CINÉMA

LUNDI SÉRIE – « Euphoria », l’addiction

©allociné

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «  petit écran  » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Aujourd’hui revenons sur la série HBO Euphoria, dont le réalisateur serait sur un nouveau projet secret.

Adaptation d’une mini-série israélienne inspirée de faits réels diffusée entre 2012 et 2013, la saison 1 – composée de huit épisodes – d’Euphoria est entièrement réalisée par Sam Levinson. Le récit se focalise sur le personnage de Rue (Zendaya), celle-ci revient alors d’un été en cure de désintoxication après avoir frôlé la mort au cours d’une overdose. Elle remarque Jules (Hunter Schafer), une jeune fille trans, lors d’une soirée, et se lie rapidement d’amitié avec elle au cours de sa rentrée au lycée. La série se concentre sur l’individualité de Rue mais dévie rapidement sur les différents personnages qui l’entourent, allant de son cercle familial rapproché à ses différents camarades de lycée.

Euphoria nous plonge ainsi dans des années lycée quelque peu trash teintées de drogues en tous genres, de sexe en ligne, et de troubles psychologiques. Si l’ensemble de la série nous rend rapidement addict, c’est bien parce que la structure de l’objet n’est pas sans rappeler toute cette littérature cinématographique qui a ponctué les dernières années : Gossip Girl, High School Musical, Glee, Lady Bird, Skins, Le Monde de Charlie, Palo Alto ou encore récemment Beautiful Boy. Bref tout ce qui rassemble de près ou de loin à des adolescents plus ou moins perdus face aux bouleversements que la vie leur incombe malgré eux, en somme du vu et revu, mais ici brillamment exploité. La série déconstruit ainsi ce mythe exacerbé du lycée étasunien, en faisant un lieu bien plus menaçant et politisé qu’il ne l’est d’habitude.

Euphoria sort cependant de ce carcan parfois trop réducteur du teen movie pour se diriger vers autre chose, poussant le scénario dans un drame générationnel contemporain, actualisé à la réalité de 2019. L’écriture des personnages y est ainsi pour beaucoup, il n’est pas compliqué de croire et de se laisser prendre dans la narration menée par Rue, portée par une Zendaya bluffante. Ainsi chaque épisode aborde cette construction rythmée d’un personnage / un épisode, avec : épisode 2, Nate (Jacob Elordi) ; épisode 3, Kat (Barbie Ferreira) ; épisode 4, Jules ; épisode 5, Maddy (Alexa Demie) ; épisode 6, McKay (Algee Smith) ; épisode 7, Cassie (Sydney Sweeney) ; ainsi qu’une boucle avec une reprise sur le personnage de Rue sur le prologue, puis sur l’épilogue. Cette structure permet ainsi une présentation détaillée, présentant objectivement le développement individuel de chacun, notamment constitué à partir de l’enfance. Ce choix narratif met d’une certaine façon en exergue les fragilités et les failles intériorisées, accordant une compréhension plus globalisante.

Là où la série martèle son propos, c’est dans son rapport tout trouvé au politique. C’est une pression à la fois absente dans la forme, et pourtant bien sous-jacente dans le fond du propos, marquant l’équilibre éphémère des tenants sociaux, le crime, la catégorisation, la pression sociétale, la quête du succès permanente. De nombreux sujets sont ainsi abordés comme le coût des traitements sur le territoire étasunien, la perception de la sexualité, les tueries de masse, les violences conjugales ou les lois abruptes qui encadrent la diffusion d’images pornographiques. Toutes ces dimensions reviennent sans cesse dans les problématiques qui ordonnent ce groupe. Euphoria joue aussi sur la mise en lumière des minorités ancrant définitivement le récit dans ce qu’est 2019, en donnant une place à une actrice trans, à des personnages LGBT+, mais aussi à des remises en question de tous les codes jusqu’ici établis. C’est l’une des premières fois où le politique se dresse comme une véritable barrière, ici tout semble ancré dans un équilibre précaire, et ce à chaque instant.

Euphoria exalte ainsi l’adolescence tardive dans toute sa complexité et dans la révélation que celle-ci présente, exacerbant les failles de l’enfance, et les craintes de l’âge adulte. Un monde adolescent qui s’entremêle aussi à celui des plus âgés, à l’image du père de Nate, toujours incapable de faire la paix avec lui-même, dressant autour de lui un mensonge de succès, ou des parents de Cassie et Lexi qui se noient chacun respectivement dans la drogue et l’alcool. La série renferme en son sein toutes les détestions, tout le malaise de l’adolescence, la difficulté de se définir physiquement, de trouver sa place. La série torture les corps, les met dans des positions délicates et laisse entrevoir un décalage constant avec la morale ordinaire, leur beauté imparfaite est pourtant sans cesse retranscrite dans le champ visuel.

Au delà de tous ces aspects de fond, la forme de la série est une véritable satisfaction sensorielle, l’image est sophistiquée, toujours sombre et impeccable, focalisée sur des teintes pourpres âpres la nuit et des couleurs plus pastels le jour. Le son est également au rendez-vous avec une bande-originale conséquente, composant avec une musique originale portée par le groupe Labrinth dans le générique, on y entend également des choix musicaux plus ou moins audacieux, mais toujours justifiés : Billie Eilish, Agnès Obel, Anderson .Paak, Migos, Arcade Fire, Bronski Beat, Blood Orange ou encore Kali Uchis. Plus d’une centaine de titres sont ainsi à l’affiche de cette série produite en partie par le rappeur Drake, qui y appose à l’occasion quelques titres.

Un des seuls reproches qu’on peut finalement faire à Euphoria est sans doute la “glamourisation” constante qui entoure ces fragilités, faisant notamment de l’addiction un objet culturel “cool“, un résultat inéluctable étant donné la dimension esthétique de cette production. Il faut à présent patienter jusqu’à la saison prochaine prévue pour l’année prochaine, celle-ci devrait se focaliser sur des personnages très (trop ?) peu exploités lors de cette première saison, notamment Lexi (Maude Apatow), la soeur de Cassie et amie d’enfance de Rue, ou Fezco (Angus Cloud), le dealer. La série est disponible en intégralité sur la plateforme OCS.

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