Comme toute les deux semaines, les journalistes de Maze vous proposent un tour d’horizon des dernières sorties musicales. Le mois de juin est là et laisse place aux expérimentations musicales et sonores.
Sébastien Tellier – Domesticated
Après le séducteur (Sexuality, 2008) ou le gourou (My God Is Blue, 2012), Sébastien Tellier comme à son habitude incarne un personnage, et cette fois, c’est l’homme domestique : les tâches ménagères, la vie à deux, la routine, s’occuper des enfants… Autant de thèmes qui résonnent particulièrement bien, à la sortie du confinement. Depuis L’Aventura son dernier album en 2014, Sébastien Tellier s’est marié, et a eu deux enfants. Un tournant pour lui, moins pour sa musique. Une drôle de sensation s’empare de nous à l’écoute, celle d’un disque qui se veut plus “à la mode” que ce qui est à la mode : des sonorités néo 80’s façon Stranger Things, à l’utilisation permanente, et au final franchement lassante, de l’autotune. Résultat, un album qui manque d’âme, de corps et de tripes. On se réjouit simplement d’un groove très plaisant sur Hazy Feelings, et d’une jolie folie un peu destructurée comme on aime avec Venezia. Mais malgré ces quelques moments bien sentis, Domesticated ne fait tout simplement pas mouche.
Coup de cœur : Venezia
Sortie le 29 mai
Kevin Dufrêche
Medhane – Cold Water
On ne sait pas grand chose de Medhane si ce n’est qu’il est originaire de Brooklyn et que c’est un artiste prolifique qui a démarré il y a peu (il a déjà sorti un album intitulé FULL CIRCLE cette année), mais qui ne cesse de nous impressionner de par sa dextérité à manier les mots. Il a émergé subitement dans notre champ de vision musical avec son bref single Routine sorti en 2019, imposant déjà un flow immense. Avec Cold Water il délivre un album d’une puissance sans pareille, le propos est lacéré, laissant entrevoir des blessures béantes, portées par des instrus plutôt feutrées et soul. Il partage cet album de pas moins de 14 pistes avec les artistes Navy Blue, Jadasea (artiste proche de King Krule que nous affectionnons particulièrement), keiyaA, et Maxo. Il développe ainsi son appartenance à un groupe plus large d’artistes au talent inspirant et son sens inouï du collectif qui réunit à la fois des rappeurs et des producteurs géniaux. Medhane livre sans nul doute un des albums les plus importants de ce premier semestre 2020.
Coup de cœur : Truth & Soul
Sortie le 26 mai
Caroline Fauvel
Dune & Crayon – Hundred Fifty Roses (LP)
Sans aucun doute la collaboration la plus prometteuse de 2020, so far. Découverts l’un et l’autre – Crayon par Gildas Loaëc (cofondateur de Kitsuné) et Dune via son groupe Saje – la rencontre, c’est au Terminal 7 qu’elle se fait, en 2015 lors d’un festival. Depuis, Crayon s’est révélé sur Roche Musique (Dabeull, FKJ etc.) après avoir quitté l’écurie Kitsuné, laissant libre court à son univers, notamment sur le sensuel et low tempo EP Post Blue en 2018. Tout naturellement donc que Hundred Fifty Roses verra le jour chez Roche. L’album, qui dresse le portrait d’un homme s’isolant dans un monde sur-connecté, voit s’inviter quelques chouettes noms tels que Lossapardo, Ichon, Swing et Gracy Hopkins. Sans compter sur le délicieux mélange d’influences (soul, funk, rnb), le tracklisting atteste d’un groove diaboliquement sexy et sucré. Mention particulière aux titres Pointless, Not In Love, et Save Yourself First (qui introduit parfaitement l’histoire).
