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Rencontre avec Miossec – « Si on revient régulièrement sur un texte, on le tue »

Photo : © Julien T. Hamon

Avant son concert à La Nouvelle Vague à Saint-Malo, Miossec a accepté de nous rencontrer pour un entretien.

Fatigué par une sale nuit, les traits sont tirés et la démarche un peu fragile. C’est cette allure qui est touchante, prolongeant la beauté de ces textes par un vécu imposant. Il raconte avoir lu plusieurs entretiens postés sur Maze Magazine, posant des questions sur nos trajectoires de vie. Miossec nous laisse le choix de l’endroit pour échanger, en attendant discrètement la première question. Comme toutes les personnes timides, il faut quelques minutes pour dépasser cette distance liée au caractère. La richesse des textes de Miossec permet l’exercice de l’entretien où il est possible de voguer entre les mots, d’écouter les silences qui en disent parfois plus qu’un long discours. Ce beau moment en suspension est l’occasion rêvée pour exposer toutes nos interrogations.

Clément Simon : A quel moment est apparu le beau titre de votre dernier album Les rescapés  ?

C’est un mot qui n’est plus innocent. “Rescapé”, il y a cinq ans de cela, faisait écho à une trajectoire individuelle. Bien sûr, concernant mon cas, je me sens aussi comme un rescapé. En 25 ans, j’ai vu beaucoup de gens arrêter la musique donc c’était un privilège de pouvoir encore la partager sur scène. Pour autant, rescapé ne signifie pas que tout va pour le mieux.

Dans le premier titre, Nous sommes, il y a comme une mise à plat de vos sentiments, l’idée de mettre en chanson une résurgence pour passer à autre chose. C’était l’objectif  ?

Intellectuellement ça n’a pas été conçu comme cela mais ça me semble assez juste ce que vous dites. C’est un peu comme une annonce, une déclinaison de tout ce qui va suivre après. Ce qui est bien avec la chanson, c’est qu’il y a quelque chose d’assez naïf, simple. Quand on fait le disque, on est dedans. On met du temps à découvrir son propre disque et à traverser la distance qui nous sépare de la création.

L’écriture de cet album a été entamée après le précédent ou bien plus tôt ?

Non, j’aime bien écrire par bloc. C’est pour mon propre confort car j’aime bien quand c’est frais. Si je commence à déterrer des choses d’il y a quatre ou cinq ans, c’est que ça ne va pas. Mon truc c’est d’écrire et si je n’en suis pas capable dans l’instant, il faut se poser des questions. Si on revient régulièrement sur un texte, on le tue. Si on essaie de mettre trop de style, on risque la boursouflure.

Ensuite, vous resserrez votre champ de vision en utilisant le «  je  » dans le deuxième morceau, Je suis devenu. Il y a une grande gaieté dans ce titre mais avec une vision très critique comme lorsque vous chantez  : «  Je me suis fait tout seul et je me suis raté  ». Qu’entendez-vous par là  ?

Souvent les gens qui se sont faits tout seuls ont dû en écraser d’autres pour arriver à ce qu’ils sont. Au départ, il y avait un tempo très lent sur cette chanson, ce qui la rendait assez triste et désespérante. Si on reste sur le texte, c’est une chanson dépressive. Je ne voulais pas avoir ce ton là dans l’album.

Avec la chanson On meurt, peut-on dire que la scène est un moyen de retarder la mort  ?

C’est l’endroit où je me sens le plus vivant. Quand un concert est réussi, j’ai l’impression de ressentir mon utilité. Dans la vie, c’est dur de savoir quoi faire. Pour cette chanson, il y a beaucoup de choses mêlées. Au départ, c’est deux phrases de George Perros que j’ai empruntées et c’est aussi un clin d’œil à mon copain Rémy Kolpa Kopoul qui est décédé à la maison. Il faisait danser des salles entières.

L’album est une fois de plus hanté par ce tournant des années 2010 où votre médecin diagnostique une ataxie vous empêchant de boire de l’alcool sous risque de paralysie. Il a fallu du temps pour remonter sur une scène  ?

