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LE FILM CULTE – « Chungking Express », mise en scène photographique

Chaque mois, la rédaction de Maze revient sur un classique du cinéma. Après Elle et lui, retour sur l’un des classique du cinéma Honkongais, Chungking Express de Wong Kar-Wai qui fête cette année ses 25 ans.

Certains films se distinguent par leur mise-en-scène, le jeu d’acteur, les déplacements et le ballet qui se déroule sur notre écran. Chez Wong Kar-Wai, la danse s’étire et dessine sur pellicule toute une palette cinématographique sophistiquée et en même temps si simple à accepter. Un bijou cinématographique due à la direction de la photographie organique d’un Christopher Doyle complice du cinéaste Honkongais.

Bien souvent, on considère comme culte un ensemble de films européens ou américains, ceux que l’on voit comme fondateur du cinéma d’aujourd’hui. Pourtant les classiques dépassent les frontières, s’adaptent à leur territoire et révèlent tant de cultures. À Hong-Kong, le cinéma joue avec son synopsis pour mieux se mouvoir dans son espace. Un espace paradoxal et étriqué, aux couleurs oscillant entre jour et nuit. Un monde de fumée, comme un mode de clarté qui intègre déjà tant de close-ups et de ralentis. À Hong-Kong, comme l’a indiqué Ackbar Abbas dans sa publication Hong Kong : Culture and the Politics of Disappearance (1997), le cinéma cherche son identité au rythme de la ville et des intentions politiques. En 1994, le territoire encore britannique est au bord d’une nouvelle ère. Dans trois ans, elle sera réintégrée à la République Populaire de Chine et questionne son essence autant par un jeu d’image qu’une représentation de la ville en camaïeu de personnages.

Chungking Express, c’est à la fois la naissance d’un auteur sur la scène internationale et sa confirmation à domicile. C’est un Wong Kar-Wai vif et capable de développer des romances à tiroirs, mêmes contemporaines. Dans le Hong-Kong des années 1990, le réalisateur et scénariste nous conte, grâce aux voix off successives de ses protagonistes, les histoires amoureuses intriquées de deux policiers en rupture et de deux femmes, une liée au monde de la drogue, l’autre vendeuse dans une petite échoppe de nourriture, le Midnight Express. C’est autour de cette dernière, Faye (Faye Wong) que l’histoire s’articule et se sépare, nous baladant d’un narratif à l’autre, de cop, policier en français, 223 aussi connu sous le nom de He Zhiwu, (Takeshi Kaneshiro) à cop 663 (Tony Leung Chiu-Wai). Deux histoires alambiquées nous emmenant dans un univers étrange et poétique, notamment portées par la prestation enjouée et délirante d’une magnifique Faye Wong.

Chungking Express, 1994, © Snap/Rex/Shutterstock

La première histoire intrigue, cristallisant l’attention atour d’une mystérieuse figure à la perruque blonde (Brigitte Lin), et d’un policier obsédé par sa récente séparation et les boîtes d’ananas en conserve. Analogie de la fin de toute chose, les dates de péremption sont autant de sujets de réfléxions que de sujets absurdes et drôles. Après avoir croisé le chemin du policier 223 ayant loupé sa chance avec une seconde May, Faye s’entiche du policier 663, encore marqué par la fin de sa romance avec une hôtesse de l’air. Le voyage, l’envol, et le rêve sont alors le filigrane des amours et des obsessions de Faye, vivant par procuration une vie à laquelle elle aspire et finira par faire sienne. 663 quant à lui vit dans son aveuglant chagrin, transposant sa peine dans des objets quotidiens teintant d’humour sa tragédie intérieure.

Avant In the Mood for Love, Kar-Wai se positionne en maître des histoires d’amour qui ne se concrétisent jamais tout à fait, qui se vivent à travers divers évènements et qui laissent un sentiment aussi frustrant que satisfaisant. L’amour est alors fait d’intrusions, mais aussi d’attentions désintéressées. Il est fait d’images et de bandes originales marquantes, comme cette scène de rencontre sur fond de “California Dreamin” de The Mamas and The Papas. Kar-Wai fait de l’auteurisme en milieu urbain. Il élève ses thèmes, s’amuse avec les notions de temps et de mémoire, et empreint de légèreté son œuvre.

Rencontre sur fond de California Dreamin

Réalisé en deux mois, avant le montage de Ashes of Time, production longue et coûteuse ayant à l’époque entaché sa réputation, Chungking Express capture l’essence de la collaboration entre un réalisateur, un directeur de la photographie et un monteur (William Chang) marchant à l’instinct, aimant construire des objets qui se forment d’eux-mêmes, pourtant polis et marqués d’un sens poétique inégalable. Un scénario inachevé avant le début de la production, une fin écrite en une journée, un script en partie tourné dans l’appartement de Doyle, montrent comment malgré un budget étriqué un cinéma de qualité peut naître d’idées simples et de l’envie de créer. Kar-Wai se réhabilite alors et montre sa capacité à créer en peu de temps. Si Ashes of Time n’est pas sorti en Occident l’année de sa sortie (1994), Chungking Express a joui quant à lui d’une exposition fructueuse, soutenu et distribué par Quentin Tarantino et Miramax Film.

Chungking Express, c’est la réalisation d’un film libéré de lourdes pressions. C’est une pièce si belle et voluptueuse que l’on s’accroche à ces genèses emmêlées, à cette Faye loufoque et attachante. Chungking Express, c’est l’histoire d’un succès efficace et rapide qui a placé Hong-Kong sur la carte d’un cinéma si excitant qu’il a instantanément alimenté les comparaisons avec la Nouvelle Vague sous les doigts de critiques extatiques.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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