Coups de cœur : Pointless, Not In Love, Save Yourself First
Sortie le 22 mai
Guillaume Lacoste
OH MU – Contre – Culture (EP)
Liberté et engagement. Deux mots qui résonnent haut et fort quand on découvre l’univers musical et graphique de l’artiste OH MU. Deux ans après son EP Oh Mu, le garçon sirène de la nouvelle scène française revient avec Contre-Culture, manifeste survolté et habité par l’envie brûlante de bousculer les codes binaires imposés par le monde. Continuant d’emmêler sonorités électroniques de club et pop, celle.celui qu’on découvrait en 2017 en première partie du groupe Bagarre nous offre un hymne à l’acceptation de soi. Critique acerbe du patriarcat (Daddy), exploration du genre (Alien), rapports de force (Dingue), OH MU ne rentre dans aucune case et s’écarte des productions actuelles lisses pour laisser place à une créativité folle et sans limite. Un cinq titres qui soulève les révoltes et déconstruit les normes, d’autant plus quand on se penche un peu plus sur l’artiste qui se proclame ouvertement gender-fluid et non binaire mais qui se bat aussi pour la visibilité des personnes autistes (étant elle même asperger). Un cri du coeur intime au message politique.
Coups de cœur : Alien, Je fais ce que je veux m’en fous
Sortie le 22 mai
Pauline Pitrou
Hamza – 140 BPM (EP)
Hamza opère son retour avec un projet qui colle parfaitement avec l’arrivée des beaux jours. L’artiste belge dévoile un EP inéluctable composé de trois morceaux. Comme à son habitude, le « SauceGod » ne manque pas d’inspiration quand il s’agit de proposer de l’égo-trip à ses auditeurs, pondant des rimes plus folles les unes que les autres. A travers ces trois sons, il nous fait pénétrer dans une ambiance assez obscure qui se prête parfaitement au genre drill, et nous fait part de son mauvais penchant pour le péché. Des basses agressives et des punchlines marquantes viennent accentuer cette atmosphère imposée par l’artiste. Avec 140 BPM, Hamza prouve sa maîtrise à travers un projet court mais amplement suffisant.
Coups de cœur : Nobu
Sortie le 27 mai
Isaac Daim
Soulwax – DEEWEE Sessions Vol.1 (EP)
David et Stefen Dewaele mettent à l’honneur le célèbre synthétiseur modulaire EMS Synthi 100. Un modèle révolutionnaire pour la musique électronique qui a fait son apparition au début des années 70. Fréquemment réemployé c’est cette fois au tour des frères Belges, maîtres exigeants et toujours aussi impressionnants de la musique électronique et grands collectionneurs, de s’adonner aux expérimentations sonores que permet cet outil. Six morceaux d’une modernité et d’une maîtrise saisissante, laissant apparaitre des accents de salles d’arcades de temps à autres, et découpés comme des mouvements qui présentent conjointement un développement musicale ondulatoire tourné autour de l’instrument ; ici crédité comme un artiste à part entière sur cette composition. Cette création, véritable hommage s’accompagne en vinyle, d’un ouvrage (déjà sold out), un travail esthétique d’orfèvre.
Coup de cœur : Movement 3
Sortie le 29 mai
Caroline Fauvel
Ed Mount – Songs with 2 Keyboards & a Drum Break (EP)
Un Rhodes, un SH-09, un sample de batterie, Ed Mount et son salon, c’est bien l’EP Song With 2 Keyboards & A Drum Break. Un EP minimaliste composé de quatre reprises toutes plus soft les unes que les autres. L’artiste parisien travaille toujours aussi habilement la matière musicale pour en faire une ligne continuelle sobre mais délicate, il reprend ici les morceaux suivants : Clouds Across the Moon de The Rah Band (1985), Three is a Magic Number de Bob Dorough (1973) (déjà repris par De La Soul), Baby de Donnie & Joe Emerson (1979) (repris superbement par Ariel Pink en 2012), et Go On Forever de Vladimir Cosma et Richard Sanderson (1980) issu de la bande originale de La Boum qu’on ne présente plus. Des choix sous le signe de la légèreté, et d’une appropriation timide, qui demeure cependant simplement belle.
Coups de cœur : Go On Forever
Sortie le 26 mai
Caroline Fauvel
Le podcast
Par ailleurs retrouvez la chronique complète de l’album de Mk.gee sorti le 22 mai dernier.
