Les événements d’octobre ont montré l’incapacité des pouvoirs publics à avoir un discours politique cohérent et juste : un nouveau cap de violence à l’égard des musulmans semble avoir été franchi. Plus que jamais l’amalgame entre musulmans et terroristes est fait, et ce, à toutes les échelles du pouvoir.
Le Ministre de l’Intérieur énumérait, il y a une dizaine de jours, différents signes de radicalisation comme : le port de la barbe, le refus de serrer la main à une femme, ou encore le port du voile intégral en dehors du travail. Pour se dédouaner et apaiser les tensions, Christophe Castaner rappellera quelques jours après que « Chacun ici sait que personne ne fait de lien entre la religion musulmane et le terrorisme, ni même entre la religion musulmane, la radicalisation et le terrorisme ». Pourtant, ces derniers jours ce sont bien des musulmans qui sont attaqués.
Le point d’orgue se fait évidemment durant la visite scolaire du Conseil Régional de Bourgogne à Dijon : un élu du Rassemblement National, Julien Odoul, a demandé à une mère accompagnatrice de retirer son voile. La polémique sur le port du voile a cela de complexe qu’elle se croise avec la misogynie, et quoi de plus facile que de s’attaquer à des femmes déjà touchées par une oppression. Dans son sens le plus strict, la polémique transforme le privé, ici le corps de la femme, en une problématique publique. Julien Odoul, en tant qu’élu, et donc représentant d’une certaine autorité, demande à une mère qui accompagne son enfant de se dévêtir aux yeux de toutes et tous, imposant une forme de contrôle du corps.
Des agressions islamophobes à toutes les échelles
Cependant, cet événement n’est pas isolé, il suffit de lire la presse, ou de se balader sur les réseaux sociaux, pour se rendre compte de l’islamophobie ambiante. Il y a eu la fiche de recensement des signes de radicalités distribué à l’Université de Cergy à certains professeurs. Yves Thréard, le directeur adjoint du Figaro qui a aussi déclaré publiquement qu’il « déteste la religion musulmane » sans être inquiété. Enfin, Eric Zemmour sur CNews « Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Et bien moi je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça, être français ! ». Rien que ça. Face à cela, une seule femme portant le voile, Sara El Attar, à été invitée pour commenter ces évènements. Les concernés ont donc peu, voire pas du tout de place pour s’exprimer sur les agressions qui leur sont directement portées.
Bien qu’on ait pu voir peu de soutien, quelques-uns ont réussi à faire entendre leur voix. Notamment avec une tribune, intitulé “Jusqu’où laisserons-nous passer la haine des musulmans ?” parue dans Le Monde à l’initiative de Nassira El Moaddem. Celle-ci s’est transformée en pétition qui recueille aujourd’hui 201 000 signatures. De plus, un rassemblement contre l’islamophobie place de la République à Paris le 18 octobre a réuni près de cinq cents personnes.
Une manipulation des lois à des fins politiques
De pareilles dérives sur le sujet des musulmans avaient déjà surgi en 2016 à propos du port du burkini. Pour rappel, le scandale s’était fini devant le Conseil d’Etat, la plus grande instance juridique en France, qui rappelait aux municipalités qu’une telle interdiction par arrêté municipal n’avait pas lieu d’être. Certaines lois ont auparavant conditionné le port du voile comme celles de 2004 et 2010, qui respectivement interdisent son port au sein de l’école publique et le port du niqab, qui recouvre lui l’ensemble du visage et laisse seulement apparaître les yeux. Cette semaine encore, la loi tente de restreindre lie droit en votant au Sénat une loi pour interdire le port du voile lors de sorties scolaires.
La loi n’est donc pas occultée, elle est détournée. Pierre Henri Prélot, professeur de droit, explicite les manipulations qui sont faites : « Certains semblent réclamer aujourd’hui un rejet de tout signe religieux dans l’espace public. Or, non seulement la République “assure la liberté de conscience” mais en outre elle “garantit le libre exercice des cultes” (article 1er de la loi de 1905), la République respectant “toutes les croyances” (article 1er de la Constitution). La séparation des Églises et de l’État ne doit donc pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute manifestation d’une conviction religieuse, mais comme l’affirmation d’une différence de nature entre d’une part l’expression, par un ou plusieurs individus, d’un engagement intime qui leur est propre (l’adhésion à une croyance et les manifestations collectives possibles de cette adhésion) et d’autre part la participation du citoyen à la vie politique, c’est-à-dire aux affaires “publiques” ». (“Les signes religieux et la loi de 1905, Essai d’interprétation de la loi portant interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public à la lumière du droit français des activités religieuse” Pierre Henri Prélot.)
Pierre-Henri Prélot, touche ici le problème central, à savoir l’interprétation faite des lois sur la laïcité. Puisque c’est de cela qu’il s’agit : une déformation des lois sur la laïcité à des fins politiques. La base de la réflexion se fait sur la Constitution qui fonde la Ve République, le premier article rappelle que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Cependant les tentatives de citer la Constitution ou l’encore plus célèbre loi de 1905, comme défense des valeurs républicaines contre l’islam est une erreur. La laïcité protège la liberté de culte qui est un droit fondamental, et ceux pour toute religion. Le premier but de la laïcité est de séparer le pouvoir politique et religieux, évoquer la laïcité et la loi de 1905 est une erreur puisque porter le voile, n’a pas pour but la conquête de pouvoir.
L’islamophobie décomplexée
Ces manipulations sembleraient moins graves si elles étaient le fruit d’une ignorance. Il n’en est rien. Ces manipulations sont le résultat de réflexions et de calculs racistes et xénophobes. Derrière les condamnations de communautarisme et dérives identitaires, il n’y a que rejet et haine. Plus qu’un manque d’empathie émotionnel, l’islamophobie en France, nie et condamne des milliers d’individus.
À ce niveau de violence, où des femmes se font arracher leur voile dans les transports en commun ou sur la voie publique, exiger des efforts et des déclarations d’amour à la France de la part de tous les musulmans de France, semble risible. Comment demander l’intégration neutre et obéissante quand la plupart des dirigeants politiques français ne sont que mépris, condescendance et misogynie à l’égard des femmes portant le voile ?