ouvrir les yeux et la discussion sur des sujets de société fondamentaux.

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