© Splendor Films
Pamela B. Green signe un documentaire singulier sur l’ascension d’une (grande) cinéaste invisibilisée : Alice Guy-Blaché. Un portrait d’une pionnière conjugué au présent, au risque de quelques problèmes de concordance des temps.
Parmi les cinéphiles qui se targuent de prédire le prochain contrechamp pendant leur énième visionnage hebdomadaire de Citizen Kane, peu connaissent l’autre histoire du cinéma. Pendant longtemps, un pan entier de l’histoire du septième art a été délibérément jeté aux oubliettes. Alice Guy-Blaché, secrétaire chez Gaumont, a été la première femme réalisatrice. Elle était également monteuse, scénariste et productrice. Depuis quelques années, tables rondes, émissions et autres documentaires tentent de la remettre sur le devant de la scène.
Pamela B. Green s’inscrit dans ce sillage. Avec Be Natural : l’histoire inédite d’Alice Guy-Blaché, la réalisatrice américaine tente de reconstituer la naissance du cinéma. Bien-sûr, il ne suffit pas de rajouter quelques lignes dans les livres d’histoire pour que la vérité soit restituée. Des archives sont perdues à jamais (on sait trop bien combien la conservation des films coûte cher) et les choix de restaurations favorisent encore des réalisateurs largement plébiscités.
Hier au présent
Pamela B. Green fait le choix d’angles délibérément progressistes et contemporains. La réalisatrice américaine interroge le genre de la réalisatrice et convie Ava DuVernay (à laquelle on doit l’excellent When they see us) à évoquer la question de la représentation des noirs. Alice Guy Blaché a en effet fait le choix de filmer des personnes noires au lieu d’un blackface, une option très présente dans la culture cinématographique de l’époque (et des suivantes). D’Al Jolson à Buster Keaton, nombre de grandes figures du septième art ont fait du blackface un ressort comique.
Les analyses de la documentariste américaine offrent donc une relecture radicale de l’histoire du cinéma. Une relecture encore largement boudée par les études cinématographiques françaises. Faire le choix de ces prismes d’analyse, c’est inscrire ce combat culturel pour la restauration dans des rapports de pouvoir. La culture n’est pas dépourvu d’enjeux politiques et économiques, la réalisatrice américaine l’a bien compris. Il s’agit aussi de ratisser large. Intéresser au cinéma par le féminisme. Et vice versa. Il arrive que les salles obscures nous offrent des éclairages radicaux.
C’est pourtant dans cette même perspective qu’on pourra adresser quelques critiques à Pamela B. Green. Le documentaire porte les gimmicks de son époque. Sensationnalisme, montage sur-cutés, silences impossibles. On a parfois l’impression que cette enquête policière manque de chair.
Un monde d’images
Quand Solax Film Co est créé, Hollywood n’existe pas encore. Alice Guy-Blaché vient de créer une société de production inédite pour ses films. Pour la plupart des productions, ce sont encore aujourd’hui les assistants réalisateurs qui sont crédités. Les images sont là mais les mots ne sont pas les bons.
Les images de Guy-Blaché sont pourtant reconnaissables. Elle apporte un premier souffle particulièrement inspirant aux films : humour, science fiction, making-off. La réalisatrice fourmille d’idées. Et Pamela B. Green sait le valoriser. Jodie Foster assure la narration et du côté des images… C’est là que ça se gâte.
Dans sa quête, la documentariste cumule les sources. Images d’archive, photographies, entretiens et quelques effets spéciaux parfois hasardeux. Si le montage initial est plaisant parce qu’il détourne l’esthétique de l’époque avec les moyens technologiques d’aujourd’hui, il arrive que l’effet tombe à plat. La faute à quelques transitions dignes des plus belles présentations Prezi. La musique contribue à la dimension tape à l’œil du documentaire.
Au contraire, les images des films d’Alice Guy-Blaché se font trop rares, trop segmentées. Le documentaire porte finalement plus sur la recherche que sur la cinéaste. Un parti-pris qui ne peut s’entendre qu’en complémentarité avec une approche plus biographique et artistique que le film ne développe que trop peu.
Le film n’en reste pas moins nécessaire. Il ravive l’urgence de s’adresser dans tous les domaines (notamment artistiques) aux questions de représentations.