© Henry Wessel, Incidents No.5, 2012 © Henry Wessel ; courtesy Pace/MacGill Gallery, New York
Autour de la thématique du film noir, les trois nouvelles expositions de la Maison européenne de la Photographie (MEP) font dialoguer les œuvres d’Henry Wessel avec celles de Marguerite Bornhauseur et des collections de l’institution parisienne. Un pot pourri plutôt agréable bien qu’un peu trop dense pour totalement convaincre.
Avec A Dark Thread, la MEP consacre sa première grande exposition française à l’américain Henry Wessel disparu en septembre 2018. A cette occasion, le directeur de la MEP, Simon Baker, a choisi d’exposer trois séries de photographies en noir et blanc de Wessel : Incidents et Sunset Park qui étaient déjà connues et A dark thread, qui donne son nom à l’exposition, un travail inédit partiellement conçu par Wessel lui-même pour l’institution parisienne jusqu’à son décès prématuré en septembre dernier.
Henry Wessel, noir américain
La passion de Wessel pour le roman policier, le film noir et les faits divers qui peuvent les inspirer imprègne complètement son œuvre. Dans la série Incidents, assemblage de 27 photos non datées mais prises entre 1969 et 2009, il s’applique à saisir l’étrangeté du quotidien et des petits accidents qui le font. A première vue, les photos semblent banales et s’attarder sur des scènes sans reliefs. Mais en y regardant de plus de plus près (ou plutôt, de plus loin afin de bien saisir les tableaux qu’ils cadrent), Wessel saisit toujours un évènement incongru, bizarre ou inquiétant : deux enfants qui se battent devant une maison à la pelouse parfaite, un bleu sur la cuisse d’une femme, un chien qui va à contresens de son maître.
Dans Sunset Park, l’américain photographie des pavillons de la banlieue californienne pendant des balades nocturnes. Les maisons dans lesquelless aucun signe de vie ne se manifeste apparaissent imprégnées de mystère, comme si leurs habitants, pris dans le scénario d’un film catastrophe, s’étaient empressés de les quitter sans prendre la peine d’éteindre la lumière. Les arbres de leur jardin aux grosses racines apparentes semblent eux déjà sur le point de s’animer et capables d’étouffer toute sorte d’être vivant.
Enfin, dans A dark thread, qu’il n’a pu voir achevée, Wessel a souhaité donner tout son sens à sa passion pour le roman noir en proposant à plusieurs écrivain-e-s (Ivy Pochoda, Alexander MacLeod et Art Taylor) de composer des histoires courtes (et forcément noires) pour accompagner une sélection de ses photos. Regroupées dans un petit recueil consultable sur place, les nouvelles donnent vie au story board composé par Wessel et dans lequel se succèdent des femmes à moitié nue, des motels miteux et des plaines américaines.
Les collections noires de la MEP
Poursuite du fil noir lancé par les séries de Wessel, le dernier étage de la MEP est consacré à des photographies issues de la collection de l’institution qui font écho au travail du photographe américain. On retrouve, dans une sélection un peu fourre-tout et passablement décousue qui introduit au passage la couleur, quelques-uns des plus grands noms de la photo : Doisneau, Brassaï, Ishimoto, Arbus, Goldin, Weiss ou Larry Clark mais aussi des photos de tournages de film (forcément noirs eux aussi) ou de presse. Beaucoup des photographies de cette exposition ont en effet été inspirées par Weegee, une sorte de paparazzi des délires et dérives des nuits (et des journées) new-yorkaises à partir des années 1930 et qui devait bon nombre de ses scoops au fait d’être le seul raccordé à la radio de la police. A noter également la série aussi hilarante que dérangeante intitulée L’incroyable affaire des meurtres aux gâteaux de froment de Les Krims. A partir de photos de scènes de crime prises par la police, l’artiste reconstitue de fausses scènes de crimes d’un tueur qui laisse toujours ses victimes dénudées et qui signe ses meurtres d’une pile de pancakes arrosée de sirop d’érable…
Moisson rouge
Moisson rouge c’est le titre de la troisième exposition consacrée aux images particulièrement saisissantes de Marguerite Bornhauser et présentée dans le studio de la MEP. Bien qu’elle soit majoritairement composée de grands et moyens formats couleurs, la série de la jeune artiste passée par l’Ecole supérieure de la photographie d’Arles s’inscrit pleinement dans le prolongement du travail d’Henry Wessel. Son titre d’ailleurs, Moisson rouge, est une référence à un roman de Dashiell Hammet qu’affectionnait particulièrement Wessel. Une partie des œuvres – très intenses – sont réalisées en tirage cibachrome, un procédé particulier voué à disparaitre en raison de l’arrêt de la production du film nécessaire à la réalisation des tirages. Chez Bornhauser, c’est la chaleur étouffante et la torpeur des corps des jeunes filles l’été au bord des piscines qui semblent alerter d’un dérèglement quelconque. En regardant ses photos, plus qu’au roman noir traditionnel, c’est aux histoires – pas moins inquiétantes- de la grande autrice américaine Laura Kaschichke que l’on pense. Une référence tout à fait à la hauteur de Dashiell Hammet. Et une jeune photographe déjà tout à fait à la hauteur des plus grands.
A la Maison européenne de la Photographie (MEP), 5/7 rue de Fourcy, Paris 4ème . Le mercredi et vendredi de 11h à 20h, le jeudi de 11h à 22h et le week-end de 10h à 20h. Tarif : 6-10€