Il y a 10 ans, le 17 août 2009 pour être exact, le paysage musical voyait naître The XX, collectif londonien, signature indie ô combien audacieuse sinon prodigieuse.
Comme quelques 15 millions de groupe, l’histoire de The XX débute au lycée. Le collectif nait entre les mains de Romy Madley Croft et Oliver Sim, inséparables depuis la maternelle et pour qui les mots “complicité” et “spontanéité” n’ont plus de secret. Quand Romy écoute des chansons tristes et Nick Cave avec son père, Oliver, en bon petit frère, pique les CDs de quelques Aaliyah, TLC, Lauryn Hill de sa sœur aînée. Jamie Smith écume de son côté les clubs, bardé de faux papiers et de son irrésistible curiosité pour la dance music quand Baria Qureshi, fan des Distillers, se bat contre le schéma culturel archaïque imposé par ses parents conservateurs.
Peu enclin à gratter des lignes à l’école, les quatres potes passent le plus clair de leur temps à sécher les cours – faut bien qu’elle serve à quelque chose cette option musique non ? – pour répéter, faire de la musique. L’Elliott School (qui a entre autres accueilli avant eux les kids de Four Tet et Burial) ira même plus loin que tolérer ces absences, et leur offrira, constatant l’importance du projet, d’ouvrir certains mercredis une salle de cours pour répéter. Si on leur prête souvent des ressemblances avec les personnages de Skins ou les kids gothiques de South Park, de par leur look punk de la tête aux pieds, il n’en est rien. Juste une bande d’ados qui comme la plupart, se cherche, et qui attend beaucoup de la vie, et qui semble avoir trouvé un filon à exploiter avec The XX. Les londoniens sacrifient leurs études et partent à la fin du lycée faire la tournée de pubs dans le pays, espérant… quelque chose.
Inclassable
En 2007, c’est Katie O’Neill, directrice artistique du label Young Turks qui se plaira à noter qu’on ne trouve pas que des petits merdeux amateurs de gros riffs sur MySpace, qu’on peut y trouver de vraies surprises. Cette surprise cette année, c’est The XX. Séduite par leur esthétique sobre et minimaliste, elle fond littéralement sur les quelques démos déjà très abouties des Stars, VCR, qui figurent sur l’album. Des compositions qu’elle qualifiera d’uniques.
Signé sur Young Turks peu de temps après, Caius Pawson (fondateur du label et à partir de ce moment, manager du groupe) les fait rentrer en studio chez XL (qui rappelons-le, a vu défiler des colosses comme Radiohead, Beck, Sigur Rós, Gorillaz ou The Avalanches, pour ne citer qu’eux) la maison partenaire du label. Le collectif enregistre entre 21h et 9h ses chansons ; une temporalité nocturne qu’on ressent sans commune mesure sur l’album tant il baigne dans l’hypnose et la noirceur, mais une noirceur éclairée, contrastée par les diverses émotions qui y convergent, entre deux notes de guitare et tremblements de caisse. Une sorte de clair-obscur, inclassable, qui ne rentre pas dans les “cases”. Est-ce du rock, de la pop, de l’electro ? Au moment de la sortie, en 2009, on assiste curieusement dans l’industrie musicale, à l’explosion de cette métaphysique des genres, avec l’arrivée notamment de pop, electro et rnb en indé (Dirty Projectors, Phoenix etc.).
Jamie se dressera en grand chef producteur du disque, suite aux essais non fructueux des quelques non moins qualifiés Diplo (M.I.A, Snoop Dogg) et Kwes (Bobby Womack, Damon Albarn), entre autres. Le jeune producteur, valeureux petit chimiste du collectif, s’attachera à donner de la cohésion à ces mélanges de genre, et aux compositions, de l’espace et un certain luxe qui amplifieront cette sensation d’inconnu sonore, quitte à y passer des nuits blanches et zapper quelques fêtes de famille.
