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ÉDITO – Immolation d’un étudiant : un acte politique

© InesInesz – Twitter

Le 8 novembre dernier, un étudiant de l’Université de Lyon II, s’est immolé par le feu devant un bâtiment du CROUS (Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires). Il est toujours entre la vie et la mort.

Peu avant son acte, il avait posté un message sur son compte Facebook. Teintées de considérations politiques d’extrême gauche, ses lignes exprimaient la difficulté qu’il éprouvait à survivre dans sa condition d’étudiant. Il est décrit comme vivement engagé politiquement et entouré. Alors qu’il triplait cette année sa deuxième année de sciences politiques, ses bourses ont été supprimées et il a du quitter la chambre qu’il occupait dans une résidence universitaire. Selon ses proches, cette chambre était insalubre, investie par les désormais célèbres punaises de lit qui ont élu domicile dans certaines de ces résidences universitaires.

Plus qu’un geste de désespoir, son acte est un acte politique. Comme Thích Quảng Đức, moine bouddhiste viêtnamien qui s’est immolé par le feu en 1963 pour dénoncer la politique anti-bouddhiste menée par le président catholique Jean-Baptiste Ngô Đình Diệm. Comme Jan Palach, qui de la même manière s’est donné la mort un jour de janvier 1969, pour protester contre l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Comme Mohammed Bouazizi, jeune vendeur ambulant tunisien dont le suicide a été l’un des déclencheur de la révolution tunisienne de 2011. Peu importe s’il fait état de sa sensibilité politique dans son message d’adieu, celui-ci dénonce une réalité généralisée. Il dénonce la condition des étudiantes et des étudiants en France.

La coupe est pleine, la liste est longue

En 2016, une enquête de l’INSEE révélait que plus de 20 % des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 12,8 % pour l’ensemble de la population.

Aujourd’hui, 6 % des étudiants seulement sont logés en résidence universitaire. Pour les 94 % restants, la question du logement peut vite devenir un calvaire, notamment dans les grandes villes. Celles-ci concentrent les étudiants, du fait de la compétitivité existant entre les universités. Il y a aujourd’hui une fuite des cerveaux des villes moyennes vers les grandes villes, la majorité des formations y étant mieux côtées dans ces dernières. Ils doivent vivre toujours plus loin, parfois à deux ou trois communes d’écart avec la ville, passant un temps toujours plus long pour se rendre sur leur lieu d’études. Parfois, en pleine ville, ce sont dans des logements insalubres à prix d’or que ceux-ci élisent domicile. Certains sont contraints de vivre malgré eux en colocation, à deux, trois, quatre, ou plus. Ceux qui vivent dans des logements étudiants, parfois insalubres eux aussi, peuvent être affectés dans des résidences éloignées de tout, du moindre commerce, service ou activité, sur des campus bien souvent lugubres. À la rentrée dernière, le prix du loyer moyen, qui représente deux tiers du budget d’un étudiant, marquait une augmentation de 2,84 %, alors que l’inflation est-elle d’à peine 0,5 %. Et avant même de penser au coût du logement, le coût du transport entre la ville d’étude et la ville d’origine peut rapidement s’avérer cher, voire très cher.

L’accueil et la prise en charge des étudiants par les institutions laissent à désirer. Bon nombre d’universités sont surendettées, disposant d’une faible marge de manoeuvre et proposant des conditions de travail souvent difficiles, aussi bien pour le personnel et les équipes pédagogiques, que pour les étudiants. Nombreux sont ceux à avoir échoué et/ou dû changer de cursus une, deux ou plusieurs fois car mal, voire non orientés, ou car l’accompagnement pédagogique est inexistant dans certaines filières et certains établissements. Nombreux sont ceux également à avoir éprouvé des troubles psychiques, du fait de l’échec, de la pression ou des préoccupations liées à leur condition (vie professionnelle, précarité, etc.). L’an dernier, dans son rapport annuel, l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) constatait que les étudiants étaient plus sujets au stress, à l’anxiété, voire à la dépression et qu’ils ressentent plus que l’ensemble de la population française un sentiment de dévalorisation. Ce qui peut les amener à abandonner leurs études. Certains sont contraints de s’exiler à l’étranger lorsque leurs domaine d’études le leur permet, pour tenter leur chance à nouveau. 

Quant aux ressources, notamment les bourses de l’enseignement supérieur dont il est question dans le post d’Anas, elles existent mais apparaissent trop insuffisantes. Sans le remettre en cause, comment expliquer que le RSA ne soit pas disponible pour les étudiants ? Comment expliquer par ailleurs les retards des différentes Caisses d’allocations familiales, qui délivrent pourtant les APL (Aide personnalisée au logement), vitales aux étudiants ? L’augmentation de ces prestations, notamment des bourses de l’enseignement supérieur, peut parfois s’avérer dérisoire : à la rentrée 2019, pour le premier échelon (0 bis), le versement mensuel est passé de 100,80 euros, à 102 euros par mois. Aujourd’hui, certains étudiants sont donc contraints de faire les poubelles, d’autres (près d’un sur deux selon l’OVE) de cumuler un, deux ou plusieurs emplois en parallèle de leurs études, de faire un prêt dès le début de leurs études, uniquement pour pouvoir vivre décemment.

L’insolence gouvernementale

Face au geste d’Anas, le gouvernement se tient stoïque. Alors qu’à l’Assemblée Nationale, Gabriel Attal (Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse) a osé considérer que le suicide n’est jamais un acte politique (les martyrs cités plus haut savent à quoi s’en tenir), avant de mettre timidement en avant les efforts de fait en matière d’aide aux étudiants. Sa collègue Amélie de Montchalin (Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes) a confirmé les dires de son collègue avant de d’exprimer sa crainte quant à une possible récupération politique par certains groupuscules. Pourtant, un tel acte est suffisamment grave pour avoir besoin d’une quelconque récupération. Il parle de lui-même.

Quant aux principaux ministres concernés, les prises de position sont plus timides encore, sinon catégoriques. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, a à peine souligné l’« émotion légitime » qu’un tel acte suscite. La ministre a assuré le 19 novembre, non pas une hausse budgétaire, non pas une revalorisation des bourses, mais la mise en place d’ici la fin de l’année, d’un numéro d’urgence pour répondre à la précarité étudiante. C’est donc l’unique retour donné aux étudiants au milieu d’un flot d’indignations en réaction au saccage de la conférence de François Hollande prévue à la faculté de droit de l’Université de Lille, et qui n’a finalement pas eu lieu. Jean-Michel Blanquer, lui, n’a fait qu’affirmer sa solidarité avec Frédérique Vidal. A-t-il déjà oublié le suicide de Christine Renon, directrice d’école à Pantin, en septembre dernier ?

RENNES-SUD

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