CINÉMA

Re(Voir) – « Il était une fois dans l’Ouest » , la transfiguration de Sergio Leone

Paramount Pictures

Après la « Trilogie du dollar », Sergio Leone est à un tournant de sa carrière. En 1968, il réalise de nouveau un western avec ll était une fois dans l’Ouest, diffusé ce dimanche 26 avril sur Paris Première à 23h25. Mais tout en perpétuant sa veine parodique, Leone transforme les fondements de son cinéma pour aboutir à un chef-d’oeuvre intemporel.

Excepté le début de sa carrière consacrée aux péplums, la filmographie de Sergio Leone se résume à six longs métrages, dont cinq westerns. Ainsi, il paraît plus aisé d’analyser les motifs de son œuvre plutôt que ses ruptures. La « Trilogie du dollar » décline d’ailleurs les mêmes schémas narratifs et les mêmes archétypes. Elle n’évolue essentiellement que par une montée en puissance de la mise en scène, toujours plus virtuose et audacieuse. Pour passer ce cap, le cinéaste voit non seulement encore plus grand en atteignant les trois heures de pellicule avec Il était une fois dans l’Ouest, mais il renouvelle son rapport au cinéma. Après avoir fait intervenir l’Histoire dans Le Bon, La Brute et le Truand, Leone resserre les fils du récit pour tendre vers l’intimisme, seulement effleuré jusque-là. Ambitieux, le réalisateur se voit décapiter le registre parodique du western italien dont il est l’un des fondateurs. Ce, en seulement trois séquences qui ouvrent le film.

Une gare, trois desperados

Ces trois scènes pourraient appartenir à trois films différents tellement elles se font écho en se contredisant. La première, connue de tous, est celle de l’attente interminable dans une gare déserte. Le spectateur comme le cinéaste sont en terrain connus : les expressions délicieusement patibulaires et grotesques d’un trio de desperados, la musicalité des bruitages, la mise en scène grandiloquente qui rythment presque dix minutes où il ne se passe rien. Leone reprend en somme l’esprit ludique qui fait sa marque de fabrique en radicalisant sa démarche. Il voulait d’ailleurs faire intervenir son trio d’acteurs cultes Clint Eastwood, Eli Wallach et Lee Van Cleef dans le rôle des desperados. Mais Eastwood ne voulait pas jouer ce rôle d’une scène de peur de ternir son image. Et pour cause : Charles Bronson dégaine et aligne le trio à la fin de la séquence. En voulant réutiliser ces trois personnages de son précédent film pour mieux les assassiner quelques minutes plus tard, Sergio Leone veut recomposer ses gammes pour mieux tuer son propre cinéma, et repartir à zéro tout comme Claudia Cardinale qui vient de la Nouvelle-Orléans pour bâtir une nouvelle vie. Les deux premières séquences sont ainsi dépourvues de la musique d’Ennio Morricone, dans une austérité solennelle qui annonce le deuil à venir.

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Des retrouvailles avortées

La deuxième ouverture est aussi celle de l’attente, d’un instant suspendu avant la mitraille. Mais la déclinaison de ce motif dès le début du film s’effectue pour mieux rejeter le jeu au profit du tragique. La famille qui nous est présentée semble déjà déchirée par la vie : la grande fête de retrouvailles qui se prépare n’en sera que plus lugubre, les cadavres gisant sur la table à manger. La musicalité des bruitages n’est désormais plus rythmique, mais présente une fonction narrative. Lorsque les cigales s’arrêtent une première fois, chaque membre de la famille tend l’oreille dans un silence assourdissant. La tension est alors instantanément exacerbée sans le moindre effet de manche. Le massacre qui s’ensuit est bien différent de tout ce qu’on a pu trouver jusque-là chez Sergio Leone : il est impromptue, castrateur, et invoque une fatalité foudroyante. En deux scènes on ne peut plus binaire, le réalisateur marque encore l’histoire du septième art au fer rouge en portant ses obsessions de cinéaste à leur paroxysme pour mieux les consumer.

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Une explosion lyrique

Mais la scène inoubliable entre toutes, qui confirme la véritable métamorphose du cinéma de Sergio Leone est celle qui suit les deux premières. Après une transition pour le moins efficace entre un ultime tir de revolver, le plus cruel, et le sifflement d’une locomotive, Leone fait apparaître un deuxième registre qu’on ne lui connaissait pas. Il s’agit du lyrisme, qui hantera ses films suivants jusqu’au monument nostalgique Il était une fois en Amérique. Alors que le cinéaste n’avait jusque-là inventé que des anti-héros archétypaux et corrosifs, à commencer par « l’homme sans nom » qui subsiste encore avec « l’homme à l’harmonica », il s’efforce maintenant de matérialiser une humanité profondément touchante. Ainsi, la rayonnante Claudia Cardinale descendant du train, pensive et soucieuse, surgit comme le premier être humain du cinéma de Leone. Elle n’est pas guidée par l’argent ou la vengeance, mais par un souffle de vie inoxydable. Après un instant de silence encore une fois suspendu, le thème principal du film et sa voix de femme si vibrante déclenche une explosion lyrique qui annonce les intentions du cinéaste pour le restant de sa carrière.

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Il ne fallait pas plus de trois scènes au cinéaste pour exhiber à nouveau sa maîtrise absolue du cinéma, et la mettre au service de causes nouvelles, celles du tragique et du lyrique. Si Leone ne perd pas pour autant sa verve humoristique, en atteste une scène d’attaque de train jubilatoire orchestrée par le personnage de Cheyenne, il est toujours rattrapé par une mélancolie extérieure à tout cynisme. Tout comme John Mallory dans Il était une fois la Révolution et Noodles dans Il était une fois en Amérique, Cheyenne se révèle finalement en figure tragique au terme du film. Il alimente lui aussi la force désormais empathique du cinéma de Sergio Leone, et son pessimisme non plus dissimulé par la parodie, mais mis à nu.

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