Illustration : Kendrick Lamar et le plan de Compton par Anthony Lee Pittman – Couverture de l’ouvrage
Il n’est pas commun d’entreprendre l’écriture de la biographie d’un artiste de seulement 33 ans et dont la carrière ne cesse de révéler des surprises ; et pourtant l’auteur Nicolas Rogès donne à voir ici un superbe récit autour du travail artistique de Kendrick Lamar.
Kendrick Lamar : de son nom complet Kendrick Lamar Duckworth, né en 1987 ; professions : rappeur – parolier – artiste ; quatre albums au compteur, et détenteur d’un prix Pulitzer dans la catégorie musique pour son album Damn, en 2018. Entre anecdotes, retours socio-historiques – qui interviennent en début de chaque chapitre comme pour planter un décor thématique – et digressions esthétiques autour de la musique, Nicolas Rogès a fait le choix ambitieux de s’attaquer à la carrière de ce mastodonte du rap US, Kendrick – comme il est coutume de l’appeler – rappeur discret mais incontournable qui a balisé toute sa carrière depuis Compton en Californie – et Carson, ville de son label Top Dawg Entertainment (TDE) – et progressivement inondé le monde rap et hip-hop de sa musique.
TDE est le point pivot des rencontres de Kendrick Lamar, une sorte de famille, un environnement réservé qui laisse place à des personnalités fortes et talentueuses – comme Jay Rock, Sounwave, MixedByAli ou Ab-Soul – des personnes que n’a pas rencontré directement l’auteur étant donné la clause de confidentialité qui entoure le label, mais qui sont tout de même très présents dans le propos de celui-ci et viennent appuyer la compréhension de leur travail global.
L’auteur décortique les influences de l’artiste, entre rap et jazz, de la musique qu’écoutait Kendrick avec ses parents quand il était plus jeune, à 2Pac, en passant à celles auxquelles il n’a cessé de se confronter dans ses multiples collaborations – comme Thundercat ou Kamasi Washington (voir Track 12 – Mélanges). Une véritable « icône générationnelle » qui a construit sa carrière en marge, en sachant rester « humble » quoique percutant dans ses propos, ne manquant pas de faire preuve de détermination et de réparti vis-à-vis de ses confrères – comme Kanye West, Snoop Dogg ou André 3000 (Outkast) – toujours pour élever le niveau selon lui.
« Lorsqu’il pioche des CDs dans les rangées du disquaire, Kendrick ne retient pas des disques de rap. Il leur préfère les disques que ses parents écoutaient, et que lui même continue d’étudier : Marvin Gaye, Teddy Pendergrass, les Isley Brothers, Sade, Aretha Franklin, Gladys Knight & The Pips et, surtout, Curtis Mayfield. »
Nicolas Rogès / Track 9 – Control
Questionner la réalité
Ce livre ne manque pas de faire écho à une actualité brulante dans laquelle le rappeur n’a cessé de baigner étant originaire de Compton. Un espace en proie aux violences et à une pauvreté supérieure à celle du reste des États-Unis – Compton est ainsi l’une des cinquante villes les plus meurtrières du pays. La ville est présente partout, dans les justifications, entre les lignes, dans les souvenirs, dans les paroles de ses sons – comme sur ELEMENT.. Kendrick Lamar parvient à extérioriser toute la violence d’un système vis-à-vis des personnes racisées dans sa musique, dans lequel il marque des prises de positions publiques
« Le hip-hop n’est pas le problème : notre réalité l’est. C’est notre musique, notre manière de nous exprimer. Plutôt qu’aller dans la rue et tuer des gens, je veux m’exprimer de manière positive. »
Kendrick Lamar en réponse à un journaliste de Fox News qui pointait le caractère problématique du hip-hop, et le message anti-police diffusé par l’artiste.
La force de l’histoire telle qu’elle est racontée par l’auteur réside dans le fait qu’elle n’est pas linéaire, les allers-retours, les parenthèses se succèdent et se répondent les unes aux autres, le destin est toujours tracé – on passe sans difficulté des rencontres entre Kendrick et ses collaborateurs.trices à ses nombreuses victoires aux Grammys. Ce livre s’adresse essentiellement aux amoureux.ses du rap/hip-hop US, mais aussi à celles.ceux qui chercheraient à mieux le connaitre, et à comprendre les origines esthétiques et historiques multiples de ces genres musicaux encore trop souvent dévalorisés.
Découpé en tracks – un fonctionnement qui rappelle le développement classique des livres du Mot et le Reste – Nicolas Rogès coud et découd ces pans de vie déjà mémorables, cette carrière habilement et consciencieusement menée. Nous ressortons assurément grandi.e.s de ce livre qui parvient à valoriser sans difficulté tout un écosystème artistique et une lutte politique expressive, ainsi que la spiritualité inhérente à la musique de ce phénomène influent que rien n’arrête.
Kendrick Lamar – De Compton à la Maison-Blanche, par Nicolas Rogès, Le Mot et le reste , sortie le 17 septembre, 26€
Pour aller plus loin : l’émission de Rebecca Manzoni, Pop N’ Co, du 19 septembre portant sur le rappeur américain – avec Nicolas Rogès et Fatima Daas.