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Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au « petit écran » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Aujourd’hui revenons sur la série Sense 8, diffusée entre 2015 et 2018. Une série en 24 épisodes réalisée par les sœurs Lana et Lilly Wachowski et par Joseph Michael Straczynski, qui a nourri l’émotion et la polémique à l’international.
Première production du studio JMS, avec lequel elle remporte GLAAD Media Awards de la meilleure série dramatique en 2016, elle est ensuite renouvelée pour une deuxième saison par Netflix, qui décide de l’annuler après cette dernière. Les réalisateurs, après avoir hésité à faire appel à un nouveau pour une éventuelle saison 3, ont basculé sur un dernier épisode beaucoup plus long (2h47), afin de finir en beauté une série déferlant d’émotions. Un dernier épisode au titre si évocateur : Amor Vincit Omnia (L’amour triomphe toujours).
D’amour, il est question à chaque épisode, chaque minute, chaque seconde. Sous couvert d’un scénario alambiqué, aux allures de polar et de roman de science-fiction, les réalisateurs ont fait le pari de dépeindre tous les sujets qui, selon eux, sont peu ou mal représentés dans la société d’aujourd’hui, et de les relier par un élément, l’amour. L’amour sous toutes ses formes, celles approuvées et celles désapprouvées, celles que l’on crie sur les toits et celles que l’on cache, celles que l’on regarde dans les yeux et celles que l’on essaye de fuir, toutes les formes qui font de nous des êtres complexes et humains. Sous la forme de huit personnages, c’est la totalité de l’amour qui forme les 24 épisodes de la série.
L’histoire nous fait voyager non pas dans le temps, mais dans l’espace. Dans un monde qui pourrait très bien être celui d’aujourd’hui, huit personnes naissent le même jour de la même année aux quatre coins du globe : Will et Nomi aux États-Unis, Kala en Inde, Wolfgang en Allemagne, Lito au Mexique, Riley en Islande, Sun en Corée et Capheus au Kenya. Nés de classes sociales et situations familiales différentes, ils évoluent sans connaître l’existence des autres. Jusqu’au jour où le mystérieux suicide d’une femme dans une église en ruines aux USA les relie, tant sur le plan émotionnel que psychique et télépathique. Ils sont ainsi connectés, capable d’apparaître les uns devant les autres, de ressentir ce que les autres ressentent, que ce soit le plaisir ou la douleur, et même de conférer leurs compétences aux autres. Ce lien qui les unit fait d’eux un cercle, un cluster. Alors qu’ils s’habituent tant bien que mal à partager leurs existences si différentes avec sept autres personnes, ils deviennent la cible de diverses attaques. Se découvre alors une alter-société, constituée d’organismes médicaux, économiques et politiques puissants qui se sont donnés comme objectifs de chasser ceux qui, comme eux, font partie d’un cluster.
Afin de rendre le tournage le plus réaliste possible, l’équipe a travaillé dans les huit villes dont les personnages sont originaires, en plus de Londres, Paris et Naples, pour les besoins de l’histoire. Le tournage n’est pas passé inaperçu, nécessitant bien souvent d’importants moyens de réalisation, à l’instar du réel feu d’artifice tiré à Paris en 2017 pour l’épisode final, ou encore une course-poursuite à Nairobi ayant mobilisé près de 700 figurants, 200 voitures et 1 hélicoptère. Cet effort de réalisme rend l’image de la série saisissante, les couleurs exacerbées, et les ambiances décuplées. L’impression de changer de pays en même temps que les protagonistes confère un sentiment de réalité qui agrandit le petit écran et rapproche acteurs et public. On est heureux de connaître d’autres villes et de s’y plonger à travers l’œil d’une personne appartenant et évoluant dans cette culture : on regarde une série sans avoir l’impression d’être un touriste. La bande-son, produite par Tom Tykwer et Johnny Klimek joue dans l’ambiance générale en alternant musiques traditionnelles, hymnes à la joie, et mélodies abstraites qui semblent tout droit issues des profondeurs de notre cerveau. Il y a de fait cette sublimation de l’art comme outil d’émotion humaine qui se retrouve constamment, que ce soit par le son ou les images.
