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Check In Party : une première édition en forme de réussite totale

Photos de Marin Pobel

Du 22 au 24 août dernier se déroulait dans la Creuse la toute première édition du Check In Party. Un nouveau festival d’exception qui a tenu toutes ses promesses, et bien plus encore.

Discrète mais remarquée, l’annonce du nouveau festival Check In Party, à Guéret, avait très tôt cette année attiré l’œil de tout amateur de musique. Loin des énormes festivals se partageant éternellement les mêmes artistes et artifices galvaudés, sa programmation édifiante, faite de talents confirmés et d’étoiles montantes, alliait exigence et accessibilité. Avec ses prix très doux et sa communication inventive, c’est avec un certain enthousiasme que nous avons rejoint l’aventure en cette fin d’été ensoleillé.

Verdict ? Il se cachait en fait derrière ce nom l’un des meilleurs festivals de France.

Photo de Marin Pobel

Dès notre arrivée, la réussite du projet est palpable. Bénévoles attentionnés et tout sourires, conscience écologique profonde et restaurateurs locaux forment, dès l’entrée, un hameau de paix et de tranquillité. Après une installation rapide sur le camping, terrain poussiéreux (pas de doutes, nous sommes bien sur le sol d’un aérodrome) mais néanmoins accueillant, c’est un véritable bonheur de voir peu à peu se dérouler le fil d’une organisation parfaite, évitant les désagréments-types de ce genre de manifestation, hygiène douteuse et queues interminables en tête. Ici, rien de tout ça, tout est fait pour rendre le séjour agréable, même en plein soleil.

Patti, reine de la nuit

A peine le temps de se remettre du voyage que nous voilà déjà sur le site du festival, disposant de trois scènes et d’un large espace mobilisant restaurateurs, bars et autres structures. L’imagerie aérienne (avions, costumes de pilotes et d’hôtesses de l’air) est omniprésente, et plusieurs happening, au camping comme durant le festival, viendront rythmer les festivités. Parmi eux, deux inséparables clowns-policiers, tout droit sortis d’un film de Jacques Tati ou des Triplettes de Belleville, qui assurent un spectacle constant à coup d’interpellations maladroites et de déambulations absurdes. Mais la clef de tout festival, bien évidemment, reste les concerts.

Clara Luciani / Photo de Marin Pobel

Derrière un équilibre entre la voix de la jeune chanteuse et sa musique plutôt approximatif, Clara Luciani semble malheureusement correspondre en tout point au moule qui l’a vu naître : celui d’une certaine scène pop française aseptisée, cherchant dans les relents des 80’s les derniers souffles d’inspiration créative. Faussement naïve, réellement timide (encore que), Clara Luciani déçoit, même là où on ne l’attendait pas. Reste une scénographie soignée faite de belles tentures imitant des vitraux gothiques, et des musiciens plutôt efficaces.

Patti Smith / Photo de Marin Pobel

Mais la véritable star de la soirée, elle, est à l’image de sa carrière : immense. On ne le dira jamais assez, assister à un concert de Patti Smith est une expérience cathartique, qui touche au plus profond de l’âme et de la conscience, pour délivrer un message fort, chargé de belles énergies, le tout sous forme de Grand Messe païenne. Ouvrant son set avec le fédérateur People Have The Power, passant par les cultes Because The Night, Redondo Beach et le traditionnel chant final Gloria, Patti Smith s’autorise aussi quelques reprises flamboyantes (Jimi Hendrix, Lou Reed, Midnight Oil, les Stones). Le point culminant restera d’ailleurs le fabuleux After The Gold Rush de Neil Young, conclusion magistrale de son dernier album en date (le poétique Banga) joué ce soir-là dans une version épurée, avec pour seul soutien de sa sublime voix le son doux et délicat d’un Rhodes bouleversant. Patti Smith demeure toujours aussi impressionnante et indispensable, sorte de chamane des temps modernes comme on n’en fait plus. Et si elle s’autorise ce soir-là une digression politique incendiaire saluée par la foule, autour des politiques de Bolsonaro et Trump et de la triste actualité de la forêt Amazonienne, c’est pour mieux affirmer son humanité dans un monde qui manque cruellement d’artistes et de personnalités comme elle. Unique.

Jeanne Added / Photo de Marin Pobel

Jeanne Added enfin, conclut la soirée avec de beaux élans électroniques dans un univers pourtant très pop, mais forte de son énergie et sa présence salutaire.

Quadriphonie psychotique

Le deuxième jour se lève, après une nuit glaciale et une matinée brûlante, écourtant les nuits des campeurs pourtant sans l’ombre (ni jeu de mots) d’un regret. Un petit tour dans les lacs voisins pour se ressourcer et découvrir de beaux endroits (la Creuse en est chargée) et c’est reparti pour un tour, avec la promesse de belles performances.

