Photo : © Claude Truong-Ngoc
Durant ce mois de juin, mois des visibilités LGBT+, les rues vont se parer des couleurs de l’arc-en-ciel pour célébrer la diversité sexuelle. Certain.es danseront, s’enlaceront et s’embrasseront sans honte, sans peut-être penser que leur acte est encore révolutionnaire. Tout est parti de ce 28 juin 1969.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les LGBT+ étaient encore perçus comme un « fléau social » (amendement de Paul Mirguet, 1960). Cette conception offrait donc l’opportunité aux gouvernements de légiférer afin de combattre ces « déviants ». De nombreuses personnes alors « queers » ne pouvaient exercer certaines professions si elles étaient « outées ». Certains, s’ils étaient « outés » bien avant, ne pouvaient accéder à l’université et étaient pour beaucoup exclus du foyer familial.
Leur seul échappatoire était alors les lieux de drague, des endroits de sociabilisation où l’on pouvait rencontrer des personnes semblables à soi-même, partageant les mêmes désirs, craintes et expériences. Ces clubs devenaient alors leurs espaces de liberté, loin des yeux de la société qui les excluaient. Ces lieux étaient toutefois répertoriés par les forces l’ordre. Ceux-ci organisaient des descentes pour enregistrer les clients de ces endroits afin de les « outer » avec toutes les conséquences que cela pouvaient impliquer. Ces descentes étaient l’occasion pour certains policiers zélés de tabasser, harceler voire violer certains habitués.
Stonewall, début de la révolution
Tout est parti d’une de ces descentes, le 28 juin 1969 au Stonewall Inn à New-York, à 1h30 du matin. Des policiers décident d’arrêter plusieurs travestis et homosexuels de ce club. En les sortant, des personnes situées dans un parc avoisinant lancent alors des pierres sur les forces de l’ordre pour montrer leur agacement face aux multiples descentes dont ils sont victimes depuis plusieurs jours. Dès lors, les forces de l’ordre décident de se réfugier à l’intérieur du Stonewall en espérant une accalmie.
Face à la faiblesse visible des forces de l’ordre, la foule à l’extérieur du bar augmente. Certains se saisissent d’un parcmètre pour s’en servir comme bélier et forcer les policiers à sortir du bar. Pendant ce temps, d’autres brûlent des papiers qu’ils glissent sous la porte à l’intérieur du Stonewall. Des fourgons de policiers arrivent alors pour calmer ce qui est devenu une émeute. La foule riposte au cri de « Gay Power » et vers 4h, la victoire est acquise.
Ces habitués du Stonewall se rendent compte alors qu’ils peuvent se présenter comme une force. Ils créent alors le Gay Liberation Front, et organisent un événement pour se souvenir de cette victoire. La première Gay Pride vit le jour à New-York le 28 juin 1970.
La mondialisation du mouvement LGBT+
Ces Gay Pride se sont alors multipliées. 200 manifestants se regroupent le 29 avril 1972 à Münster, en Allemagne pour le première Gay Pride européenne. En France, il faut attendre 1977 pour voir une manifestation indépendante réclamant la dépénalisation de l’homosexualité qui n’interviendra qu’en 1982. Elles se sont développées dans de nombreux pays pour réclamer son existence et combattre les préjugés.
Ces mouvements ont donné alors une visibilité à cette minorité. Ils ont permis de montrer qu’ils représentent une force politique indéniable. Aux États-Unis, Harvey Milk devient dans ce contexte le premier élu politique ouvertement gay. Il prend conscience qu’en développant cette visibilité, il donnera un exemple pour les générations futures afin qu’elles sortent du placard. Face à l’ampleur que prend le mouvement, de nouveaux débats apparaissent. En 1999, la France parle du Pacte civil de solidarité (Pacs) et finit par l’adopter. Pour le mariage et l’adoption pour tou.te.s, il aura fallu attendre jusqu’en 2013, plus de dix ans après les Pays-Bas, premier pays à autoriser le mariage entre personnes de même sexe.
De la « guérilla » à la Gay Pride
En l’espace de seulement 50 ans, les LGBT+ sont passés de la « guérilla » à la manifestation ouverte par la Gay Pride selon Pierre-Édouard, homosexuel de 73 ans. Il dit être passé du « cafard », arpentant les bars en espérant ne pas être démasqué d’où son terme de « guérilla », à un « véritable homme pouvant marcher librement dans la rue avec son compagnon ». « Quand j’avais 18 ans jamais je n’aurai imaginé pouvoir un jour affirmer mon orientation sexuelle dans la rue, affirme-t-il. Quelques décennies plus tard, j’ai pu manifester pour le Pacs, le Mariage pour Tous ou à la Gay Pride. Je me rendais compte du chemin que nous avons parcouru. Aujourd’hui je peux en parler ouvertement. Tout est si passé vite. »
« Sans le SIDA, on aurait pas eu des droits aussi facilement. »
Ces avancées n’ont pas été simples. Pour Pierre-Edouard, ces droits ont pu être obtenus par les catastrophes qui se sont déroulées ces dernières décennies. « On a vu le SIDA nous défigurer et tuer nos amis. J’ai perdu un de mes compagnons, durant ces années noires, lâche-t-il. C’est ça qui nous a permis de nous rendre visible. Sans le SIDA, on aurait pas eu des droits aussi facilement. »
Quel message Pierre-Edouard voudrait-il faire passer à la jeunesse, pour ce mois des visibilités ? « Mon message, ça serait de continuer à manifester. Aujourd’hui on a des droits mais ils peuvent aussi nous être retirés facilement, comme dans de nombreux pays. Regardez au Brésil ! », référence au fait que le nouveau président d’extrême-droite brésilien Jair Bolsonaro a annoncé sa volonté de supprimer le mariage homosexuel, adopté en 2013. « Vous, les jeunes, vous n’avez pas connu la période où on étaient considérés comme “fous” aux yeux de la loi. Quand on a vécu ces moments, on a toujours l’intime conviction qu’il faut se battre pour exister. » Sans l’avoir vécue, on peut s’en rappeler, on doit s’en rappeler.