Le producteur conservera cette signature spéciale aux allures de démos. Une griffe qui saute encore plus aux oreilles sur les reprises qui ont en partie contribué à leur notoriété, comme cette reprise de Hot Like Fire d’Aaliyah, aux antipodes de l’original.
Mais le cocon met du temps à s’ouvrir. De la signature à la sortie de l’album, il s’écoule près de deux ans. Un timing qui met d’ailleurs en péril une tournée avec les Cold War Kids (à l’époque en pleine explosion), installant ainsi des doutes dans l’équipe de Young Turks, se demandant si elle ne venait pas de faire une énorme erreur. Un coup de pied au cul qui poussera Jamie à accélérer, et pourquoi pas jouer avec les reverbs naturelles de sa salle de bain pour enregistrer, par exemple, les voix de Night Time.
Stupéfaction
Une fois le disque sorti, The XX est désigné par certaines critiques comme une nouvelle école de pensée rock londonienne, le porte parole d’une génération naissante. Un rattachement que refuseront les intéressés, pas forcément convaincus de l’idée ou encore trop jeunes pour endosser un tel rôle. Stuart Stubbs (rédacteur en chef du magazine Loud & Quiet et premier portraitiste du groupe) affirmera de son côté que leur musique transpire l’honnêteté.
L’album prend un 8,7 / 10 chez Pitchfork. Ryan Dombal (réd. chef du magazine) est captivé dès les premières notes et est impressionné car c’est un premier album ; selon lui, peu de premiers albums décroche une note pareille sur Pitchfork. Les critiques et les notes tombent tour à tour mais Caius ne leur dit pas tout, même lors qu’ils figurent dans la sélection ‘Ones To Watch’ du magazine NME, de manière à ce qu’ils ne se sentent pas étouffés, car il le sait, cet album ne sera pas le dernier, il faut les préparer aux suivants.
Puis vient la consécration, la bande de potes décroche l’or musical, à savoir le Mercury Prize (un équivalent des Victoires en France) l’année suivante (2010). Et si cette récompense est un gros plus pour booster les ventes, ce n’est pas ce qu’il les propulsera sur le plan mondial. Bien moins sexy, c’est pendant les législatives, la même année, que l’album et tout particulièrement un titre poseront leurs valises dans le coeur des anglais. Le titre Intro sera synchronisé sur le générique des élections législatives sur la BBC, joué ainsi très régulièrement sur la première chaîne du pays devant des millions de téléspectateurs ; difficile de faire plus fort en matière de promo. Les titres explosent sur youtube par leur côté smooth et hypnotique, jouissant même via des internautes de versions longues de plusieurs heures.
L’après
Disque de platine en Grande Bretagne (pas mal pour un disque qui n’a coûté que 2500 livres), le collectif signe depuis, beaucoup de synchros, que ce soit en pub, cinéma, série, comme sur le film Projet X, les séries Grey’s Anatomy, Cold Case, Person of Interest, un spot pour le Sidaction et beaucoup d’autres encore. En 2013, The XX voit son morceau Intro utilisé sans son accord, dans une campagne anti-mariage gay croate. Le groupe ne tardera pas à faire savoir qu’il n’avait donné aucune permission et qu’il soutient sans condition le mariage pour tous.
Quelques temps après la sortie, la claviériste et guitariste Baria est mise à la porte par ses compères suite à des différents financiers et personnels avec le chanteur Oliver. Il lui faudra 3 ans pour arriver à un accord sur les droits du disque, et toucher les fruits de son dévouement, et du pari qu’elle avait fait en arrêtant ses études, préférant donner sa vie aux XX.
L’album d’après, et encore après ? Le trio passe les épreuves avec succès, bifurquant toutefois sur des atmosphères plus éclairées. En tout cas, 10 ans après, l’album n’a pas pris une ride, provoquant sur nos chers lobes toujours les mêmes frissons, et le sentiment qu’avec des choses simples, on peut mettre le monde à nos pieds.