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LUNDI SÉRIE – « Dark », le sac de nœuds de Netflix

Crédits Netflix

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «  petit écran  » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Aujourd’hui revenons sur la série allemande Dark dont le troisième volet mis en image par Baran Bo Odar, vient conclure le récit, de manière assez décevante.

En 2017, Netflix dévoile une série de science fiction allemande qui promet de renouveler le genre. Une esthétique terne, sombre que sublime la musique électronique d’un Ben Frost à son apogée. La première saison de Jantje Friese tutoie l’horrifique sur fond de disparition d’enfants. L’écriture est sans concession, l’ambiance pesante, l’intrigue complexe.

Accepter l’impossible

Il est si difficile de résumer Dark que celles et ceux qui s’y attèlent ont souvent recours aux arbres généalogiques, aux schémas. Nous suivons Jonas (Louis Hofmann), un adolescent bouleversé par le suicide (très récent) de son père. Nous épousons l’incompréhension du jeune homme et nous le suivons dans ses errances. L’occasion de découvrir la petite ville de Winden organisée autour d’une intimidante centrale nucléaire et depuis peu chahutée après la disparition d’un enfant. Plus l’enquête avance, plus des liens s’établissent avec le passé des personnages. La réalité est de plus en plus complexe. Tout est lié. Pour que les personnes comprennent, il leur faut accepter l’impossible.

Dans un premier temps, la série déploie un nombre considérable de personnages, doublés ou triplés de leurs alter-égos d’antan. Car il est question de voyage dans le temps. 2019, 1986 et 1953. On suit alors (avec un petit temps d’adaptation) cette intrigue impeccablement ficelée. La série ne laisse pas de place au silence, la musique de Ben Frost est une constante. Esthétiquement, la palette inhabituellement terne laisse oublier cette réalisation académique que quelques gimmicks viendront polluer dans les saisons suivantes.

La deuxième saison est l’occasion de découvrir le voyage dans le futur et la fameuse apocalypse dont il est sans cesse question. Jonas qui voyage entre les époques pour tenter de réparer “l’erreur dans la matrice” (son père n’est nul autre que l’enfant qui a disparu du monde 2019 et atterri en 1986, sa naissance est donc une erreur). Cette seconde phase de l’intrigue est dans la digne lignée de la première. On regrette simplement le manque de renouvellement dans la musique. Quand ils ne sollicitent pas Ben Frost, les créateurs font régulièrement appel à des morceaux d’Agnes Obel et un étrange morceau signé Brad Wells et Caroline Shaw qui mêle souffle et voix. C’était en effet la force de la série : être une production qui s’écoute plus encore qu’elle ne se regarde. La saison 2 perd doucement cette logique pour basculer totalement dans la dernière.

Deus Ex Machina

Dans cette troisième et dernière saison, l’écriture se fait de plus en plus redondante au point qu’il y ait plus d’indices que de fond dans les répliques. Au manque de développement des personnages (souvent considérés sous le seul prisme du voyage dans le temps) répond un pathos inédit qui ne prend pas. C’est le besoin de réponses qui motive le visionnage. Et quelles réponses !

Jonas (Louis Hofmann). Crédits Netflix

Dès son début, la série prend la décision de répondre à des questions par d’autres questions. Les interrogations se cumulent si bien que la potentialité d’une réponse satisfaisante ne cesse s’amoindrir. Heureusement, les trois saisons ont été écrites simultanément me direz-vous. Mais il n’est plus question de temps mais de mondes dans la dernière saison. On s’accoutume doucement à l’idée de questions en suspend. Que nenni ! Avec un mélange de mauvais pathos, lieux communs et pédagogie mal placée, la série s’applique à reprendre chacun des points pour y répondre. Très vite, la troisième saison prend des airs de “Deus Ex Machina”.

Le nouveau monde (celui de Martha où Jonas n’existe pas) est d’abord une fausse réponse à la question de l’origine qui anime la série (ce qui déclenche l’apocalypse, la faille temporelle). Subtilement amenée avec la figure d’Adam, puis de manière beaucoup plus ostensible avec Eva, la série se vautre dans un mysticisme creux où le péché originel devient la réponse à toutes les questions.

Déjà vu ?

Dark a-t-elle renouvelé le genre ? Sur de nombreux plans, la série allemande n’a rien renouvelé. Casting exclusivement blanc (pour une bourgade de l’Allemagne profonde, cela peut s’entendre mais le souci de réalisme de la série avait dû m’échapper), protagonistes presque exclusivement hétérosexuels (à l’exception d’une aventure bisexuelle, bien entendue réduite à un coït)… Nombre d’écueils ne sont pas dépassés et si la série n’a pas la prétention d’innover sur ce plan, on peut regretter que les personnages n’aient en fait aucune véritable identité sociale, qu’ils soient tous pensés comme un neutre. Les personnages n’ont pas de corps, pas de genre, pas de “race”. Ils ne sont que le produit d’un passé (et d’un futur). Pour l’actualité, on repassera.

Crédits Netflix

Pourtant, on trouve du côté des personnages beaucoup de qualités à Dark. Les internautes se sont pour beaucoup montrés sensibles à cette esthétique noire, cette musique électronique qui n’a rien à envier à celle de Stranger Things et au retour de l’allemand dans des séries et films grand public. Mais l’innovation de Dark n’est pas formelle. Le travail scénaristique, d’abord, est titanesque. Et si la troisième saison est un faux pas, elle a été menée avec la même logique rigoureuse que les précédentes. Mais c’est en se penchant sur la question des conséquences du voyage spatio-temporel que la série a fait la démonstration de son ingéniosité. Il y a beaucoup de justesse dans la façon dont la folie (réelle ou supposée) des personnages se dessine. Qu’elle apparaisse comme un décalage (temporel en général) ou une implosion (liée à un décalage temporel), elle est compréhensible. C’est d’ailleurs du côté des fous que se trouve le spectateur. C’est là le tour de force de la série, faire passer la raison pour une hérésie, l’hérésie pour la raison.

Il faut également saluer le jeu d’acteur. Malgré une direction d’acteurs parfois très appuyée (on se lasse vite des secondes de silence qui séparent chaque réplique pour plus de solennité), tous parviennent à nous faire avaler des réalités que les schémas peinent à retranscrire.

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