© Eva Vermandel
Le recueil de nouvelles de l’autrice américaine Lionel Shriver, Propriétés privées, vient d’être traduit en français chez Belfond. « Ne dit-on pas que les choses que l’on possède finissent toujours par nous posséder ? »
Lionel Shriver est une écrivaine et journaliste née et diplômée aux États-Unis, vivant aujourd’hui à Londres. Elle est l’autrice, entre autres, du roman We Need To talk about Kevin, dont l’adaptation en film réunit Ezra Miller et Tilda Swinton. Son recueil Propriétés privées est paru en février 2020 aux éditions Belfond.
« Ce recueil catalogue avec une réjouissante ironie les nombreux abus auxquels peut mener le manque, le besoin ardent de posséder. Des locataires deviennent des propriétaires malheureux ; un cadeau de mariage provoque un affrontement entre amis ; un homme et son père se font la guerre pour 160 dollars et le prix d’un timbre de poste aérienne. »
New York Times Book Review
Il faut se concentrer pour entrer dans ce recueil, la traduction rendant justice à la précision du vocabulaire utilisé par Shriver. Il ne faut pas se laisser dérouter, car les histoires racontées par la romancière sont pleine d’ironie mordante, de chutes inattendues et de situations rocambolesques. Les non-dits et la rancœur sillonnent dans ces nouvelles. Dans certaines, on croit reconnaître Shriver elle-même, particulièrement dans « La sous-locataire », ou les choix de vie et de carrière de Sara résonnent étrangement avec ceux qu’a fait Lionel elle-même : des études de journalisme américaines avant un départ pour l’Irlande du Nord, le Royaume-Uni qui devient sa terre d’adoption.
Le recueil rassemble dix nouvelles classiques encadrées par deux « novellas », « Le lustre en pied » et « La sous-locataire », un terme propre à la littérature américaine qualifiant un texte relativement long, entre la nouvelle et le roman court. Celles de Shriver font environ 100 pages chacune dans l’édition Belfond. Le reste des nouvelles font entre vingt et trente pages condensant parfois des années de vie.
Il est difficile de savoir quoi penser de ses personnages. A la fois détestables et attachants, inspirants parfois la pitié, parfois l’horreur, ils sont tous enchaînés au concept de propriété qui les rend obsessionnels, rancuniers, vengeurs. La plupart font une montagne d’un petit événement, et sont amenés en quelques mots à un regret intense. Dans « Taux de change » et, d’une certaine manière, dans « La sous-locataire », tout bascule à partir d’un objet ridicule : un baume à lèvres ou encore une radinerie mal placée. C’est intéressant de voir à quel point les personnages sont creusés. Même au sein d’une courte nouvelle, Shrider est capable de leur donner une épaisseur qui permet de mieux comprendre leurs motivations et leur entêtement sans jamais avoir l’impression d’avoir raté quelque chose.
Le sujet qui revient dans chaque nouvelle, c’est ce ce concept de propriété, promis dès le titre lui-même. Shrider joue avec la définition de propriété, faisant s’interroger le lecteur : qui possède quoi ? Est-ce que ce n’est pas l’objet qui finit par posséder son propriétaire ? Dans la nouvelle « Repossession », elle analyse cette inversion des rapports de forces parfois spectaculaire, parfois plus insidieuse qui fait la profondeur de sa réflexion sur le besoin de détenir. C’est cette idée qui pousse à lire les nouvelles les unes après les autres, pour savoir jusqu’où sont capables d’aller ces héros pour se prouver qu’ils sont vivants, qu’ils sont en possession d’un quelque chose qui les fait exister.