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Le 25 mars dernier, la Comédie de Caen a publié sur Viméo Démons de Lars Norén, dans une mise en scène de son directeur, Marcial di Fonzo Bo. Une revisite baroque entre théâtre et cinéma de la pièce suédoise.
Tout juste sortis du cimetière, Frank (Romain Duris) et Katarina (Marina Foïs) sillonnent la forêt de leur manoir de banlieue parisienne. Musique solennelle brouillée de larsens, il est annoncé que le deuil de Frank ne se fera pas sans peine. Il vient de perdre sa mère. Elle se moque de ses chaussures « dégueulasses » qu’il ne peut pas porter pour l’inhumation. On pressent en quelques minutes l’esprit tordu des protagonistes.
Alors qu’il vagabonde dans ce manoir à l’esthétique léchée, on discerne chez Frank une forte toxicité. Il pose sur sa propre femme des regards froids : il pourrait lui faire du mal, il l’a déjà fait. Laissé au dernier moment par son frère, il décide de convier les voisins : Tomas (Stefan Konarske) et Jenna (Anaïs Demoustier). Il faut un public à ce couple névrosé. Pris en étau, ce public catalysera les désirs et les peurs de ces amants qui se détestent.

L’amour du contraste
Dans une esthétique léchée nourrie de contrastes, Marcial di Fonzo Bo laisse l’énergie des quatre protagonistes se répandre, se heurter. Les espaces sont saturés de signification. Dans le salon froid, il est impossible de mettre une ambiance chaleureuse. Le feu est attisé en vain. Dans l’immense bois qui borde le manoir, on trouve les craintes et les frustrations des héros.
La mise en scène baroque s’empare de la poésie de Norén et souligne les excès de ses personnages. Symétrie, ralentis, costumes exagérément habillés, Marcial di Fonzo Bo restitue à merveille quatre dynamiques contradictoires. La névrose imprédictible de Frank, obsédé par sa mère dont il vient goûter les cendres. L’énergie lunaire de Katarina, détruite, qui tente dans la provocation de retrouver de l’affection. La candeur de Jenna, arbitre d’un conflit dont la violence la dépasse. Le dégoût de son mari Tomas qui ne supporte pas l’étroitesse du monde dans lequel sa paternité le retient.
Folies furieuses
Démons doit pourtant en grande partie son succès à l’interprétation magistrale de son casting. Romain Duris laisse le rôle investir son corps. On ressent dans sa démarche la rage perpétuel du personnage. Il y a dans ses yeux une folie furieuse. Dévoré par la frustration, il incarne la domination masculine dans ce qu’elle a de plus glaçant. Face à lui, Marina Foïs est toujours juste dans un jeu qui est double : de la fatigue émotionelle de son personnage à la récitation laborieuse d’un monologue qu’elle a gardé pour que son mari ne l’abandonne pas.
Le metteur en scène dirige à la perfection la violence que Lars Norén insuffle dans son sous-texte. Il fait le choix d’insérer des plans ralentis du couple au milieu d’un bois sombre, comme le décor d’un tableau. Chacun s’éloigne doucement. Ne pouvant se résoudre à se perdre, il la surveille d’un œil, elle l’implore de l’autre.
On trouve dans la folie du texte de la cohérence, dans son réalisme, de l’absurde. Démons pousse ses personnages dans leurs extrêmes. Les normes de genre sont polarisées, les esprits sont tordus, la rage est partout. Du combat de ce quatuor, on ne ressort pas indemne.