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Rencontre avec Kid Francescoli : « J’ai le sentiment d’avoir le meilleur métier »

Crédit : Vittorio Bettini

© Vittorio Bettini

Après deux premiers albums et le succès de son tube “Blow Up” en 2013, Kid Francescoli revient ce 31 janvier avec Lovers, son troisième opus. Entouré de quatre voix féminines, Mathieu Hocine – de son vrai nom – dévoile de nouvelles sonorités, plus apaisé que jamais. Rencontre.

Quels sont tes premiers souvenirs musicaux ? 

KD : L’artiste que j’ai le plus écouté est sans aucun doute possible Michel Sardou. Je partais souvent en vacances avec mes grands-parents et c’était leur “top artist”. Donc sans avoir vraiment le choix, ni même totalement aimer ses chansons, il fait partie de mon ADN musical. Plus tard, le premier souvenir de groupe qui m’ait donné envie de faire de la musique c’est Queen et la vidéo du live à Wembley. C’est en regardant ce concert que j’ai appris à jouer de la batterie et que j’ai tout de suite voulu faire des concerts et des tournées, enregistrer en studio, chercher des paroles et des mélodies, donner des interviews, faire des photos de presse… Toute la panoplie du musicien, quoi. Puis il y a eu l’électrochoc avec le passage de Nirvana à l’émission Nulle Part Ailleurs. À la fin de Drain You, Kurt Cobain laisse tomber sa guitare et lâche son cri si particulier : un mélange de rage, de puissance, d’amour et de désespoir. J’avais 15 ans et j’étais en train de manger des pâtes avec ma mère. Autant te dire que le choc a été assez puissant. Plus tard, le fait de jouer en groupe dans un local avec les mêmes instruments m’a donné envie de faire de la musique tout seul, enfermé dans ma chambre avec plein d’instruments et de tout mélanger. 

À quel moment t’es-tu dis que tu étais professionnel ? 

Ça a été très long. J’ai fait beaucoup de concerts sans être payé, j’avais une date en mars puis en novembre. C’est un peu dur quand tu t’y mets. Pour moi, être professionnel sous-entend que tu arrives à en vivre. Ça a été plutôt progressif. Après les deux premiers albums, j’ai sorti With Julia. A cette époque-là, j’étais ingénieur du son pour la télé et il y a eu un moment où j’ai pu arrêter grâce aux dates de concert. Mais je continuais à jouer avec plusieurs projets : Oh ! Tiger Mountain, Husbands, Kid Francescoli… Puis, il y a un eu un moment où Kid Francescoli m’a suffi pour payer le loyer ou partir en vacances. Mais le vrai déclic a eu lieu lorsqu’un label de Marseille, les Chroniques Sonores, a fait une compilation pop. C’était la première, la pop à Marseille ça n’a jamais été très présent. J’avais eu deux morceaux sur cette compilation ! J’étais content car ils étaient un peu originaux, il y avait du chant en italien dessus. Un soir, j’étais au travail et le boss du label m’appelle et me lâche : “Est-ce que ça te dirait qu’on sorte ton premier album ?”. Rien que de le dire, ça me fait un truc ! Je me rappelle encore du moment où j’ai raccroché. Je me suis dit : “Ça y est, je vais sortir un album”. Même s’il se vendait à 50 exemplaires auprès de mes potes à la FNAC, c’était mon premier album sur un label. Sur le deuxième album, il y a eu quelques soucis car à l’époque, je voulais tout faire tout seul donc je faisais n’importe quoi… Puis, j’ai sorti Blow Up, le clip avec Julia, et tout s’est accéléré.  

Ça a changé quelque chose dans ta manière de travailler ? 

Non, ça m’a juste donné un peu plus de confiance et de légitimité. Les moments où j’avais le plus de pression – même si je l’ai toujours, et de plus en plus – c’est justement quand je n’étais pas musicien. Je ne me sentais pas légitime, j’avais l’impression qu’il fallait que je le crie sur tous les toits pour que les gens le comprenne. Lorsqu’il y a eu Blow Up, ça a été une bascule, il y a des gens qui ont commencé à m’écouter et qui n’étaient pas mes amis (rires). Puis, c’était aussi le début de la musique partagée sur Internet, je pouvais toucher des gens qui étaient loin, d’une autre culture. J’ai pu faire une vraie tournée, alors que jusqu’à présent j’avais toujours joué en première partie ou en co-plateau. Quand j’ai vu ma tête sur une affiche de festival pour la première fois, je me rappelle que j’étais presque gêné… Dans les moments de doute, j’essaye toujours de me rappeler de moi enfant, lorsque je faisais des concerts dans ma chambre en me disant que je voulais faire ce métier. Maintenant, il faut assumer.

Tourner à l’international doit être un peu angoissant non ? 

