CINÉMA

« El Camino » – Revenir et vivre

Aaron Paul dans "El Camino" (© Netflix)

Dans Revenir et mourir, le dernier épisode de Breaking Bad, Jesse Pinkman s’échappait d’une prison dans le désert grâce à un ultime coup de génie de Walter White. El Camino reprend là où s’est terminé la série et voit à travers la destinée du fugitif une façon de redonner vie à la série de Vince Gilligan.

La saga Breaking Bad est passée du statut de série culte à celui de vache-à-lait fictionnelle : ont suivi les quatre formidables saisons – et bientôt la cinquième – du spin-off Better Call Saul, et désormais ce film crépusculaire de deux heures qui nous fait retourner dans l’habitacle du Camino conduit par Jesse Pinkman, le second (rôle) de Walter White, alors qu’il fuyait du camp de Jack, direction la liberté, enfin. Tout l’arc narratif autour du personnage porté par Aaron Paul ne s’arrête donc pas à ce cri qui résonnait dans la nuit car s’ensuit alors une longue recherche de la rédemption laissant traîner le poids de la culpabilité (les flics sont toujours à ses trousses) et, surtout, du passé. Pour mieux traduire cette idée, Vince Gilligan perfectionne son montage et propose un va-et-vient entre le passé du personnage – et particulièrement sa période de captivité à la fin de la saison 5 – et cette quête, au présent, qui changerait potentiellement son futur. Aussi parce que ce n’est pas la première fois que le showrunner use de cette esthétique du montage pour puiser dans sa création – Better Call Saul cache de fabuleux tour de passe-passe à travers la vie des personnages –, El Camino poursuit cette entreprise d’épure d’une création en accentuant le rapport au temps.

Les temps qui courent

Ce qui est donc fascinant avec le film El Camino – et en parallèle avec Better Call Saul –, c’est qu’il continue de faire vivre la série originale, autrement. Mais outre le fait qu’il en est la suite (ce que l’on pensait impossible), c’est l’effet du temps sur les visages qui trouble davantage. Oui, Aaron Paul et Jesse Plemons (le freaky Todd Alquist) et quelques autres (Skinny Pete, Badger…) ne ressemblent plus à leurs personnages d’il y a six ans : mais quoi de plus touchant et véritable que de revoir ces interprètes reprendre les rôles qui les ont faits connaître ? On touche ici à un problème – le même que Jonathan Banks, plus vieux dans Better Call Saul que dans Breaking Bad – qui accentue le rapport entre Breaking Bad et ses dimensions temporelles.  Vince Gilligan pose ici une question vraiment bouleversante : ces personnages meurent-ils vraiment ? Ou sinon, comment pourraient-ils ? Ce ne sont pas des fantômes, ce sont pratiquement des idoles, des personnages élevés au rang de statut d’une certaine mythologie de la série télé. Deux scènes absolument exceptionnelles traversent ce prisme temporel, motif qui dépasse le cadre de la série et de la fiction : celle de la fouille dans l’appartement de Todd, et celle, qui fera beaucoup parler, avec Walter White.

Jesse Pinkman de retour (© Netflix)

Pour retrouver sa liberté, Jesse est obligé de se rendre dans l’appartement de Todd, son ennemi juré, pour récupérer l’argent que ce dernier cachait. Du moment où Jesse décide d’aller à l’appartement jusqu’au moment où il le quitte, Vince Gilligan amorce un montage parallèle passionnant où non seulement le passé justifie le présent (Todd lui a déjà montré son appartement et dit où il cachait son argent), mais aussi parce que le présent efface le passé. Car l’intention de Jesse est aussi d’effacer son passé en se rendant dans l’une des antres du diable pour se racheter une conduite et un avenir. Le nombre d’enjeux qui découlent de cette scène, qu’ils soient temporels, scénaristiques (le rapport Todd/Jesse, vieux fantôme du passé qui refait surface sans que nous spectateurs ayons la moindre info) ou de mise en scène (le huis clos spatial qui se substitue aux huis clos mental des souvenirs), est considérable. Tout aussi magistral, la scène du souvenir avec Walter White est peut-être l’une des plus belles de la saga  : elle dépasse le champ des retrouvailles et paraît tout simplement irréelle (Jesse et Walt parlaient de repos dans un hôtel suite à la montagne de meth cookée dans le désert au cours de la saison 2). Or, quelle dimension plus iréelle que celle du temps dans les fictions qui nous sont racontées  ? C’est aussi là tout le génie de Vince Gilligan qui se manifeste depuis Better Call Saul  : la référence est dépassée, car les personnages survivent.

Ce qui nous lie

Cette mécanique du temps et des images, dans El Camino, sont parties prenantes de l’atmosphère crépusculaire qui se diffuse dans Albuquerque. Si cela ne ressemble pas un adieu définitif, le geste de Vince Gilligan n’est finalement que de glisser un au revoir. On regrettera peut-être le manque de relief du film – mise en scène parfois hésitante, sensation d’un long épisode de deux heures –, mais le grand mérite du showrunner, encore une fois, est de substituer le ton d’une œuvre en fonction de son personnage et d’une certaine envie de «  retrouvailles  ». La loi du mensonge de Walt dans Breaking Bad, de l’illégalité (paradoxe magnifique) de Saul dans Better Call Saul et, enfin, de la solitude dans El Camino  : tout ce qu’elle emporte avec elle de souvenirs, de romantisme (remarquable dialogue final) et, finalement, d’espoir. Et c’est bien ce que Jesse mérite, un peu de solitude, un coin où poser son romantisme, et beaucoup d’espoir. Réfléchir dans sa propre œuvre, en pleine intimité, sous l’ombre si réconfortante de l’œuvre totem.

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