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Eric-Emmanuel Schmitt est un auteur multi-casquette, à l’image de la littérature qu’il sert, aux multiples facettes. Agrégé de philosophie, docteur, d’abord dramaturge puis romancier, comédien ou encore réalisateur, cet aventurier des mots et des histoires est plébiscité tant par le public que par la critique. Ses travaux littéraires, riches et incisifs, ne sont qu’un petit pan de son œuvre et, pourtant, il serait vain d’essayer d’en définir les contours en quelques lignes. En revanche, on peut tâcher d’en dire quelques jolis mots.
Le roman à succès d’Eric-Emmanuel Schmitt, La Part de l’Autre, est un livre qui propose deux récits parallèles et antagonistes avec, d’une part, une biographie romancée du Adolf Hitler que l’on connaît bien et, d’autre part, la fiction d’un Adolf H. réinventé par le succès qui lui fut refusé dans sa véritable existence : la réussite au concours de l’Ecole des Beaux Arts de Vienne. Ce récit, vrai et inventé, s’établit sur l’idée que le cours d’une vie et la construction d’un homme peuvent basculer, de la façon la plus radicale qui soit, simplement parce qu’un jour ce qui aurait pu être un « oui » a été un « non ». Ce livre porte une conviction : l’autre, celui que l’on méprise, que l’on abjecte, que l’on exècre, que l’on blâme, celui-là même que l’on considère comme son extrême opposé, n’est finalement jamais très loin de soi.
Pour enseigner cette vérité, E. E. Schmitt enfile la peau des uns et des autres sans aucun souci de décence. Il prête ainsi sa voix et ses mots à des personnalités dont très peu auraient été prêts à endosser les traits, et ce dans des registres bien différents : Dieu, Hitler, une femme fratricide, un nazi repenti, un terroriste en devenir. Sous couvert de ses mots, il habite l’indécent et l’indicible. Mieux encore, il s’essaye à le faire comprendre.
Il dépeint, avec une facilité qui déconcerte, les plus abjectes des contradictions humaines, les plus terribles de nos ambivalences, et les plus cyniques de nos sentiments. Le besoin de charger l’autre de nos malheurs et de nos responsabilités lorsque le remord nous indispose. La capacité à comprendre et à haïr à la fois. Le besoin de faire mal autant qu’on a souffert avant de savoir pardonner. Le pouvoir de se persuader qu’on aime, quand ce sont le confort et la facilité qui nous retiennent. La faculté d’agir en contradiction totale avec notre morale lorsque c’est ce qui nous sert le mieux. E. E. Schmitt parle de ce que chacun connaît : la famille, l’amour, les désillusions, la vieillesse, le changement, les croyances. Il raconte le quotidien, le commun, les petites choses qui bercent une vie, façonnent quelqu’un. Il raconte ce « normal » dans tout ce qu’il a parfois de dramatique. Il raconte comme il suffit parfois d’un rien pour qu’un homme bascule. Il témoigne de la rupture et du traumastisme ; de ces moments fatidiques, à qui le timing de l’existence et l’agencement des choses confèrent une force irrépressible, et qui viennent tout broyer sur leur passage. De cet instant T après lequel plus rien n’est jamais pareil.
« L’homme qui voyait à travers les visages », finalement, c’est lui.