Depuis le jeudi 17 octobre, l’annonce faite par le gouvernement d’une nouvelle taxe sur tous les appels passés sur le réseau social Whatsapp a suscité l’indignation des Libanais qui sont descendus en masse dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Nous avons pu suivre la situation depuis Beyrouth.
Ils se croyaient résignés, ils se sont avérés déterminés. Le peuple libanais s’est « enfin » soulevé, après avoir subi des années de conjoncture économique. Mieux encore : ils se sont unis, peu importe la religion ou la communauté, dans ce pays habituellement divisé. Les chants de « Chrétiens, musulmans, fuck les politiciens » ont retenti, entonnés par des femmes, des hommes, des enfants et des vieilles personnes, assis sur les marches de la mosquée Mouhammad al-Amin. Et quand l’appel à la prière a retenti, la musique s’est arrêtée, par respect.
Des causes économiques

La précarité économique a été le principal moteur de la contestation. Le Liban possède une dette de 86 milliards d’euros, soit 150 % de son PIB. Le salaire moyen est de 900€ par mois, alors que le coût de la vie s’apparente fortement à celui de la France. Un tiers des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. Récemment, une dévalorisation du dollar a occasionné une perte du pouvoir d’achat. Les coupures de courant, la pollution constante, la mauvaise gestion des déchets et le chômage sont aussi des problèmes majeurs. Le Liban est un des pays les plus inégalitaires du monde : les 1 % les plus riches de la population libanaise captent 23 % du revenu national et détiennent 40 % des richesses, selon une étude de 2017 du Laboratoire sur les inégalités mondiales. Les chiffres parlaient d’eux-mêmes : l’heure de la « thawra » ( révolution ) a sonné !
Une Révolution pas comme les autres

C’est une Révolution peu commune qui touche le pays. Des manifestants qui revendiquent leurs droits une chicha au coin de la bouche, une jeune femme qui devient une icône après avoir donné un coup de pied dans l’entrejambe d’un soldat, un concert géant avec DJ à Tripoli, des paquets de noix de cajou distribués gratuitement pour sustenter les valeureux contestataires… Au Liban, l’esprit festif et la générosité ne quittent jamais bien longtemps le cœur des habitants, tout en oubliant bien sûr pas de nettoyer les rues après la fête.
Rêves de changements

Ce que les manifestants désirent ? « C’est simple, confie une étudiante, qu’ils (les politiciens) dégagent tous ! ». Un ras-le-bol général s’est emparé de ce petit pays de 6 millions d’habitants, habitué à la corruption et aux promesses en l’air. Tout s’est d’ailleurs enchaîné très vite : le jeudi 17 octobre, face à l’annonce de nouvelles taxes, des rassemblements spontanés sont organisés partout dans le pays. Celle à Beyrouth dégénère : le ministre de l’éducation se bat avec les manifestants et son garde du corps tire dans les airs. Il n’en fallait pas plus pour que le lendemain, des milliers de personnes se réunissent à nouveau et que la ville entière soit couverte de drapeaux aux couleurs du pays des cèdres autour de la célèbre Place des Martyrs.
Méthodes et débordements

Danses, chants, pneus brûlés, routes bloquées, les techniques utilisées sont diverses et variées pour exprimer le mécontentement. De manière générale, les manifestations se sont avérées non-violentes dans la capitale libanaise, et le 19 octobre au soir on a pu assister à une scène puissante : une chaîne humaine de femmes qui s’est élevée en rempart entre la police et des fauteurs de trouble. Néanmoins, des débordements et des actes de vandalisme ont eu lieu et des affrontements avec la police ont conduit celle-ci à faire plusieurs fois usage de gaz lacrymogènes. Des violences policières ont aussi été constatées.
Les Hariris, père victime, fils devenu proie

© Mohamed Azakir, Reuters
Depuis le 14 mars 2005 et la manifestation géante qui avait suivi l’assassinat de Rafiq Hariri, les récents rassemblements font partie des plus grands de l’histoire libanaise. Aujourd’hui, ce n’est plus contre l’occupation syrienne que les Libanais manifestent, mais contre la classe politique, dont, drôle de coïncidence, c’est le fils de Rafiq Hariri qui assure le rôle de Premier Ministre. Ce dernier a d’ailleurs posé un ultimatum de 72 heures à ses partenaires politiques pour trouver une solution à la crise actuelle, ultimatum qui expirera lundi à 18 heures.
Des manifestants qui refusent de disparaître

© Rami Rizk
Même si la taxe Whatsapp, qui avait initialement mis le feu aux poudres, a été annulée, les manifestants, eux, sont prêts à se battre sur le long terme, avec des revendications qui ne cessent de croître et qui touchent désormais à des problèmes bien plus profonds. Reste à voir si les Beyrouthins honoreront le surnom donné à leur ville ” la ville qui refuse de disparaître ” et demeureront sur le front tant que leurs revendications ne se verront pas acceptées.