CINÉMA

(Re)Voir – Les Chansons d’amour, Balade funeste

Quatrième long métrage de Christophe Honoré séléctionné en compétition officielle à Cannes en 2007, Les Chansons d’amour est à l’honneur sur la plateforme streaming d’Arte. L’occasion de (re)découvrir ce mélodrame chantant oscillant entre légèreté et gravité.

Les chansons d’amour disent toujours la vérité. Elles disent « Tu me manques… Tu es la femme de ma vie… Je ne peux pas vivre sans toi… Ton absence me mange le coeur… ». Les chansons d’amour consolent et trouvent les mots que nous n’avons jamais su dire. C’est peut-être la raison pour laquelle, il est facile de se reconnaître au travers du film. Un an après Dans Paris, Christophe Honoré s’élance dans le drame musical qui constituera par la suite sa marque de fabrique. Salué par quatre César dont l’un pour la meilleure musique originale en 2008, Les Chansons d’amour sonne le premier succès d’un cinéaste singulier dans le paysage cinématographique français et marque le renouveau du film musical.

Julie (Ludivine Sagnier), Ismaël (Louis Garrel) et Alice (Clotilde Hesme) forment un trio amoureux turbulent et passionné dans un Paris grisé. Mais les doutes et peurs ressenties par Julie vont peu à peu se faire une place au sein du triangle et remettre en cause la relation. Un tragique événement va mettre fin aux querelles.

Chanter la vie et la mort

Dans une mise en scène intelligente et subtile, le réalisateur fait chanter ses acteurs.ices comme il les fait parler en incluant les chansons comme des dialogues, des vues sur l’intériorité des personnages. Ici, pas de chorégraphies dansantes mais des déambulations sentimentales et funèbres où les personnages chantent leurs états d’âmes dans les rues de la capitale. Si dans les trente premières minutes du film, tout laisse à croire à une comédie sentimentale et musicale, le long-métrage va se teinter d’une couleur plus sombre après la disparition du personnage de Julie, emportée subitement par un arrêt cardiaque en plein concert. Dès lors, la légèreté se transforme en peine et en deuil. Chacun va appréhender l’épreuve à sa manière, la soeur de Julie – portée par une Chiara Maistronani touchante – tentant vainement de surmonter le chagrin aux côtés d’Ismaël qui lui, se console dans des idylles d’un soir avec filles et garçons. Ces chansons d’amours, il fallait une plume juste et sensible pour les écrire, et qui d’autre qu’Alex Beaupain, compagnon musical d’Honoré de toujours, pour livrer une B.O d’une telle justesse. As-tu déjà aimé ? , Ma mémoire sale, Je n’aime que toi : des titres comme des déclarations pour dire le doute, la tristesse, l’absence et le vide. Le réalisateur construit la trame du film autour de quatre titres de l’album Garçon d’honneur de Beaupain (2005). Un scénario d’autant plus touchant quant on connaît le destin de la bien-aimée du chanteur disparue tragiquement à l’âge de 26 ans dans les mêmes conditions que le personnage de Julie.

Un parfum de Nouvelle Vague

Pour ses chansons d’amour, Honoré puise de nombreuses inspirations dans le cinéma de la Nouvelle Vague qu’il admire. Demy et Truffaut dans le rétroviseur auquel il fait référence de manière très subtile dans le film, comme par exemple pour la structure tripartite du récit : le départ, l’absence, le retour ; conçue sur le même modèle que chef d’œuvre musical de Demy Les Parapluies de Cherbourg. Et multipliant les clins d’oeil au cinéma de Truffaut comme cette scène où les trois personnages (Ismaël/Garrel, Julie/Sagnier et Alice/Hesme) lisent chacun un livre qui rappelle un passage culte de Domicile Conjugal (qui constitue d’ailleurs l’affiche du film). Sans jamais copier ses idoles, mais toujours dans la nuance, il dépeint un Paris morne et romantique où l’on pleure sous la pluie, on erre dans les parcs et l’on chante sur les trottoirs déserts. Si on pourrait facilement reprocher le côté « trop parisien » du film d’Honoré de par ses personnages intellectuels et avides de littérature, c’est pourtant là que réside une grande partie de la beauté du film. En prenant les codes de deux genres très différents à savoir la comédie musicale et le cinéma d’auteur, le réalisateur de Dans Paris déconstruit les clichés souvent entendus sur les films chantés, et prouve que le film musical peut être gai et dramatique, doux et douloureux. Un modèle de film qu’il continuera de préciser dans Les Bien-Aimés sorti en 2011.

« J’écoute uniquement les chansons, parce qu’elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D’ailleurs, elles ne sont pas bêtes. Qu’est-ce qu’elles disent ? Elles disent : « Ne me quitte pas… Ton absence a brisé ma vie… » ou « Je suis une maison vide sans toi… Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre… » ou bien « Sans amour, on est rien du tout… »

La femme d’a côté – François Truffaut (1981)

Les Chansons d’amour est l’un de ces grands films qui forgent nos façons d’aimer et rend les sentiments impudiques. Car un beau film sur l’amour est un beau film sur la vie. Tout comme les chansons dont parle Fanny Ardant dans la Femme d’à Côté, le film d’Honoré nous dit la vérité, l’amour est plus fort que la mort, l’amour c’est tout ce qu’il nous reste quand il n’y a plus rien.

Disponible jusqu’au 30 septembre 2020 sur Arte.

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