Non, pas vraiment. C’est vrai qu’au début, il était impossible pour moi de monter sur scène sans boire un verre. Pendant des années, je n’ai pas vraiment accepté le succès et je suis toujours rester un Brestois. C’est un peu comme Arno, je crois. Je ne supportais pas la petite cérémonie des gens qui viennent vous voir pour vous applaudir. Tu as l’impression que chacun essaie de vendre sa petite salade, en étant poli. Toute l’hypocrisie pour développer le marketing me mettait mal-à-l’aise. Ce qui me plaisait, c’était casser tout ça, y compris le matériel. Les meilleurs souvenirs de concert, c’est quand c’était chaotique, un moment où on n’assiste pas à une reproduction de ce qui s’est déroulé la veille.

Il y a beaucoup de sonorités électroniques, comme dans le dernier album d’Alain Chamfort ou de Christophe. Qu’est-ce qui vous plait dans cette matière sonore  ?

Quand j’étais gamin, j’avais un groupe où on utilisait cette matière sonore. C’était comme retrouver la beauté des premiers instants.

C’est une influence évidente quand on écoute vos albums. Il y a comme chez Alain Bashung la destruction et l’amour, la vie et la mort : «  En simulant, où comme au premier jour. Tout simplement, où en allant se jeter de tout du haut de la tour  ». C’est un même mouvement  ?

Complètement. J’essaie d’être dans la justesse de l’instant. Elle est nécessaire pour que la voix puisse être sincère. Je n’ai pas du tout la vérité mais mon rapport au monde est celui-là. Tu parlais de Christophe tout à l’heure. Je l’évoque à nouveau pour répondre à ta précédente question. Il était venu un matin dans l’émission Thé ou Café pour interpréter Les mots bleus au piano. À 12 ou 13 ans, dans une sorte d’émoi amoureux, ce morceau a été très important pour moi. C’est une grande chanson sur la timidité.

Vous avez écouté l’album posthume de Bashung ?

Pas encore, non. J’ai envie de l’écouter au calme et pas entre deux portes.

Le texte de la chanson Pour est absolument superbe. Par exemple  : «  Pour la géographie du désespoir et celle de la joie. Pour la beauté, pour le geste. Et pour la façon dont elle se manifeste  ». Pour tout ça, l’expérience vaut la peine d’être vécue  ?

C’est une chanson qui fait écho à la tournée. On rencontre des villes qui explosent comme Nantes, Rennes et Bordeaux. Puis des coins de France qui sont complètement dévastés. Il y a un côté « gilets jaunes » dans la chanson (rires).

Et puis, il y a celle que l’on surnomme la ville blanche, Brest, qui vous colle à la peau avec le grand succès rencontré par le titre éponyme, sorti il y a 15 ans. Entre ces deux morceaux, comment la ville a-t-elle évoluée  ?

La ville s’embellit. Culturellement, ça bouge bien alors que ce n’était pas ça il y a quinze ans. Les Brestois sont davantage fiers d’eux.

Quels sont vos projets pour la suite  ? Je vous vois bien écrire de la fiction.

Ah ouais, intéressant. Quand j’étais gamin, j’avais commencé à écrire pour proposer un roman. Ça n’a jamais abouti. Le problème de la littérature, c’est que beaucoup de chanteurs écrivent des bouquins et il y a romans qui paraissent à la rentrée. Il y a une sorte de diarrhée littéraire qui sature l’espace et qui me fait peur. C’est un drôle de pays. Celui qui écrit un bouquin devient romancier et on taille presque une statue (rires).

C’est marrant puisque vous répondez sur l’aspect économique et pratique de la question. Si on évacue ces données, quelle serait votre envie ?

Faire une fiction en plus, non. La forme du récit ne m’intéresse pas vraiment. Quand je lis de romans, je vois souvent l’écrivain en train d’écrire et ça me pose problème. La chanson, c’est davantage mon territoire.

© Antoine Raoult pour Maze Magazine

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