Photo de Marin Pobel

Et cela commence avec Puts Marie, groupe Suisse auteur d’un cinquième album détonnant qui joue cet après-midi là un set ténébreux, énergique et enivrant, mené par un chanteur aussi vif que captivant.

Une énergie qui ne démentira pas avec le concert tant attendu de YAK, à la dimension pourtant plus stoner et garage que le laissait suggérer son deuxième effort, Pursuit of Momentary Hapiness. Perdant hélas un peu en subtilité, la formation délaisse de somptueux arrangements pour une forme power-trio plus classique et directe. Il n’en reste pas moins un groupe très efficace sur scène, idéal en tout début de soirée.

Slaves / Photo de Marin Pobel

Mais si beaucoup, dans les premiers rangs du concert suivant, semblaient déjà savoir à quoi s’attendre, difficile pourtant d’imaginer alors la déferlante qui s’apprête à s’abattre sur la Wall of Sound Stage  : le duo britannique Slaves, qui entre sur le kitschissime et hors sujet We Like To Party  ! des Vengaboys. Un pied de nez contrebalancé en un revers de main avec les premiers accords de The Lives They Wish They Had, dévoilant la puissance sonique de ces punk hors-normes. Batterie surpuissante (jouée debout, en chantant, criant et dansant par Isaac Holman) et guitare abrasive (celle du sur-tatoué Laurie Vincent, évoluant dans un étrange short flashy jaune fluo) mènent ce concert d’une puissance rare. Passage dans la fosse, absence de temps morts, public surexcité : un peu moins d’une heure d’uppercut sonore dans les règles de l’art, qui laisse pantois les fans comme les curieux.

Un petit tour du côté d’Inspector Cluzo, hard rock aux couleurs de la Gascogne (vendant même du confit d’oie dans leur stand de merch, ça ne s’invente pas), et nous nous dirigeons vers les prodiges Saintongeais de Lysystrata, récente révélation francophone et signature du label Vicious Circle. Ultra-violent, un poil épuisant, le groupe dévoile le fil de son The Thread, premier album en forme de manifeste noise paru il y a deux ans déjà, en attendant le second à paraître cet automne. Un set idéal pour se préparer à la suite : l’attraction musicale menée par La Colonie de Vacances, attendue comme l’un des temps forts du festival.

La Colonie de Vacances / Photo de Marin Pobel

Et quel moment. Formé par quatre groupes cultes de la scène math rock française (Papier Tigre, Pneu, Electric Electric, Marvin), le supergroupe officie depuis 2010 sous ce dispositif unique : quatre scènes, réparties au quatre coins de l’espace réservé au public, sur lesquelles les groupes jouent, s’accordent, se disputent et se répondent dans une symphonie électrique. Se rendre au cœur du dispositif relève, dès les premières notes, de l’expérience transcendantale. Un moshpit se forme, dense et compact, qui vibre au son de ces rythmes frénétiques. Un fair play unique au sein du public (on verra même celui-ci s’écarter pour laisser quelqu’un récupérer ses lunettes tombées au sol) où les slams sont rois, et où le bonheur de l’instant présent se lit sur tous les visages. La musique de La Colonie de Vacances hypnotise, désoriente, si bien qu’au bout d’un moment nous ne comprenons plus grand chose si ce n’est que nous sommes en train de vivre une grande expérience, musicale et sensorielle, comme une drogue insidieuse et naturelle. L’impression d’avoir vécu un parfait mélange de bon et mauvais trip nous laissent vidés tant psychologiquement que physiquement. Si toutes les boîtes de nuits du monde ressemblaient à celle de La Colonie de Vacances, alors le monde ne serait qu’un merveilleux paradis au cœur de l’enfer.

The Psychotic Monks / Photo de Marin Pobel

Pourtant, ceux qui n’ont pas eu le courage de rejoindre la scène Air Force pour assister au show des Psychotic Monks rateront un nouveau sommet du festival. Ceux que nous avions rencontré en mai dernier sont aujourd’hui, plus que jamais, une valeur sûre des festivals internationaux, et le prouve une fois encore avec un set de haute volée, intense et violent, comme eux seuls savent le faire. A la limite de la perte de contrôle (les escapades en dehors de la scène d’Arthur et Martin, victime d’une transe salvatrice), les français signent un concert tétanisant. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de les recroiser tout au long du festival, ces derniers allant aisément à la rencontre de leur public et souhaitant, eux aussi, prendre part à cette nouvelle expérience creusoise.

The Psychotic Monks / Photo de Marin Pobel

Une expérience qui sera pourtant quelque peu entachée par le set de Foals, tête d’affiche visiblement en perte de vitesse, sous inspirée et molle du genou (le comble pour un groupe ayant construit sa réputation sur son énergie scénique). Des monstres sacrés qui fédèrent pourtant un public venu nombreux pour les voir, mais qui prouvent que les plus grosses machines ne sont pas toujours les plus efficaces.

