© Le Tripode
Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci, nous avons interrogé Frédéric Martin, fondateur de la maison d’édition Le Tripode.
C’est une maison d’édition parisienne fondée en 2013. Son nom, Le Tripode, regroupe à lui seul la multitude d’influences qui la compose. Il tient à la fois du nom des soucoupes volantes de La Guerre des mondes d’H.G. Wells et de celui du cabanon d’Alfred Jarry tout en signifiant « trois pieds » en grec. On peut également voir dans son logo un lien de parenté graphique avec certains fétiches de l’art africain. Ce joyeux mélange éclectique est le moteur de la maison d’édition.
Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Maze ?
F.M : Je m’appelle Frédéric Martin, et je suis un être plus ou moins normal. Ma seule particularité, c’est que je suis né d’une mère presque italienne et d’un père presque belge, que j’ai grandi à Marseille et Tahiti, puis vécu aux Pays-Bas et au Maroc. Avec tout ça, la France me semble un pays un peu étrange. Mais ça va bien quand même. Surtout quand votre territoire est moins un lieu qu’une langue. Je vis dans la littérature depuis l’enfance, grâce à un prof qui m’a montré comment y trouver la liberté.
Qu’est-ce qui a motivé votre projet de maison d’édition en 2013 ?
F.M : Le chômage, puis le chaos. Le chômage, car en 2008 je quittais un premier boulot dans une maison d’édition en pensant trouver facilement un autre emploi. Un an plus tard, j’ai fini par comprendre que, si je voulais continuer à travailler dans les livres, je n’avais pas d’autre choix que de créer moi-même une maison d’édition. Le chaos ensuite, car cette première maison d’édition a fait un naufrage, plutôt violent, à cause d’une mésentente entre ses fondateurs. En quelques jours, il a fallu tout réinventer : un nom, une organisation, un credo, un élan.
Vous dites « privilégier la sensibilité aux doctrines, le cheminement dissident de l’imaginaire à l’immédiateté du discours ». Pouvez-vous développer ce choix de ligne éditoriale ?
F.M : C’est simple, j’ai mauvais caractère. Dès que quelqu’un essaie de me convaincre d’une idée, j’ai tendance à chercher les arguments contraires. Dès lors, la littérature que j’aime ne pouvait se déployer que sur d’autres chemins que la volonté de convaincre : la bienveillance à l’égard d’un monde qui, personnellement, me semble fou, et un certain humour pour ne pas sombrer dans cette folie. D’où la dissidence. Les régimes pathologiquement à tendance totalitaire le savent bien : quand, non seulement, on se méfie des idées convaincantes, mais qu’on manifeste en plus un goût pour la tolérance et l’humour, on devient un cauchemar, un élément tout à fait incontrôlable.
Vous arrivez à trouver un bon équilibre entre productions contemporaines et livres plus anciens. On trouve également dans votre catalogue de nombreux livres illustrés. Pouvez-vous expliquer les critères sur lesquels vous basez votre sélection ?
F.M : Je ne fais pas de distinction entre les œuvres en fonction de leur âge. Je ne sais plus quel libraire m’a dit un jour qu’une nouveauté est un livre qui n’a pas encore été lu, et il avait raison. De même, la distinction entre les genres ne m’intéresse pas du tout. Je me moque de savoir si un livre est un roman, une BD, un poème, un pamphlet ; je ne fais pas plus attention à son degré de sophistication. Certains manuscrits que je reçois sont d’amples romans écrits dans une langue très spectaculaire, mais ne présentent à la lecture aucun intérêt. A l’inverse, j’ai reçu il y quelques semaines un texte très court, inclassable, primitif, avec un vocabulaire limité, et il s’est révélé bouleversant. Bref, pour le dire autrement, je n’ai pas de critères de sélection d’une œuvre sinon celui de sa force vitale : ce qui fait l’importance d’un livre, à mon sens, ce n’est ni son ancienneté, ni son genre, ni son degré de raffinement, mais la vérité existentielle qu’il porte en lui.
Qu’est-ce qui rend un roman atypique et intéressant selon vous ?
F.M : Je ne peux que prolonger la réponse à la question précédente : on ne peut savoir à l’avance ce qui rend une œuvre intéressante, puisque l’intérêt d’une œuvre repose précisément sur sa part d’inconnu. Un bon roman, c’est celui qui nous apporte quelque chose que nous ignorions avant de le lire et que nous considérerons comme faisant partie de nous après l’avoir lu.
Vous vous présentez comme éditeur de littérature, d’arts et d’ovnis. Quels sont ces ovnis ?
F.M : Les ovnis, c’est nous ! Pourquoi croyez-vous que nous fantasmons autant sur les soucoupes volantes ? Que nous attendons avec autant d’impatience que de peur la venue des extraterrestres ? Ce que nous sommes ne peut nous suffire et nos esprits ont sans cesse besoin d’un ailleurs, ce sont eux qui alimentent la fabrique à ovnis. Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des choses surgies de nulle part, des histoires, des fables…
Chaque année vous publiez « Le Tout va bien » dans lequel vous rassemblez les titres de presse les plus improbables. Pourquoi ?
F.M : Le Tout va bien, cette anthologie annuelle des titres de faits divers les plus absurdes, est un ovni par excellence. J’ai eu l’occasion dans un autre livre – Le Coup du lapin – d’expliquer pourquoi les faits divers sont importants à nos vies.
Quels sont vos projets futurs ?
F.M : M’occuper du texte bref et primitif qui m’a bouleversé. Et, avant cela, défendre les premières œuvres de quelques auteurs étonnants : Esther (Olivier Bruneau), Longue vie (Stanislas Moussé), Le Dit du Mistral (Olivier Mak-Bouchard), Cobrastar (Thomas Bois). Continuer à me laisser surprendre. Flâner.
Petite sélection bibliographique des immanquables de leur catalogue :