Pour moi, ce n’est que du positif. Le simple fait de dire que tu y vas, c’est déjà une victoire. Selon moi, c’est le rêve de toute personne qui monte un groupe. C’est un accomplissement, même si tu joues devant 30 personnes. Depuis les deux derniers albums, je commence à remarquer les gens qui viennent exprès pour me voir. Au début, il y avait l’aspect touristique : j’étais presque content de découvrir des villes où je n’avais jamais voyagé. Quand ma tourneuse me disait : “Tu vas jouer à Jakarta”, je me disais : “Cool ! Jakarta, je n’y suis jamais allé” (rires). Depuis la dernière tournée, c’est en train de se transformer. Ça a la même importance que de jouer à Paris, à Montpellier ou à Lyon. Et j’en suis super fier. Je me souviens d’un déclic lorsqu’on est allé jouer à Londres. Au 100 Club, une salle où beaucoup d’artistes légendaires sont passés tels que Blur, les Strokes… J’étais comme un fou ! Je pensais qu’il n’y aurait que quelques personnes et en réalité c’était plein. Les gens étaient fous. Ça m’a touché, surtout à Londres, car les Anglais sont réputés pour leur dureté à l’égard des groupes étrangers. 

À tes yeux, quelle est la différence principale entre ton nouvel album et les précédents ? 

Déjà, il n’y a plus Julia. Je voulais expérimenter d’autres voix pour changer l’ambiance des morceaux et faire quelque chose de différent. Je suis très content de cette collaboration avec ces quatre chanteuses. Et par rapport à l’inspiration, jusqu’à maintenant, il y avait toujours une sorte de fuite en avant. J’étais à Marseille mais je ne faisais que bouger. Je voulais vivre à New York puis à Los Angeles, je voulais me nourrir du monde entier. Depuis, j’ai beaucoup voyagé pour ma tournée. Et je me suis installé avec ma chérie, on a fait un pas de côté pour aller vers la mer. Ce qui m’a inspiré, c’est justement cet apaisement. Selon moi, la beauté ne réside pas seulement dans le fait d’aller à New York pour te prendre pour De Niro. Là, je rentre à Marseille et lorsque je vois ce que j’ai sous les yeux, cette vie apaisée, c’est clairement un truc qui a changé ma façon d’être et sans doute de composer. Après, je ne dis pas que je chante le bonheur (rires), mais je pense que ça s’entend sur les sonorités de l’album. C’est peut-être un peu plus chaud, un peu plus solaire. 

Cover de l’album Lovers, disponible le 31 janvier

Tu parles des quatre chanteuses sur l’album, qu’est-ce que tu préfères dans l’exercice de la collaboration ? 

Quand je suis seul en studio et que j’enregistre des thèmes et des mélodies, j’ai l’impression que je pourrais faire ça pendant des mois et des mois. C’est presque machinal, un terrain de jeu. Mais l’étincelle, le moment où l’inspiration tombe, c’est grâce à la voix pour moi. Et la plupart du temps, des voix féminines. Selon la voix, je peux me dire : “Je vais construire un truc super calme autour, un truc un peu plus rythmé, un truc ensoleillé…”. Ce que je fais des fois – ça m’est arrivé sur l’album – c’est de proposer des instrus à une chanteuse qui me renvoie sa mélodie. Après, je repars de zéro avec mes trucs, j’écris dessus, je cherche les accords. Ça me donne une impression de fraîcheur et de nouveauté instantané. Michel Houellebecq disait en parlant de la création que tu t’y mets un peu mais tu ne t’y mets pas vraiment. Tu commences un peu à tatonner, à ouvrir des pistes, puis tu rentres dans un très long tunnel et au bout d’un moment, tu vois la lumière et tu en sors. Pour mon dernier album, on va dire que ça représente environ un an et demi de travail. 

Tu préfères écrire sur des thèmes personnels et intimes non ? 

Totalement. Il y en a qui font ça très bien mais moi je n’arrive pas à inventer des personnages, il faut que ça soit vécu. On s’est rendus compte avec Julia sur la dernière tournée que plus c’est écrit de manière intime, plus c’est finalement mis en scène. Après il y a des artistes qui sont très bons pour raconter des histoires ou décrire un univers, comme Lou Reed dans Walk On The Wild Side, mais personnellement, j’ai toujours eu beaucoup de mal. 

D’ailleurs, d’où vient ton nom de scène ?

Il rend hommage à Enzo Francescoli, un joueur de foot qui jouait à l’OM dans les années 90 ! A cette époque, j’avais 15 ans et j’étais fan de foot – je le suis toujours d’ailleurs, mais quand t’as 15 ans et que t’as le meilleur joueur du monde qui joue dans ton équipe, tu deviens forcément complètement gaga. J’ai vraiment aimé choisir ce nom car pour les joueurs de foot, Enzo Francescoli avait un truc en plus, il était très gracieux sur le terrain, c’était pas un gros bourrin et ça faisait gage de bon goût et de qualité. 