Concernant le casting on retrouve cet effort de réalisme, avec une majorité de protagonistes originaires du même pays que leur personnage, ou du moins partageant la même langue maternelle. C’est notamment le cas pour les interprètes de Lito, Sun, Kala et Wolfgang. L’idée principale était de choisir des acteurs aussi variés que les personnages, afin que l’identification soit d’autant plus forte. Il y a également beaucoup de personnages secondaires, et un nombre extrêmement important de figurants. Cela accompagne l’idée d’implication du public, d’intégration de la population à l’histoire, afin qu’on ne la considère plus comme une fiction, mais comme un exemple de défi quotidien.
L’histoire, bien qu’ayant un plot-twist original, est construite par et autour de ses personnages. Chacun d’entre eux représente une culture, avec ses progrès et ses obstacles, et chacun appartient et mène un combat qui se retrouve dans nos sociétés actuelles. Les éléments chers aux réalisateurs sont ainsi incarnés par les personnages même : de fait Lana Wachowski, femme transgenre, a créé le premier personnage transgenre de sa carrière, Nomi Marks. Selon la réalisatrice, créer ce personnage a été une étape importante dans sa carrière artistique, mais aussi une épreuve : elle s’est ainsi inspirée de sa propre expérience pour certaines scènes, afin de dépeindre du mieux possible le quotidien encore semé d’embûches des personnes transgenres. De même le personnage de Lito, le sex-symbol par excellence, qui se révèle homosexuel au Mexique, met l’accent sur l’intolérance vis-à-vis de la communauté LGBTQ+, et sur le besoin urgent de pallier cette erreur sociétale.
D’autres thèmes sont abordés, bien que plus rapidement : la pauvreté et le développement en Afrique, la question des mariages arrangés, l’inégalité homme-femme au travail et au sein de la famille, la mafia urbaine… bien que le principal élément soit celui de l’amour sous toutes ses formes et de l’ouverture à la sexualité, Sense 8 se veut une série politique, sociale, humaine, et à laquelle tout le monde peut s’identifier, tout en découvrant aussi ce qu’il se passe à l’autre bout de chez eux.
La question de la sexualité est omniprésente tout au long de la série, et va de pair avec le lien particulier qu’ont les personnages entre eux. Ainsi, ce cluster qu’ils forment se veut une allégorie de l’unicité de l’humain face à la sexualité. L’histoire est régulièrement interrompue par des véritables odes à l’amour et à la sexualité, scènes durant lesquelles les personnages appréhendent leur lien de la manière la plus forte qui soit, ajoutant au psychologique et à l’émotionnel également l’élément physique. Ces scènes ne sont ni censurées, ni édulcorées, ce qui fait qu’elles ont également gagné leur lot de critiques : réputées trop crues, non nécessaires à l’histoire, elles ont cependant également valu à Sense 8 de rejoindre le rang du peu de séries sublimant ainsi le sujet tabou par excellence qu’est le sexe. Bien qu’effectivement « inutiles » pour l’histoire, ces dernières représentent l’importance de cette partie de la nature humaine que l’on a tendance à dissimuler ou bien à vouloir contrôler. Ce choix des réalisateurs a également valu à la série de se faire remarquer par le site pornographique xHamster, qui a proposé de signer avec eux pour une troisième saison.
Si l’on devait trouver un point négatif à Sense 8, ce serait probablement l’éparpillement de l’histoire. A ne pas confondre avec celui des personnages : chaque développement personnel et isolé permet de revenir en force sur les liens qui les unissent tous, et également de souligner les divers combats mis en avant. Cependant, l’histoire aurait gagné à être plus simple, avec moins de turbulences et de bouleversements. Bien que l’idée ait été d’explorer la nature humaine et le contact émotionnel entre les Hommes, ce qui ne peut donc être simplement représenté, il y a quelques scènes, voire même des arcs entiers qui aurait pu être supprimés. Néanmoins, aucune de ces scènes n’est désagréable, et il est même parfois reposant de se focaliser sur une partie de l’histoire plus fictive, oubliant un instant tous les problèmes que chaque personne nous met en face.
Finalement, Sense 8 est un hymne, une ode à l’amour, à la sexualité, à tout ce qu’il y a à dire de bien sur la nature humaine. C’est un combat imagé et dissimulé par de la science-fiction des Hommes contre une société dysfonctionnelle, inégale, et cruelle. C’est la promesse d’une possibilité de s’aimer librement aux yeux de tous sans peur de représailles ou de perte d’identité sociale. Au fur et à mesure que la série avance, on s’éloigne de la science-fiction dystopique et décadente qui nous assaille dès les premiers épisodes, et l’on finit par assister à une véritable épopée de groupe qui nous brûle le cœur.