Oktober Lieber / Photo de Marin Pobel.

La preuve avec la conclusion furieuse des belges d’It It Anita et les émanations analogiques d’Oktober Lieber, duo techno et cold-wave féminin rayonnant dans la pénombre, sortant haut la main du duel face au set très club de Paula Temple.

Paula Temple / Photo de Marin Pobel

Midi à minuit et autres voyages spatio-temporels

Le troisième jour, si la fatigue se fait bien sentir parmis les campeurs et autres festivaliers, l’énergie et la joie de prendre part à un tel événement prédomine toujours.

Rien de mieux alors pour se mettre en jambe que le rock dansant et psychédélique des turcs d’Altin Gün, auteurs d’un deuxième album remarqué, tout comme leur passage à la Route du Rock la semaine passée. Modes orientaux, synthétiseurs minimalistes et voix impeccables rythment ce concert qui laisse planer des ondes plus que positives sur l’ensemble du site.

Pendant que Deerhunter charme ses fans et lance une joute verbale hilarante avec John Dwyer, leader de Oh Sees faisant ses balances sur la scène d’en face, nous nous dirigeons vers la nouvelle proposition de Jacco Gardner, son projet Somnium. Étonnant voyage entre Syd Barrett et Tangerine Dream, avec le couple Gardner sur une petite scène centrale entourée de coussins mis à disposition. Hélas, le son tonitruant du concert d’Oh Sees viendra plusieurs fois interrompre le charme et l’immersion proposés par le jeune Néerlandais, nous laissant avec un goût d’inachevé. Pour rester dans ce mood plutôt tranquille (même si on ne boudera pas son plaisir en allant hocher la tête sur les dernières minutes du show d’Oh Sees), direction le concert de Flavien Berger, pendant que la deuxième session de La Colonie de Vacances se met en place.

Flavien Berger / © Titouan Massé

Le petit prodige de la pop française tient toutes ses promesses sur scène, livrant un spectacle bancal et à semi-improvisé mais touchant. Hormis la voix, parfois très fausse, ce qui brise tout de suite le charme de sa musique, et les morceaux se ressemblant tous un peu, difficile de résister aux envolées lyriques et synthétiques du jeune parisien, entouré de fantômes derviches-tourneurs et exécutant son set avec une bonhomie communicative.

Un petit tour du côté de Balthazar, show brillant mais bien sage pour ceux qui ne sont pas familiers de l’univers du groupe, et puis nous allons nous placer pour la révélation indie de l’année, à savoir le groupe mutant Black Midi. Lancé à toute allure, d’une violence inouïe, le punk-noise-math-jazz-shoegaze-fusion (et plus si affinité) des londoniens met tout le monde à terre. Délivré avec une arrogance toute anglaise et un certain dédain, le set fuse dans nos oreilles en prenant un malin plaisir à déconstruire l’intrigant Of Schlagenheim, premier essai (transformé) d’un groupe décidément à part. Rarement une musique n’aura semblé si radicale, et une performance si totale. Virtuose et chaotique à la fois, Black Midi semble bien décidé à écrire l’avenir avec des guitares et des visions du futur.

Black Midi / © Titouan Massé

On passe notre tour sur l’électro bourgeoise et paresseuse de The Blaze pour nous concentrer sur le Space Echo Live d’Étienne de Crécy, promesse d’un spectacle total après sa création à la Philarmonie de Paris. Le vétéran de la french touch livrera en effet un sans-faute, bien que dénué de surprises, avec une scénographie spectaculaire et innovante ; assurément son projet le plus ambitieux depuis la fameuse tournée Beats’N’Cubes. Un dernier tour du côté du délirant Ouai Stéphane, sorte de mélange entre Philippe Katerine et Aphex Twin, et c’est déjà la fin d’un vol qui n’aura semblé durer qu’une seconde.

Étienne De Crécy / © Titouan Massé

Si nous n’avons malheureusement pas pu assister aux concerts du Prince Miaou, Julia Jacklin, Namdose, Gogol Bordello, Touts, Bodega et Crack Cloud, les échos que l’on entend dans le public sont toujours positifs, voire dithyrambiques. A l’image du festival : si l’atterrissage est un peu dur, nous sommes déjà parés au décollage pour l’édition 2020.

Un immense merci à Nadine Simoni, pour l’organisation, au programmateur David Fourrier, pour l’entretien qu’il nous a accordé en mars dernier, ainsi qu’à Marin Pobel et Titouan Massé pour les photos.

AMOUREUX DES SONS, DES MOTS ET DES IMAGES, DE TOUT CE QUI EST UNE QUESTION D'ÉMOTION, DE RYTHME ET D'HARMONIE.

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