CINÉMA

« L’Etat Sauvage »- Entretien avec Alice Isaaz, Deborah François et David Perrault

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Sept ans après son passage à Cannes pour Nos héros sont morts ce soir, David Perrault signe son deuxième long-métrage et nous emmène dans l’Amérique du XIXe siècle.

Alors que la guerre de Sécession fait rage aux États-Unis, une famille de colons se voit obligée à fuir le conflit en espérant regagner Paris. Placée sous la protection du mystérieux Victor qui les guide dans leur voyage, la famille va devoir faire face à de nombreux obstacles, et notamment une bande d’assassins aux allures mystiques. Nous avons rencontré David Perrault, réalisateur du film, ainsi que les actrices du film, Alice Isaaz et Deborah François pour parler de cette folle aventure à travers l’Amérique.

C’est assez inhabituel de placer un film pendant la Guerre de Sécession des Etats-Unis, mais côté français…

David Perrault : Je savais que je voulais faire un western, qui est par essence un genre américain. Mais il y avait forcément une histoire française puisqu’on fait partie de ceux qui ont colonisé les Etats-Unis. Je me suis dit qu’il y avait un terrain vierge à travailler sur ce plan là. Alors je me suis penché sur la place tenue par les colons français dans ce conflit. Le film commence là dessus : Napoléon III avait demandé aux Français de rester neutres, ce qui est évidemment impossible dans un état guerre. Ils ont alors connu quelques complications.

Le film commence dans une atmosphère très fermée, très pesante. En temps de guerre, mais aussi dans une époque et dans une famille particulièrement conservatrices. Et puis tout à coup, on se retrouve dans d’immenses paysages ouverts…

David : Je voulais un film qui soit très étouffant, un espèce de huis clos avec ce groupe de femmes qui n’avaient aucun point de vue sur l’extérieur. Et puis tout à coup, que les cloisons se brisent et qu’on se retrouve propulsé dans une espèce d’état sauvage. Ça m’intéressait de voir comment les rapports de force allaient s’inverser, comment les personnages allaient évoluer dans ce nouveau contexte. 

Alice et Deborah, vos personnages font face à l’inconnu de manières très différentes...

Alice Isaaz : Le film est plein de contrastes, j’adore ça. Entre tous les personnages, comme la mère, très pieuse, et le personnage de Layla qui à une spiritualité beaucoup plus libre et qui pratique des rites vaudous. Au début, cette famille est complètement enfermée dans les non-dits et le paraître. Et puis le voyage va les obliger à laisser tout ça derrière elle.

Deborah François : Pour mon personnage, ce voyage est une vraie chance. Elle ne s’en rend pas compte tout de suite parce qu’elle est totalement prisonnière de son carcan. Elle est très silencieuse, elle est rongée par sa souffrance. Et puis au fur et à mesure du film, elle va s’ouvrir aux autres et au monde.

Vous avez tourné les extérieurs dans les plaines du Canada, où les températures peuvent changer très rapidement. Qu’est-ce que cela implique sur un plan technique, d’avoir à ré-imaginer tout le décor du film ?

David : Cela faisait aussi parti du projet du film au fond, de partir à l’aventure en déplaçant l’équipe, pour vivre en quelque sorte le voyage de cette famille. Ce qui est compliqué c’est que quand on se retrouve dans des conditions aussi extrêmes, il arrive un moment où le corps reprends le dessus, et l’équipe ne pense qu’à une chose : se réchauffer.

Alice : On a pas été épargnés, ça c’est sûr ! Mais finalement tant mieux, parce que tout cette fin de film sous la neige qui n’était pas prévue, ça raconte autre chose ; quelque chose de pesant et de glacial.

Deborah : On a eu l’inverse de ce qui était prévu sur la quasi majorité des scènes en extérieur. La scène du chariot aussi devait être tourné sous la pluie et puis finalement on a eu un grand soleil. Mais ça fait de la scène un OVNI, c’est génial.

Alice : Par essence, la nature est imprévisible, donc il faut s’adapter. Le tournage est devenu très organique, tout s’improvisait. Nous n’avions pas vraiment le choix, il fallait faire avec. C’est vrai qu’avant de voir le film, on s’inquiétait un peu pour les raccords.

Deborah : Mais finalement, le film est d’autant plus riche !

Le film se base sur une période qui a réellement existé, mais il y a toute une part de fantastique autour de ce voyage. Les personnages de Victor et de Betty, l’imaginaire d’Esther et les rituels vaudous de Layla. Pourquoi avoir choisi de mélanger ces deux mondes ?

David : Ça découle surtout de ma sensibilité, j’aime beaucoup sortir du réalisme. Je voulais que le film prenne des allures rêves, comme si toute cette aventure était en fait le rêve d’Esther. 

Alice : En lisant le scénario, on voyait déjà qu’il y avait tout ce côté fantastique et ça m’avait beaucoup intriguée. Le fait de rencontrer David, de découvrir son univers, c’était une manière de rentrer dans ce monde fantastique. On dit toujours oui à un film en laissant une part d’inconnu. Il y a le film qu’on lit, le film qu’on tourne, et le film qu’on voit.

La musique et la lumière jouent un rôle très important dans le film, notamment pour introduire cet univers merveilleux.

David : Oui tout à fait, c’est ce que j’appelle la surexpressivité. Au lieu d’utiliser le dialogue, on s’exprime par le visuel et par le son. J’aime bien quand le fait d’être au cinéma se transforme en une vraie expérience, un peu comme une hypnôse. C’est ce que je cherche à créer chez le spectateur.

Le film est un western, qui est pourtant un genre où l’on trouve généralement peu de femmes. Pourtant ici, ce sont elles les héroïnes.

David : Je voulais féminiser le genre, loin des images d’Epinal qu’on associe au western. Cette force féminine en mouvement dans le film finit par le transformer. 

Alice : Moi ce qui m’a plu dans le projet de David, c’est cette idée de western au féminin, et la volonté qu’il avait de raconter la condition féminine à cette époque, mais d’étendre la réflexion à un niveau plus global. 

À partir du moment où le voyage commence, c’est en fait la libération progressive de chacune des filles qui démarre. Petit à petit, elles se défont de cette oppression très masculine et des codes qui les emprisonnaient.

Deborah : En fait elles finissent par se rendre compte que se chamailler, c’est un luxe qu’elles ne peuvent plus se permettre. Ça devient une question de vie ou de mort, elles doivent se libérer de ça.

David : J’ai écrit le film il y a 5 ans. À l’époque, c’est quelque chose que j’avais senti, comme si on arrivait à la fin d’une sorte de vieux monde régi par des lois patriarcales et que les rapports de force allaient bientôt s’inverser. Quand on a fini par obtenir le financement pour le film, l’actualité me donnait raison, et m’a donné la force de faire ce film. Il y a un horizon nouveau et beaucoup de choses à réinventer. Les systèmes, quels qu’ils soient, finissent toujours pas tourner en rond et par étouffer. Ce n’est bon pour personne. À la fin du film, tous les hommes du vieux monde ont été effacés, ça donne une vraie respiration, comme si tout était redevenait possible.

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