Crédit : Carlotta Films
Chaque mois la rédaction de Maze revient sur un classique du cinéma. Le mois dernier, nous nous sommes penchés sur le classique des classiques Le Silence des Agneaux. Ce mois-ci nous nous intéressons à un cinéma d’un tout autre genre, avec Bianca, film de l’Italien Nanni Moretti.
Nous connaissons essentiellement le cinéma de Nanni Moretti pour La Chambre du fils, drame encensé par la critique et par le Festival de Cannes en 2001 ; ou pour Habemus Papam, où le réalisateur filmait un Michel Piccoli à la pudeur plus que touchante ; mais moins pour ses premiers pas devant et derrière la caméra effectués sous l’égide d’un sens inouï de la comédie, fascinant de spontanéité et d’ironie. Bianca, sorti en 1984, fait partie de ces films. Le réalisateur fait ici usage d’un humour tout à fait singulier, parfois absurde pour palier la morosité du quotidien, et ou celui-ci ne cesse de décortiquer les relations humaines.
Nanni Moretti a incarné une variété de rôles dans ses films, souvent en lien avec le cinéma, mais aussi des psychologues dans La Chambre du Fils et dans Habemus Papam, un prêtre dans La Messe est finie – des rôles résolument tournés vers la psychanalyse, qui portent en eux une certaine réflexion et une intériorité – dans Bianca nous le retrouvons dans le rôle de Michele, professeur de maths désabusé. Il est tout juste muté dans cet établissement d’un genre alternatif, la « Scola Marylin Monroe », bannissant le cadre strict des institutions pour se tourner vers un certain libéralisme, une école qui « ne forme pas mais informe » composée essentiellement d’originaux. Ceux-ci – à commencer par le proviseur sont présentés tour à tour dans des scènes portraits marquantes – à l’image de ce professeur d’histoire qui fait écouter dans un moment de grace le morceau Il cielo in una stanza de Gino Paoli. La particularité de Michele, est sa haute estime de l’amour, des sentiments purs, qui le mènent vers une jeune femme, Bianca (Laura Morante), discrète professeure de français – dont il apprécie la démarche – tout juste arrivée dans l’école.
Défenseur impassible d’une certaine idée de la pureté, pureté de l’amour et des sentiments, de la relation, pureté qui émane de son travail : professeur de mathématiques consciencieux, qui n’expriment ses sentiments et sa fougue que dans une brutalité – et dans une certaine mesure – une générosité fulgurante, indomptable, imprévisible – comme en témoigne cette scène culte sur la plage où il agresse une des jeune femme seule en s’allongeant sur elle, mais lors de laquelle il saisit, sans pour autant comprendre, le sens déplacé de son geste par les réactions que les autres lui renvoient. Michele a un sens sérieux et profond de la morale, trop rigoureux, trop exagéré, cherchant à aller toujours plus loin dans cette quête. Il met le feu aux différents éléments de sa salle de bain en arrivant dans son nouveau domicile, comme pour le laver, le purifier ; collectionne des paires de chaussures noires, identiques et impeccables ; consigne les faits et gestes de son entourage dans des carnets. Une rigueur que l’on retrouve de temps à autres dans la mise en scène, en témoigne la séance de gym rythmée avec les élèves et les couleurs nettes de leurs vêtements.
Michele observe, épie, ses voisin.e.s, ses ami.e.s, Bianca – qu’il connait à peine – fasciné, toujours dans une nonchalance déplacée et brute – qui désarçonne sans cesse ses interlocuteur.trice.s. Nous observons les salles de classe, les fenêtres, la ville ; le personnage qu’interprète Nanni Moretti incarne bien souvent la caméra mais comme un observateur et non pas comme un acteur, semblant se laisser prendre par les événements, la plupart du temps sur un ton on ne peut plus interrogatif. La caméra de Moretti est plus que jamais, dans Bianca, une fenêtre sur le monde et sur les moeurs des un.e.s et des autres, notamment depuis ce lieu clé, la terrasse : immense, semblant nichée entre les bâtiments, théâtre de tous ses excès et de toutes ses interrogations, place centrale où l’intime n’a plus de raison d’être.
« Ceux qui acceptent tout ne sont-ils pas fous ? Moi je tranche : ceci est sain ou malade, beau ou laid, bon ou mauvais. »
Michele dans la scène de rupture avec Bianca
La succession des meurtres ne révèle pas pour autant sa folie, tant il se conduit avec sincérité, sa démence réside dans un trop plein : sa gourmandise exubérante, son humeur instable, son goût prononcé pour le monologue – tout porte à croire que quelque chose va mal mais nous continuons de le suivre. Jusque dans cette scène finale au commissariat, presque trop simple, trop évidente, où il admet que la déception l’a poussé au pire, déçu par ses ami.e.s, par cette quête vaine de la perfection et d’une illusion du bonheur, qu’il n’a lui même pas trouvé auprès de Bianca.
Bianca est disponible gratuitement sur la plateforme de streaming d’Arte – et ce jusqu’au 30 septembre.