CINÉMA

« Last Christmas » : une comédie romantique qui renouvelle le genre

(from left) Tom (Henry Golding) and Kate (Emilia Clarke) in Last Christmas, directed by Paul Feig.

© Universal Pictures

« Last Christmas, I gave you my heart  » : dès sa bande-annonce, Last Christmas risquait dangereusement d’être classé au rang d’énième comédie romantique simpliste. Cela, sans prendre en compte le scénario, co-écrit par la géniale Emma Thompson, la bande-son faite des titres de Georges Michael et de Wham !, et un dénouement qui casse les codes du genre.

À première vue, le film suit schématiquement les codes d’une rom-com des plus classiques : Kate, jouée par Emilia Clarke (ou Katerina, comme la prénomme sa mère, une immigrée yougoslave qui n’a jamais vraiment fait le deuil de son pays, incarnée par Emma Thompson) enchaîne mauvaise décision sur mauvaise décision, se faisant virer de toutes les colocations, n’arrivant pas à reprendre le cours d’une vie normale après une greffe de cœur. Elle a toujours rêvé d’être chanteuse, mais travaille en tant que vendeuse-lutin – vous avez bien lu- dans une boutique de Noël, tenue par Santa (Michelle Yeoh, qu’on a notamment pu voir dans Crazy Rich Asians). Bien entendu, une rencontre aussi inattendue que bien orchestrée ne tarde pas à intervenir : juste devant la boutique en question, Kate tombe sur le beau Tom (incarné par Henry Golding, lui aussi star de Crazy Rich Asians). Le hasard faisant bien les choses, les deux personnages se retrouvent sans cesse, avant d’entamer ce qui finit par être une histoire d’amour pour le moins atypique.

Une comédie romantique de Noël au cheminement classique

Il est impossible de nier que Last Christmas reprend plus ou moins tous les clichés inhérents au genre : une jolie ville enneigée, une jeune femme dépassée par ses problèmes, une boutique de Noël (à défaut d’une jolie librairie) et une rencontre qui promet de tout bouleverser. Rajoutons à ce tableau des instruments typiques de vaudeville, qui servent de base à une bonne partie des blagues du film, et les personnages sortis tout droit d’une œuvre de Feydeau, virant souvent à l’absurde : la mère de Kate, chantant une berceuse slave à sa fille de 26 ans, donne l’impression d’être dépassée par la réalité, créant un effet de décalage comique indéniable. Les autres personnages n’en font pas moins : la rencontre entre la gérante de la boutique de Noël, Santa et un bel homme qui n’a osé franchir le seuil de la boutique qu’après de longues périodes d’observation par les vitrines de celle-ci, est une scène hautement cocasse.

© Universal Pictures

Au fur et à mesure du film cette impression d’un cliché parfait de comédie romantique se renforce : l’héroïne, jusque là emmitouflée dans des problèmes personnels graves, allant d’une relation inexistante avec sa famille, à une dépression post maladie qui a failli lui coûter la vie, semble aller mieux comme si la rencontre avec le héros avait emporté toutes ses préoccupations d’un coup de baguette magique. La voilà faisant la paix avec sa sœur, se rapprochant de sa mère, effaçant ses erreurs passées et reprenant le chant, son rêve d’enfance. La mécanique de rom-com bien actionnée, Kate perd une bonne partie de son enthousiasme dès qu’elle remarque que son beau se fait de plus en plus absent, guidant les spectateurs sur la piste trompeuse d’une comédie romantique sortie tout droit des années 2000. Que l’on se détrompe : Last Christmas a bien plus à offrir.

Un échantillon de comédie romantique de nouvelle génération

Derrière la façade toute jolie d’un film de Noël à l’eau de rose, Last Christmas renouvelle le genre. Le film ouvre sur une scène atypique : un chœur des enfants chantant dans une église orthodoxe en Yougoslavie d’avant la guerre. C’est de là que part toute l’histoire de l’héroïne, dont la famille immigrera par la suite à Londres. Cette immigration constitue un fil conducteur majeur du scénario, et l’un de ses atouts principaux. La famille de Kate est en effet un phénomène comique à part dans le film, mais qui en réalité donne au tableau général une profondeur supplémentaire : derrière son absence de perception de réalité, la mère de l’héroïne est une femme perdue, dépressive, qui ne s’est jamais vraiment faite au départ de son pays d’origine, ce qui se traduit tout autant par sa manie de prénommer sa fille Katerina que par le décor de sa maison, rendant hommage à la culture traditionnelle des pays de l’Est. Tout comme elle, le père de Kate est traumatisé par la guerre, s’étant vu obligé de prendre l’ascenseur social dans le sens inverse, passant du rang d’avocat, en Yougoslavie, à celui de chauffeur de taxi, à Londres, un évènement qui lui a symboliquement fait perdre la parole, puisqu’il ne « parle pas ».

© Universal Pictures

Ce noyau familial en crise est dépeint avec une précision qui dépasse le cadre générique des comédies romantiques en tant que genre, et rajoute une juste dose de dramatisme à un film qui prétend d’abord se vouloir comique, nous inspirant de la compassion sincère autant pour l’héroïne que pour sa famille. Il rejoint un message politique fort, allant au-delà du joli décor de Londres dans l’attente des fêtes de fin d’année, nous dressant, à travers cette famille, une capitale dans l’attente de Brexit. Portrait à son apogée dans la scène où un couple, manifestement originaire de l’ex-Yougoslavie, se fait agresser par un homme leur criant de «  parler anglais ». Dimension sans laquelle le scénario manquerait sans doute de profondeur : le cadre général du film porterait bien à croire à une histoire d’un romantisme quelque peu simpliste, avec quelques scènes d’une sentimentalité un peu trop sucrée, à l’image de celles où les deux personnages principaux se retrouvent par pur hasard à tous les coins de Londres. Cette sentimentalité est néanmoins sans cesse nuancée, par ce dramatisme toujours justement dosé et contrebalancé d’une bonne dose d’humour. Le nouveau modèle des comédies romantiques finit par triompher définitivement avec un dénouement plus qu’inattendu : c’est alors que l’héritage du film à succès de Netflix, Isn’t It Romantic ?, tout comme l’utilisation du titre phare de Wham ! en guise de soundtrack centrale (et du titre de film) commencent à prendre tout leur sens.

Last Christmas vous enivrera sans doute de la magie de Noël, remplissant à merveille son rôle de nouveau Christmas movie : mais le film accomplit bien plus, en nous proposant un scénario complexe aux personnages secondaires d’une profondeur nouvelle pour le genre et une héroïne pour une fois bien ancrée dans la réalité, tout en nous dépeignant un Londres en transition. Mais pas d’inquiétudes pour autant : le happy-ending est toujours au rendez-vous.

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