Il y a un titre dont tu es particulièrement fier ? 

Deux morceaux se démarquent particulièrement sur Lovers. Sur les deux précédents albums, il y avait ce côté électro sur tous les temps, et là je m’étais dit qu’il fallait absolument essayer d’autres rythmiques. Le premier, Ces deux là, est chanté en français et surtout il y a une rythmique un peu zouk love derrière (rires). Pendant longtemps, ça a été une source de questionnements et de blagues en studio. Et je sais qu’il va être un peu clivant, autant en live que sur l’album, mais je suis content qu’il soit différent. Et le second, c’est The Only One. Sarah m’avait envoyé sa voix sur une instru mais je commençais à plus en pouvoir, je l’avais trop écouté. Puis en studio, Simon m’a proposé de faire un truc musique classique, avec des cordes, des cuivres etc… Et je suis très content du résultat. On a deux morceaux qui ne ressemblent à rien d’autre. C’est ce qui me fait vibrer quand je fais de la musique : créer de la nouveauté. 

Tu es parti à New-York au début de ta carrière et ça a été décisif pour toi, comment est-ce que ça s’est décidé ? 

Mon but était de m’inspirer de la ville et c’est exactement ce qui s’est passé. Je travaillais comme ingénieur du son à l’époque, j’avais des sous et je me suis poussé à y aller pour de bon, pas juste en vacances. J’ai eu la chance d’avoir un pote là-bas qui a proposé de m’héberger pendant deux mois. Je suis arrivé avec une guitare, un sampler et une boîte à rythmes. Puis, je me suis enregistré, je m’étais trouvé quatre petits concerts. Je considérais que si je partais là-bas sans faire de concert c’est que je n’étais pas musicien. Au début, il ne se passait pas grand chose, je prenais ma guitare et j’enregistrais à la maison avec mon ordi dans une pièce mais j’avais l’impression que c’était comme à Marseille. Et puis, il y a eu la rencontre avec Julia, on a commencé à faire de la musique ensemble et ça a fait mouche tout de suite. J’avais trouvé ma voix américaine alors que jusqu’à maintenant, l’accent c’était un truc que j’essayais d’imiter – en vain (rires). À Marseille, tu cries sur tous les toits que t’es musicien et que tu cherches des gens pour collaborer, tout le monde te regarde de travers. Alors qu’à New-York ils sont tous musicien-barman, écrivain-barman, acteur-barman (rires). Ils ont tous des métiers doubles avec un métier artistique. Si tu as un bon feeling avec une personne, ça peut aller assez vite dans la collaboration. Et puis, il y a ce côté rassurant aux États-Unis, ce truc où ils filent droit. “Just do it”. C’est vraiment ça, c’est plus qu’une simple connerie de Nike. 

Quel est ton rapport à la scène ?

En live, je ne suis pas très expressif. Je suis derrière mes machines, je ne chante pas très fort, je ne prends pas mon micro pour aller sur le devant de la scène…Vous l’aurez compris, je ne suis pas une bête de scène. En revanche, j’adore être en tournée, jouer mes morceaux devant les gens. Et j’aime ça de plus en plus. Tu vois les odeurs de salles de concert ? Le mélange de sueur et d’alcool ? (rires) Je détestais cette atmosphère avant, ça me faisait peur. Aujourd’hui, j’adore. Le fait de faire de la musique je trouve ça extraordinaire, car à part le théâtre, c’est le seul art que tu peux jouer devant les gens en direct. Il y a des énergies qui circulent pendant les concerts entre la scène et la salle qui sont incomparables. J’ai le sentiment d’avoir le meilleur métier. Il n’y a rien qui me rend plus fier que lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds : “Je suis musicien.”

Tu as quelque chose que tu aimerais particulièrement développer dans le futur ? 

Je n’ai pas trop d’objectifs musicaux du type “je veux produire d’autres groupes” ou “je veux collaborer avec telle ou telle personne”. Je veux juste continuer à tracer ma route et qu’elle continue à progresser. Je n’ai surtout pas envie que ça s’arrête. Je vais tout faire pour que les salles soient encore plus grandes, les albums encore meilleurs et l’inspiration encore plus forte. Je suis sur les rails de mon rêve depuis le début. Mais si on me demande de collaborer avec Franck Ocean, Rihanna ou Julian Casablancas, c’est un grand oui !  

Kid Francescoli en concert :

  • Le 20 mars au Krakatoa (33)
  • Le 21 mars au Rockstore (34)
  • Le 25 mars au Grand Mix (59)
  • Le 26 mars à La Cigale (75) 
  • Le 27 mars au Stereolux (44) 
  • Le 2 avril au Ninkasi Kao (69)
  • Le 4 avril Trinitaires (57)
  • Le 10 avril au Chabada (49)
  • Le 11 avril au Temps Machine (37)
  • Le 19 novembre à Olympia (75)


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